Retour au menu
Retour au menu
Un vrai temps de chien
C'est un extrait des archives de René Tyl que nous publions ici,
en souvenir des "temps de chien" que nous avons tous subi.

En 1934, mon oncle Hubert de Lacroix de Lavalette, alors âgé de 22 ans, est embarqué sur le Sainte-Maxime de la CGAM, filiale de la Transat. Ce cargo de 4 051 tjb effectue des rotations entre l'Afrique du Nord, Bordeaux et Nantes. La traversée Oran/Bordeaux s'est déroulée par très mauvais temps, et l'atterrissage à Bordeaux a failli se terminer en catastrophe. C'est ce qu'il raconte dans une lettre à l'un de ses frères.

A bord du Sainte-Maxime, Bordeaux, le dimanche 16 décembre 1934.
Mon cher Michel,
« Ce coup-ci : très mauvais voyage. Nous avons eu un temps de chien tout le temps : grains terribles, orage, trombes, vent soufflant en tempête, houle formidable, roulis et tangage insupportables et, hier soir, nous avons failli y rester !
Voici ce qui s'est passé : depuis la Punta de la Estaca, nous avons eu un violent coup de vent de W.S.W. qui nous poussait très bien, mais alors une bande comme j'en ai jamais vue ; il y avait des moment où, de la passerelle à 12 mètres d'altitude, on ne voyait plus l'horizon caché par les lames, on faisait des bonds formidables de 8 à 10 mètres au moins et un roulis qui a atteint 26° de chaque bord, c'est-à-dire qu'on était obligé de se cramponner pour ne pas être projeté dehors. Plus moyen de dormir. On est tout de même bien arrivé jusqu'à l'embouchure de la Gironde et, là, plusieurs navires étaient à la cape, c'est-à-dire ne pouvaient entrer dans la Gironde à cause de la barre, ils se mettaient cap au vent en attendant le moment propice pour franchir le danger. Il était 1h30 du matin, le commandant, qui est casse-cou et bon marin à la fois, avait juré qu'il passerait la barre malgré les réponses négatives des pilotes par T.S.F. Toute la journée, nous redoutions ce passage ; aussi, quand je me suis levé à 1h30 pour aller sur la passerelle, j'avais bien envie de mettre ma ceinture de sauvetage : au moment où je viens sur la passerelle, nous fonçions vent arrière à toute vitesse sur la barre, à ce moment un grain ! Aucune visibilité ! « Bâbord toute » ! Et nous repiquions vers le large ayant raté notre coup parmi la mer démontée. Re « bâbord toute », le grain étant fini, nous refonçons vers l'abîme … La lune entre les nuages nous découvrit une mer blanche d'écume à moins d'un mille : c'était la barre, « merde, Nom de Dieu », tels étaient les mots du commandant « Tant pis en avant toute droite comme çà », on passait là où, il y a moins d'un an, un navire s'était perdu corps et biens. Bientôt, le navire entrait dans le coton, c'était effrayant, tout tournant autour de nous. On vit alors arriver par derrière une vague déferlante, épouvantable, je le fis remarquer au commandant qui me répondit : « Je ne veux pas la voir », du reste, un demi-tour à cet endroit aurait été la perte certaine du navire. La vague passa, recouvrit tout le navire de l'arrière à l'avant, arrachant tout sur son passage. Je fermais les yeux me cramponnant à la lisse sur la passerelle. Elle passa bien, elle fut seule heureusement et les dégâts furent minimes, car nous étions peu chargés et le navire tangua un peu, en tout cas toute une cage à poules et à pigeons fut emportée avec ses habitants, la cambuse fut défoncée et l'on trouva le mousse et le novice nageant dans un mètre d'eau dans leur cabine, la hampe pour le pavillon, madrier de 15 cm de diamètre, était cassée en deux et puis bien d'autres bricoles, en tout cas, l'hélice et le gouvernail n'avaient rien, nous étions saucés, un coup de tangage nous fit toucher le fond, mais rien de grave n'arriva et je pensais au pauvre malheureux qui aurait eu la fantaisie d'aller sur le pont à ce moment-là, il aurait vite passé l'arme à gauche.
Le commandant me dit : « Vous voyez, monsieur de Lacroix, on s'en sort toujours », et moi de penser « oui, 100 fois, mais la 101e … ?». Nous trouvâmes, une heure plus loin, le bateau pilote tout épaté de voir arriver un navire vivant, n'en ayant pas vu depuis deux jours et le commandant de rire ».

Le Sainte-Maxime

Construit en 1911, le Sainte-Maxime avait été acheté en 1934 par la CGAM à la société Em. Frisch et Cie. Se trouvant à Bordeaux au moment de l'armistice du 22 juin 1940, il avait été réquisitionné par les autorités allemandes puis restitué à Rouen le 16 novembre, et restait un temps désarmé avec un équipage français réduit. A la demande de l'Etat français qui avait besoin pour assurer ses liaisons avec les colonies restées fidèles à Vichy, de navires marchant au charbon, les allemands acceptèrent de le laisser rejoindre la zone non occupée. Il appareillera de Rouen avec un équipage allemand pour Nantes où s'effectuait la prise en charge. Il quittera Nantes le 28 juin 1941 et naviguera entre Marseille et la côte occidentale d'Afrique. Il se trouvera à Dakar au moment du débarquement anglo-américain, en même temps que deux paquebots et une vingtaine de cargos. Après le cessez-le-feu du 10 novembre 1942, il se ralliera à la cause alliée, comme l'ensemble de la flotte marchande française de l'AFN et l'AOF. Après avoir effectué des navigations le long de la côte d'Afrique, il connaîtra les convois transatlantiques.
Dans la nuit du 13 au 14 janvier 1944, naviguant en convoi de Naples à Bizerte, il sera abordé au large du cap Bon par le liberty-ship Wendel Phillips, et coulera.
 
René Tyl
Membre de l'AFCAN


Retour au menu
Retour au menu