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L'erreur originelle


       Les gens de mer sont toujours confrontés aux gens de terre pour qui la mer est un autre univers, où le requin est tueur, le capitaine pollueur, où la justice peut condamner avant de juger (voir ces capitaines emprisonnés parce que certaines personnes ayant un morceau de pouvoir pensent que la présomption d'innocence n'est pas applicable aux marins) où les politiques s'adressant à une opinion aussi ignorante qu'eux alimentent le bêtisier nautique comme les aiguilleurs de la mer, les navires qui restent au port quand il ne fait pas beau ou qui devraient vider obligatoirement leurs ordures dans des ports où il est interdit de le faire…

Et tout cela à cause de l'erreur originelle !

       En effet, il est arrivé un jour, que les connaissances des hommes ont atteint un degré où il a fallu donner un nom aux choses, et quand il a fallu donner un nom aux planètes, dont la nôtre, l'homme a regardé à ses pieds, et bien qu'il y eut 29% de terres et 71% de mers, il décida que notre planète se nommerait TERRE, tournant ainsi le dos à la mer pour des siècles et des siècles.

       Déjà 6 siècles avant J.C. alors que l'on demandait à ANARCHARSIS, philosophe scythe, si les vivants étaient plus nombreux que les morts, il répondit « mais d'abord, ceux qui sont en mer, dans quelle catégorie les rangez-vous ? ».

       Trois siècles plus tard, PLATON avait un autre classement : «Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur l'eau».

       Le monde de la mer était donc très mystérieux, ainsi que ses phénomènes, mais déjà, ARISTOTE, 350 ans avant J.C. pressentait un rapport entre les marées et la lune, GALILEE y pensait, NEWTON en 1687 affirmait l'influence de la lune et du soleil sur les marées, ce que LAPLACE calculait dans sa Mécanique Céleste. Malheureusement, à cause de cette erreur originelle, tout le monde ne pouvait avoir accès à ces connaissances, ainsi, Francisque SARCEY, ancien élève de Normale Sup, journaliste et critique dramatique du XIXème siècle écrivait : «les paysans bretons sont si ignorants qu'ils croient à l'influence de la lune sur les marées !».

       Ne riez pas, il n'y a quand même pas des siècles que révisant pour les examens d'Élève Officier au Long Cours sur la plage de la Tossen à Paimpol, à basse mer, un touriste venu pour voir la mer, nous demanda si elle viendrait avant le lendemain soir…mais tout le monde n'est pas obligé de connaître les marées surtout quand on n'est pas riverain des côtes à marées.

       Et puis les marins, il faut les comprendre, ainsi il y a une quarantaine d'années, suite à un abordage en Manche, plusieurs journaux relataient les circonstances, la visibilité étant de 2 milles au moment de la collision, un journaliste traduisait en titrant «VISIBILITE 2000», je peux en parler maintenant que ce journaliste a sans doute regagné ses Alpes natales, du coté d'Isola.

       Plus grave, il y eut le désastre de l'Invincible Armada en 1588, mise à mal par les combats, le mauvais temps, mais beaucoup aussi par la méconnaissance des marées et de leurs courants aux abords des côtes anglaises, refoulant les navires à chaque renverse au grand étonnement de l'Amiral terrien.

       On connaît peu cette cuisante défaite des troupes du roi de France le 22 mars 1057, faute de connaître les marées, c'était au «gué de Varaville», long de 4 km à l'embouchure de la Dives, où il y avait un large estuaire abrité qui permit plus tard à Guillaume, duc de Normandie de construire sa flotte et la garder en lieu sûr avant la conquête de l'Angleterre en 1066.

       Le roi de France Henri Ier, jaloux de la puissance du duc de Normandie lui déclara la guerre. Mais Guillaume refusait le combat en se dérobant devant les troupes du roi, jusqu'au jour où il emprunta le gué de Varaville pour traverser la Dives. Parvenu sur l'autre rive, il fit halte et se retourna pour assister à la noyade des troupes royales par la marée montante ! (Le marnage devait être de l'ordre de 7 mètres) Quelle belle stratégie !

Post scriptum :
       Il y a quelques semaines j'envoyais à la rédaction de «AFCAN Informations» cet article où je parlais de l'ignorance des choses de la mer qu'ont beaucoup de «terriens», ce qui a fait réagir un de mes collègues, qui trouvait que j'étais assez de parti pris, d'autant plus que j'étais obligé de remonter quelques mille années en arrière pour trouver cette bataille du gué de Varaville où la méconnaissance des marées eut une tragique issue.

       Je me suis dit qu'effectivement, j'aurais pu avoir un peu plus d'indulgence, puisqu'en mille ans on acquiert bien des connaissances et un plus grand nombre peut les acquérir grâce aux études maintenant généralisées. Donc copie à revoir !

       Et voilà que lundi 14 avril 2008 (mais oui cher collègue) en première page de mon quotidien, un gros titre : «PIEGES PAR LA MAREE, 94 LYCEENS SECOURUS».

       «On a frôlé le drame, hier à Port en Bessin, dans le Calvados, 94 jeunes et 8 adultes se sont retrouvés bloqués au pied des falaises, piégés par la marée montante…». Cela nous rappelle quelque chose, mais c'était il y a longtemps !
 
Stèle commémorative de cette bataille dans l'actuel marais de Varaville

Cdt Y. CHARLOT


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