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La réduction de la vitesse des navires,
un point essentiel du transport maritime décarboné.






Cet été au sommet du G7, face aux incendies ravageant l'Amazonie, le président de la République avait déployé une série de mesures en faveur du climat. Parmi elles, la réduction de la vitesse des navires. « Nous allons nous engager avec les transporteurs maritimes pour réduire la vitesse, ce qui est l'un des moyens les plus efficaces pour réduire les émissions ».
La réduction de la vitesse est une mesure d'efficacité qui consiste à contraindre délibérément la vitesse des navires dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Portée depuis des années par Philippe Louis –Dreyfus, président du conseil de surveillance du groupe LDA, cette mesure a séduit Emmanuel Macron qui a demandé au gouvernement de déposer une proposition à l'OMI, soutenue par tous les armateurs français et le Cluster maritime.
Soumise en mai dernier au Comité de la Protection de l'Environnement Maritime (MEPC), la proposition française a été abondamment discutée, mais n'a pas été suivie par l'ensemble des délégations de l'OMI. Elle fait néanmoins partie d'une des nombreuses mesures envisagées à court terme par l'OMI pour réduire directement les émissions de GES en provenance des navires. Aussi la France espère un vote positif courant 2020, mais il faudra gagner le vote d'une majorité de nations.

Réduire la vitesse des navires, le point de vue du secrétaire général de Louis-Dreyfus Armateurs

Pour appuyer la proposition de Philippe Louis-Dreyfus, le secrétaire général de l'armement Louis-Dreyfus Armateurs (LDA), Antoine Person a fait le 27 novembre dernier une communication devant l'Académie de marine sur la question de la réduction de la vitesse des navires.

Nous donnons ici les principaux points développés lors de la communication

Le rendez-vous manqué du protocole de Tokyo
Suivant les déclarations récentes de l'ONU, seule une réduction de 16 % des émissions annuelles de CO2 pendant dix années consécutives à compter de 2020 permettrait d'atteindre l'objectif de l'accord de Paris pour contenir une hausse moyenne des températures à 2° C.
Tous les secteurs économiques des pays développés ont fait depuis des années des efforts pour réduire les gaz à effet de serre. Tous à l'exception du shipping et du transport aérien. Ceci, en vertu du Protocole de Tokyo signé en 1997, qui a exclu ces deux secteurs d'activité des objectifs de réduction de CO2. Par cet accord, les pays signataires s'engageaient à réduire leurs émissions, il fallait donc affecter des émissions à chaque pays pour calculer ses objectifs de réduction. Facile à faire pour des usines bien implantées, mais difficile à réaliser pour des navires ou des avions qui bougent en permanence, et dont les émissions ne peuvent être attribuées à un pays particulier. De plus, le shipping s'abritait derrière une observation incontestable : par tonne transportée, il est de loin le plus efficace, en matière de protection de l'environnement, de tous les modes de transport.

L'exception de la COP 21
Lors de la COP 21 tenue à Paris en 2015, le shipping, fort de ses statistiques, a de nouveau réussi à éviter le débat à propos de ses émissions de CO2. Certaines ONG ont néanmoins affirmé que ses émissions continuaient à augmenter rapidement, alors que l'on observe une diminution des émissions des autres secteurs industriels.
La part du shipping est passée de 2 % en 2005 à 3 % en 2015.
Si rien n'est fait, le taux de ces émissions pourrait augmenter de 50 à 250 % d'ici 2050 selon les scénarios de croissance du trafic maritime, et cela représenterait dans le pire des cas 16 % des émissions de GES sur la planète.

Le slow steaming
Antoine Person fait remarquer que si l'on revient sur la « performance » du shipping en matière de moindre détérioration de l'environnement, « elle est obtenue par les seuls très gros navires dans leur configuration la plus efficace, le slow steaming ». Il ajoute que lorsqu'ils ont fait l'expérience des autoroutes de la mer avec des rouliers, « ils ont découvert qu'avec un port en lourd beaucoup plus faible (4 800 tonnes dans le cas de Dreyfus), ils ne pouvaient émettre moins de CO2 que le total des camions transportés, sauf à aller moins vite ». Mais, aller moins vite, n'est-ce pas perdre la clientèle, les clients des camionneurs n'acceptant pas des durées de transit plus longues ?

Décarboner le transport maritime
Lors de la session 2018 du Comité de protection de l'environnement maritime (MEPC), l'OMI a fixé deux objectifs en se basant sur les chiffres de 2008 :
  1. Une réduction des émissions de gaz à effet de serre, par tonne transportée, de 40 % en 2030, puis 70 % en 2050 ;
  2. Une réduction globale de 50 % des émissions du transport maritime mondial en 2050.
Autrement dit, nous n'avons pas le choix : il faut « décarboner » le transport maritime d'ici à 2050. Aucune solution dite « hybride », électrique, vélique, couplée avec toutes les solutions d'optimisation de coque, de moteur ou autre, ne pourrait permettre d'atteindre ces objectifs. Pour le moment, la question n'est pas résolue.

La leçon du soufre
A la suite de la décision de l'OMI de réduire le taux de soufre dans les carburants marins, il avait été prévu de réaliser une étude en 2018 pour connaître la disponibilité des raffineries en carburants à bas soufre, et ensuite de décider si cette mesure devait entrer en vigueur en 2020 ou 2025. L'étude a été réalisée, et au lieu de répondre à la question posée sur la disponibilité des produits à basse teneur en soufre, elle a conclu qu'il y aurait bien des produits disponibles en 2020, mais qu'on ne pouvait pas en connaître le prix.
« Décision relativement stupide, selon Antoine Person : « si le produit est trop cher, cela revient à le rendre indisponible ». La raison, c'est que le shipping est soumis à une pression politique gigantesque pour réduire ses pollutions atmosphériques.

Le CO2 : les solutions
Comment se préparer aux objectifs à court terme (2022 ou 2023) d'une première réduction des émissions par les navires que l'OMI va adopter l'année prochaine ?
Trois solutions à effet rapide, peuvent s'appliquer à tous les navires, sans investissements supplémentaires ; un système de négociations de quotas d'émissions ; une taxe ; la réduction de la vitesse.
La première solution revient à introduire la spéculation financière là où nous n'en avons réellement pas besoin.
Quant à la taxe, son vrai rôle étant d'impulser un changement vers des habitudes moins émettrices de CO2, elle doit décourager les vieilles habitudes et encourager la recherche et le développement d'autres solutions. Mais le coût du transport maritime étant plutôt faible, le niveau de la taxe devra donc être suffisamment élevé pour assurer des investissements vers des navires moins émetteurs de GES.
Il ajoute que la Commission européenne envisage l'introduction d'une taxe carbone aux navires faisant escale en Europe. Celle-ci serait fixée à 100 euros par tonne de CO2 émise (soit 300 euros par tonne de fuel), soit une augmentation de 75 % du prix du combustible.
Il faudra donc l'augmenter pour arriver à ce que les navires fassent tout leur possible pour réduire leur consommation et donc leur vitesse.

La réduction de la vitesse des navires, une mesure efficace ?
 
Si la mesure de la réduction de la vitesse est à court terme, étant immédiatement disponible et ne nécessitant aucun investissement particulier, elle ne permettra jamais d'atteindre les objectifs de l'OMI pour 2050, car plus on réduit la vitesse et moins les économies de carburant sont importantes.
Ainsi un porte-conteneurs de 10 000 boîtes consomme 350 tonnes de fuel par jour à 25 noeuds, et 125 tonnes à 18 nœuds ; un navire Capesize sur la route du Cap de Bonne-Espérance ou sur celle du Cap Horn consomme 60 tonnes de fuel par jour à 14 nœuds et environ 30 tonnes à 12 nœuds.
Antoine Person a fait part d'une étude menée par l'armement Dreyfus en collaboration avec la Kedge Business School et le professeur Pierre Cariou :
« Dans le cadre de cette étude, nous avons bâti un modèle qui permet de calculer la conséquence d'une limitation de la vitesse des navires Capesize à 11,5 nœuds en distinguant les années et lieux de construction. Nous aboutissons à des chiffres considérables, jusqu'à 46 millions de tonnes de CO2 par an. En réduisant ce chiffre du ratio nécessaire à compenser la réduction de vitesse (20 % selon l'étude de Knedge), nous économiserions 36 millions de tonnes de CO2. C'est simplement colossal pour seulement 1 500 navires concernés ! »
En s'appuyant sur cette étude, la France a soumis l'idée de réduire la vitesse des vraquiers à 10,5 nœuds.

Les conséquences d'une telle réduction sur l'économie du transport maritime
D'aucuns expliquent que cela va provoquer un accroissement du nombre des navires : puisque les navires sont moins rapides, il en faudra davantage pour transporter la même quantité de marchandises, ce qui entraînera davantage de CO2 produit lors de la construction. De plus, les taux de fret vont augmenter, provoquant une diminution de compétitivité de certains pays par rapport à d'autres, comme le Brésil vers l'Australie pour le minerai de fer transporté en Capesize.

La position des armateurs
Toutes les réductions de vitesse prises à titre d'exemples sont déjà effectives, souligne Antoine Person en terminant son exposé. Il n'a fait que décrire la situation actuelle.
Dans le même temps, nous apprend-il, le Brent se situe entre 2010 et 2014 (année de l'effondrement du cours du brut) au-dessus de 110 $ par baril. Les armateurs sont donc confrontés à un effet ciseau classique : taux de fret bas et prix du carburant élevé. Qu'ont-ils fait dans leur immense majorité face à cette situation ? Ils ont diminué la vitesse de leurs navires, exactement dans les proportions décrites pour un Capesize, passant de la vitesse moyenne en 2009 de13,5 nœuds à 11,5 nœuds aujourd'hui.

Les engagements de Philippe Louis-Dreyfus

Dans son numéro de l'été dernier, la revue Jeune Marine a publié un article de Philippe Louis-Dreyfus dans lequel il expose les raisons qui l'ont poussé à soutenir la mesure concernant la régulation de la vitesse des navires.

 
La nécessité pour le shipping de réduire les émissions de GES

Le shipping a échappé longtemps aux réflexions concernant ses émissions de CO2, et les armateurs se sont réfugiés derrière la certitude que le transport maritime, parmi les autres modes de transport, était le plus écologique. Depuis, le transport maritime n'a cessé d'augmenter pour répondre à l'accroissement des échanges mondiaux, et de ce fait, les émissions de GES du transport maritime n'ont cessé d'augmenter.
Philippe Louis-Dreyfus, pour sa part, a toujours considéré que c'était une double erreur de ne pas agir pour réduire les émissions de GES du shipping. Tout d'abord en termes d'image : le shipping souffre d'une image dégradée auprès du grand public.
Ensuite, c'est une erreur stratégique. « Notre activité, affirme-t-il, est internationale, nos concurrents et nos zones d'activité sont par nature internationaux, et il faut que nous puissions opérer partout dans le monde et nous confronter à nos concurrents sur des bases réglementaires identiques ».
Aujourd'hui, les choses changent, ajoute-t-il. Depuis la COP 21 en 2015, le shipping, jusqu'alors exempt de toute contrainte, a pris conscience de la nécessité de faire des efforts de réduction des GES.
Et ce, d'autant plus que l'OMI a adopté en 2018 une Stratégie initiale en ce sens, avec des objectifs précis (voir infra, mesures de l'OMI).
La première de ces mesures, la réduction des émissions de GES par unité de transport, du fait de l'augmentation de la taille des navires et du slow steaming, est déjà atteinte dans le secteur du conteneur.

Le slow steaming, une réponse pour réduire les émissions de GES
Philippe Louis-Dreyfus revient sur le slow steaming, un point important évoqué par Antoine Person.
Entre 2010 et 2012, les armateurs ont décidé de réduire la vitesse de leurs navires, de 6 à 8 nœuds pour les porte-conteneurs et de 2 nœuds pour les vraquiers. Ceci pour répondre à une hausse importante du prix du carburant (120 $ le baril), couplée à une baisse drastique des taux de fret, conséquence de la crise financière de 2008.
Cette décision a eu pour effet de compenser leurs pertes financières et surtout de réduire les émissions de GES provenant des navires. Une réduction de 2 à 3 nœuds sur un vraquier peut permettre d'économiser la moitié du carburant et ainsi la moitié des émissions de CO2. Sur un capesize de 180 000 tpl dernière génération, la consommation est d'environ 25 tonnes par jour à 11 nœuds contre 55 tonnes à 14 nœuds.
Néanmoins, nous apprend Philippe Louis-Dreyfus, « la réduction de la vitesse des navires n'est pas une idée nouvelle », car cette idée « permet aussi de réduire l'offre de navires disponibles et permet ainsi une hausse des taux de fret ».
Ce sont donc toutes les raisons qui l'ont poussé à présenter cette mesure au président de la République.

Le slow steaming, une mesure transitoire en attente de nouvelles technologies
Pour répondre aux arguments des nombreux détracteurs de la proposition française, Philippe Louis-Dreyfus a tenu à expliquer la mesure de réduction de vitesse telle qu'il l'a imaginée. Tout d'abord, il s'agit d'une mesure de court terme, facile à mettre en œuvre et ne nécessitant pas de lourds investissements. Le véritable enjeu du transport maritime est de se passer, à terme, de carburants fossiles. Des solutions existent, tel l'hydrogène. Lorsqu'il pourra être utilisé, il n'y aura plus de raison de garder des vitesses réduites.
C'est aussi une mesure facile à vérifier qu'il présente comme un concept, sachant pertinemment que la façon de la mesurer passe par des indicateurs tels que la puissance à l'arbre porte-hélice ou bien les émissions de CO2 du moteur, le tout correspondant bien à une réduction de la vitesse maximale du navire.
Il nous rappelle que le coût de carburant est, après l'amortissement du navire, la part la plus importante des charges d'un voyage. Il convient donc de réduire ces coûts en investissant dans la recherche pour réduire les consommations de carburants. Des innovations majeures seront certainement découvertes, mais certainement pas dans un court laps de temps.
Il précise aussi que la réduction de vitesse n'a rien à voir avec les efforts réalisés par l'OMI pour réduire les émissions de GES des navires, tels que l'EEDI ou le SEEMP (voir infra, mesures de l'OMI).
Si nous ne faisons rien, assure-t-il « nous serions très prochainement confrontés à une taxe carbone très importante qui aura pour objectif de prendre en compte les externalités climatiques du transport maritime, et aussi de dissuader grâce à un fort signal-prix, la consommation de carburants fossiles. ». En fin de compte, ce seront finalement les clients qui paieront cette taxe au travers du fret.
Et Philippe Louis-Dreyfus d'ajouter, non sans humour : « le plus amusant serait qu'à la suite d'une très forte taxe qui renchérirait le prix du carburant, les armateurs réagissent, comme en 2020, en réduisant leur vitesse ! »

Philippe Louis-Dreyfus conclut son entretien en affirmant que « la seule façon de répondre efficacement à l'urgence climatique est pour notre industrie de réduire la vitesse de nos navires ».

La proposition française de réduction de vitesse ne fait pas l'unanimité à l'OMI

La proposition française de réduire la vitesse des navires soumise au Comité de protection du milieu marin (MEPC) de l'OMI d'avril 2019 a suscité des réserves de la part de certains Etats membres, et devait être approfondie pour pouvoir être de nouveau étudiée.
Le groupe de travail du MEPC, réuni en novembre, a privilégié une approche par objectif par navire à la limitation de vitesse pour arriver à réduire les émissions de CO2 (voir infra).
« Les Etats-Unis, le Brésil, l'Arabie saoudite, de grandes nations d'affréteurs, ont fait un lobby actif contre la limitation de vitesse ou de puissance portée par la France, la Grèce et d'autres ONG », a constaté Philippe Louis-Dreyfus.
L'armateur se dit néanmoins décidé « à continuer à défendre activement la réduction de vitesse, une idée française qui a le soutien de nos armateurs et du gouvernement. Pour réduire les émissions du shipping, cette mesure est simple, rapide, efficace immédiatement et compréhensible par le grand public, ce qui est très important ».
L'OMI va maintenant préparer, en vue du prochain MEPC de fin mars, début avril, des objectifs navire par navire. S'ils sont suffisamment ambitieux, et à la hauteur des enjeux, pourquoi la limitation de vitesse ne deviendrait-elle pas la mesure la plus évidente pour les atteindre ?

Rappel des mesures de l'OMI pour la « décarbonation » du shipping mondial

Consciente de l'influence de l'ampleur de la croissance du trafic maritime mondial sur le changement climatique, l'Organisation Maritime Internationale (OMI) a mis en place des mesures de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) émanant des transports maritimes internationaux.

 
Pour améliorer l'efficience énergétique des navires, l'OMI a adopté l'indice d'efficacité énergétique des navires (EEDI), qui s'applique à la conception du navire, et le plan de gestion de rendement énergétique pour les navires (SEEMP), qui permet d'améliorer le rendement énergétique d'un navire.
L'année 2018 a été marquée par l'adoption de la Stratégie initiale de l'OMI concernant la réduction des gaz à effet de serre (GES) des navires. Cette stratégie fixe deux objectifs intermédiaires : le premier est de réduire les émissions de CO2 par activité de transport d'au moins 40 % d'ici 2030, en poursuivant les efforts en vue d'atteindre 70 % d'ici 2050, par rapport à 2008 – le second est de réduire le volume total des émissions annuelles de GES d'au moins 50 % en 2050, par rapport à 2008. Le programme des activités de la Stratégie initiale comprend des mesures à court, moyen et long terme.
L'année suivante, le Comité de l'OMI en charge de l'environnement marin (MEPC) a examiné les mesures de court terme.
Parmi celles-ci figurait notamment « l'examen et l'analyse du recours à l'optimisation et à la réduction de la vitesse, en tenant compte des questions de sécurité de la distance parcourue, de la distorsion du marché des échanges commerciaux et en veillant à ce que cette mesure n'ait pas d'incidence sur la capacité des navires à desservir les zones géographiques éloignées. »
La réduction de la vitesse proposée par la France et soutenue par la Grèce, et des ONG environnementales n'a pas fait l'unanimité, et son examen a été remis à plus tard. La Chine, l'Inde, les Etats-Unis et de nombreux pays d'Amérique du Sud n'étaient guère intéressés par cette initiative, craignant qu'elle ne réduise l'efficacité du transport maritime, augmentant de fait la distance entre les économies et leurs marchés tout en repoussant l'adoption de nouvelles technologies pour réduire le CO2.
Le groupe de travail intersession du MEPC réuni en novembre dernier pour préparer le prochain MEPC, n'a pas préconisé d'imposer la limitation de vitesse mais a préparé des objectifs stricts navire par navire, laissant aux armateurs le choix des moyens pour y parvenir. En clair, cela signifie qu'il n'y aurait pas de règles générales, mais que chaque navire aura à prouver la réduction de ses émissions avec la méthodologie qu'il souhaite.
Le groupe intersession se réunira de nouveau dans la semaine qui précède le prochain MEPC, prévu du 30 mars au 3 avril, qui sera donc capital.
L'OMI a la réputation d'avancer avec lenteur. Son fonctionnement à 174 membres ayant droit au chapitre ne facilite pas la prise de décision rapide. Et le sort réservé à la proposition de la France pour la réduction de vitesse des navires ne risque pas d'être traitée promptement.

Une taxe pour financer la R&D sur la décarbonation

Afin de verdir l'image du shipping, les deux plus grandes associations internationales d'armateurs (Bimco, dont Philippe Louis-Dreyfus a été le président, et l'ICS, International chamber of shipping), veulent proposer à l'OMI que la profession prélève elle-même deux dollars par tonne de soute consommée – soit 5 milliards de dollars- pour financer la recherche et le développement.
Philippe Louis-Dreyfus, qui s'est déjà exprimé sur l'opportunité de cette taxe, pense que cela vient trop tard car « elle représente un montant trop faible pour peser sur la consommation de soutes et dissuader armateurs et chargeurs de moins transporter et donc de moins émettre ». Pour lui, l'urgence est à court terme et « seule la réduction de vitesse permet d'arriver rapidement aux objectifs fixés par l'OMI ». Mais comme il l'a déjà dit « cela n'empêche pas de la conjuguer avec des moyens alternatifs ».
Philippe Louis-Dreyfus craint que cette initiative ne soit la porte d'entrée à l'institution de quotas carbone sur le shipping, et Antoine Person y est opposé affirmant que « ce serait introduire la spéculation ». Le secrétaire général de LDA ajoute que « cela rajouterait de l'incertitude sur un marché déjà incertain. Qui va en profiter ? Les institutions financières et les traders, mais certainement pas l'environnement ».
De nombreuses questions se posent tant aux bénéficiaires des fonds et selon quels critères, qu'au choix de tel investisseur ou institut plutôt que tel autre. Et Philippe Louis-Dreyfus se demande si « la R&D est vraiment la priorité quand beaucoup de technologies, y compris l'hydrogène sont déjà à un stade avancé ».
Il conclut en affirmant que l'urgence « est moins la recherche que l'investissement dans des systèmes propres », et répète-t-il, « la réduction à court terme des émissions ».

Parallèlement à cette initiative, la nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, a annoncé lors de la présentation de son « Pacte vert », la mise en place en 2021 d'un mécanisme de taxe carbone aux frontières de l'Europe, ainsi qu'une réglementation de l'accès des navires dans les ports européens

Le coût pharaonique du passage au zéro carbone

L'étude publiée récemment par l'UMAS (University Maritime Advisory Services) estime qu'il faudrait investir 1 000 milliards d'investissement pour remplir les objectifs de l'OMI de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, soit 40 à 60 milliards de dollars chaque année entre 2030 et 2050.
D'après l'étude, de tels investissements permettraient de développer de nouveaux carburants, des chaînes d'approvisionnement et une nouvelle flotte de navires convertis. Ces estimations privilégient le développement de l'ammoniac comme carburant, mais d'autres hypothèses envisagent l'hydrogène, le méthanol ou d'autres combustibles. Pour suivre la feuille de route fixée par l'OMI, entre 30 % et 40 % des nouveaux navires devront être neutres en carbone d'ici à 2030, chiffre le Bureau Veritas. Or aucun des carburants alternatifs ne peut encore prendre le relais. Le biogaz ou le méthane de synthèse, qui pourraient « facilement » être adaptés sur les navires et les infrastructures GNL, souffrent d'une production encore trop faible pour satisfaire la demande du transport maritime. Les solutions zéro carbone semblent encore plus lointaines. L'hydrogène pose d'importants défis en matière de stockage, notamment parce qu'il doit être conservé à une température de -253° pour rester liquide. Quant à l'ammoniac, il pose « un problème de nocivité dans le cadre opérationnel », note le vice-président exécutif de la division marine et offshore de Bureau Veritas.
René TYL
membre de l'AFCAN
Sources


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