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Confinement / déconfinement.

Réflexions totalement personnelles sur les conséquences de la situation sanitaire sanitaires dues à la présence du COVID-19, notamment de vie. Ces réflexions ne prétendent pas juger quoi ou qui que ce soit, ni vouloir démontrer que nous-autres marins et/ou ex-marins sommes plus aptes ou mieux préparés à vivre ce genre de situation.



Malgré tout, nous vivons quand même une époque formidable. Une fois de plus, un évènement imprévu nous a montré toute la faculté de l'homme à s'adapter.

D'abord le langage, et plus précisément les acronymes. On ne sait plus parler. Il nous faut des sigles.
D'abord le Covid-19 (Corona Virus Infectious Desease 2019 de son vrai nom), plus facile à dire sous la forme abrégée certes, mais un sondage fait au hasard de mes rencontres et de mes rares discussions (principalement par fibre interposée) pendant ces temps de confinement m'a montré que quasiment personne ne savait ce que le mot «covid» voulait dire.
Puis ce fut les PDC (Plan De Confinement) – EAD (Enseignement À Distance) – ADDD ou A3D (Attestation De Déplacement Dérogatoire), j'en oublie bien sûr – et pour finir les PDDC (Plan De Dé-Confinement) et PRA (Plan de Reprise des Activités). On peut aussi noter, tout au moins ce que j'entendais à la radio, que nous sommes passés de la distanciation sociale à la distanciation physique. Il est vrai que «distanciation sociale» ne fleure pas bon dans une république dont la devise comporte le mot «égalité».

Revenons au confinement.
D'abord d'un point de vue personnel. Autant le dire de suite, ce confinement ne m'a pas vraiment perturbé. Pourquoi ? Bloqué chez moi, même s'il est vrai que j'ai la chance d'avoir un petit carré de verdure, je ne suis sorti que pour les fameux déplacements pour effectuer «des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées». En gros pour acheter du pain 2 à 3 fois la semaine et des vivres pour la semaine. Ah ! la queue devant la boulangerie, une nouvelle expérience. Surtout, impression personnelle, que l'on est passé du «bonjour», voire du sourire complice, à la suspicion.
Et puis à bien y regarder, si l'on excepte le fait de ne pas être entouré d'eau salée, c'était, un peu, comme à bord. Hors présence de mon épouse bien sûr. Mais je me souviens d'une traversée entre Mongstadt, Norvège, pour chargement et Yéosu, Corée du Sud pour déchargement, 43 jours sur le VLCC que je commandais à pousser de l'eau sans voir personne d'autres que les 23 membres d'équipage, sans sortie à terre, et pour cause car sans quasiment jamais la voir. Une sorte de confinement, à plus nombreux certes, mais aussi avec un avantage de taille : sans télévision ni radio rabâchant à longueur de journées des nouvelles pas toujours très gaies.
En fait, en mer lors de ces grandes et longues traversées, seul le travail, de quart ou en équipe, comptait. Quelques nouvelles de la famille par email, pas trop souvent non plus. Beaucoup plus de la part des différents managers bien sûr. Et en tout cas, pas en vidéo conférence avec mes proches. À la fin de ma navigation nous n'avions toujours pas d'accès internet à bord. Et bizarrement, ou pas, ce lien vidéo, avec mes enfants et leurs petits, a plutôt «alourdi» ce côté de confinement par rapport à ce que je vivais sur un navire auparavant.
La différence avec ce confinement en mer, pour moi, a été aussi la découverte de nouveaux visages. Paradoxal ! Cependant, mais je pense qu'il s'agit d'un esprit très français, c'est vrai. Lors de mes déplacements cités plus haut, j'ai rencontré beaucoup de personnes que je n'avais encore jamais vues dans mon quartier et qui courraient ou marchaient sportivement, seules ou en duos/trios. J'ai d'ailleurs noté que je ne vois plus ces mêmes personnes depuis que nous sommes autorisés à sortir. Il doit bien y avoir une raison plus rationnelle que de vouloir à tout prix enfreindre la loi.

D'un point de vue professionnel, ou plutôt associatif, que retenir de cette période, qui n'est pas encore terminée, et de loin probablement, au moment d'écrire ces lignes. La vérification d'un adage attribué à un philosophe grec. Les trois sortes de gens : vivants, morts et ceux qui sont en mer.
On a beaucoup parlé, c'est compréhensible et juste, des soignants et autres personnes travaillant «au front», ainsi que des personnes «en deuxième ligne», caissières, éboueurs, certaines industries. Mais j'attends toujours un mot sur les marins.
Certes on a parlé des navires de croisières, enfin plutôt de leurs passagers qui avaient du mal à débarquer et à être rapatriés chez eux, et aussi des chantiers de construction navale des navires de croisière géants, pour mieux souligner le rôle économique, indéniable, dans une certaine région de notre pays. Mais rien, hors presse spécialisée, au sujet des marins à bord de ces navires.
Alors même s'il est vrai qu'étant par définition loin de tout et principalement de la terre et de ses médias, il est facile de les oublier, un mot de temps à autre sur ces marins vivant sans pouvoir accéder à terre au port, restant loin de tout en mer, n'ayant que peu de nouvelles de leurs proches restés à terre et vivant dans les conditions sanitaires et de pandémie que l'on sait, avec tout ce que cela peut supposer de craintes et de peurs pour le marin envers ceux-ci, un mot donc pour les soutenir, et dire que le manque de nouvelles est parfois plus difficile à supporter quand il est lié à l'absence, oui, ce mot aurait été le bienvenu.
Et que dire des relèves d'équipage qui sont retardées/annulées (jusqu'à quand ?). Quand on embarque, que cela soit pour un temps court ou de longs mois, on est préparé pour ce temps de contrat. Comment comprendre qu'un marin ayant neuf mois de contrat se voit demander de faire «quelques» mois supplémentaires avant de prétendre à sa relève. Parce que dans son pays, dans le pays du port de relève, dans un pays de transit, on ne veut pas de lui, ou encore que l'on veut lui imposer une quarantaine (de 14 jours seulement mais quand même), alors qu'arrivant à terre après une traversée plus ou moins longue, le navire est certainement un endroit plus sain que le port dans lequel il arrive. Notons qu'en sens inverse, à l'embarquement, il est tout de même plus facile voire plus honnête d'organiser les voyages des marins vers le port d'embarquement, y compris avec quarantaine. À condition toutefois de connaître ce port suffisamment tôt, ce qui n'est pas forcément le cas pour un navire n'étant pas affrété sur une ligne régulière.
Et comment, en tant que capitaine, parler aux marins concernés pour leur expliquer que non ils ne débarqueront pas et qu'il faut qu'ils continuent leur travail, un peu comme si de rien n'était. Comment pour ce même capitaine expliquer aussi à son manager que son équipage est au bout du rouleau, qu'il faut le relever, qu'il faut aussi envisager de diminuer ses efforts physiques quant à la conduite et l'entretien du navire. La fatigue est génératrice d'accidents, c'est bien connu. Et si on y rajoute la fatigue psychologique, ce gros coup de stress qui consiste à rajouter du temps au temps à passer à bord loin des siens…
Comment aussi expliquer que lorsqu'il est possible d'effectuer une relève, c'est sous condition de votre nationalité, et qu'il n'est pas sûr du tout que la relève suivante soit autorisée, même dans des conditions semblables.

Et pourtant, on a écrit et alerté. L'AFCAN en France, comme d'autres associations nationales de capitaines dans leurs pays respectifs, CESMA vers la Commission européenne, IFSMA au monde, vers les autorités administratives et la presse. Même le secrétaire général de l'OMI y est allé de ses demandes et exigences pour que les marins puissent être relevés. A-t-on avancé ? Pas vraiment, ou si peu. De beaux textes, de belles intentions, mais qui malheureusement, je dirai comme souvent pour ne pas dire toujours, n'ont pas été suivis d'effets significatifs. Un plus pessimiste que moi dirait : «on s'en fout». Après tout, tant que je suis capable d'acheter de quoi manger, même et surtout si cela vient de loin, une nouvelle télé importée de Chine ou de Corée, du carburant pour mon véhicule, à quoi cela me sert-il de savoir que des marins (êtres humains ?) travaillent dans des conditions de pénibilités physiques et psychologiques. Ce sont des gens que je ne vois pas. Donc ils n'existent pas. Et c'est bien en cela que le philosophe grec cité plus haut avait raison.

Pour clore sur une note plus humoristique mais aussi plus constructive (!), je participe, un peu, en tant que vacataire, à l'éducation de nos futurs ingénieurs maritimes au simulateur de navigation du centre du Havre. Lorsque la question de reprise d'activités s'est posée, j'ai soumis une proposition de reprise qui tout en respectant les barrières sanitaires permettait l'accès aux simulateurs. J'ai proposé de faire un exercice sur 24 heures, donc avec des groupes tournant en quart de 4 heures, sur le même exercice. Huit étudiants à la fois dans l'école, question barrières sanitaires, on devrait être dans le créneau, y compris lors de la relève de quart. Et outre que cela permettait éventuellement de compenser le retard pris dans la formation, on y ajouterait quelque chose : le travail par quart, du quart de nuit comme de jour, et pourquoi pas la fatigue due entre autre à ce travail de nuit. Je me rappelle d'une discussion lors d'une AG de CESMA où après un exposé dithyrambique sur l'équivalence de navigation donnée entre le simulateur et l'embarquement, un collègue, instructeur sur simulateur lui aussi, avait posé la question de savoir comment on pouvait simuler la fatigue. Bon, je comprends que cela puisse poser d'autres problèmes tels que la présence d'instructeurs, par quart aussi, et de laisser l'école ouverte. Encore que sur ce dernier point, j'ai le souvenir de l'académie maritime de Kalmar en Suède, visitée dans le cadre d'un projet européen sur la formation en simulateur, et dans laquelle on permettait aux élèves de venir à toutes heures de jour ou de nuit pour travailler sur les simulateurs et autres salles de TP. Devant notre étonnement, les instructeurs suédois nous avaient dit que cela responsabilisait aussi les étudiants dans leur comportement avec le matériel et les locaux.



Une dernière remarque. Alors, le confinement, le marin de quart sur une passerelle, seul pendant ses quatre heures de jour - et aussi malheureusement, et contrairement à toutes les règles de sécurité de la navigation, parfois aussi de nuit - lui, il le vit quotidiennement. Et suivant le genre de navigation parfois plus longtemps encore, voire beaucoup plus pour un officier philippin et ses 8 mois de contrat, ce qui est beaucoup plus long que ce que l'on a pu vivre ce printemps. Et on a réussi à bien l'occuper car contrairement à ce que l'on pourrait croire et que chantait un grand poète breton, il ne peut même plus «passer des heures à regarder la mer». ARPA le fait à sa place…

Cdt. Hubert Ardillon
Vice-président de l'AFCAN
Président de CESMA
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