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Saferseas - Brest 2011
Intervention du Président de l'AFCAN



Sujet :
Volet 1 :

Session 2 :

Politiques, réglementation, innovations technologiques et moyens opérationnels : les avancées en matière de sécurité maritimes depuis 2007.
Les réponses technologiques.

       Capitaine en activité sur un VLCC, je vais vous parler des problèmes que je rencontre dans l'utilisation de deux réponses technologiques : l'ECDIS et l'AIS terrestre, ainsi qu'avec un moyen opérationnel, le changement de ballast.

  1. ECDIS :
  2.        C'est un appareil de navigation utile. On peut collecter sur un même écran, toutes sortes d'informations de différentes sources : carte, position, cap et vitesse, en fond et surface, aussi les échos des autres navires car l'ECDIS est relié aux radars, aux GPS, gyros, lochs et autre AIS.
    Donc une centralisation des informations qui peuvent aider à une meilleure veille.
    Les corrections sont plus faciles à effectuer, c'est un fichier informatique, sources de moins d'erreurs de manipulation et d'écriture.
    Dans un monde idéal, le temps passé à corriger les cartes papiers sauvé par l'informatique aurait pu être dédié à la veille, qui normalement devrait être la priorité de l'équipe passerelle (souvent composée d'un seul homme d'ailleurs). Mais il ne fallait pas rêver, entre temps on a vite trouvé d'autres tâches administratives à donner à l'officier en charge des corrections.

           Cependant dans les zones de trafic intense, il y a un risque de surcharge de l'écran, par moment il peut être judicieux de limiter les échos radar ou AIS.
    Il y a aussi un fort danger de mauvaise utilisation par les personnes concernées car il y a une énorme différence entre la carte papier et celle proposée sur ECDIS.
    L'œil humain voit la carte papier dans sa globalité. L'utilisateur voit donc plus loin que les prochaines minutes de navigation, et donc il peut anticiper plus facilement sur une manœuvre à effectuer. Il n'y a pas cette profondeur avec un écran ECDIS actuel. Cela changera le jour où l'écran ECDIS sera du même format que la carte papier, mais vu le coût, quand ? Sur un ECDIS, pour voir plus loin tout en gardant sa propre position visible sur l'écran, il faut changer d'échelle, on gomme alors des informations, qui peuvent se révéler très importantes, voire vitales, pour une manœuvre ou la création d'un passage planning.

           Maintenant deux difficultés rencontrées :
    Le problème des cartes chinoises : les équipements portuaires et chenaux associés évoluent très vite dans ce pays et on se retrouve souvent en terrain complètement inconnu. Il m'est personnellement arrivé de naviguer, d'aller prendre un mouillage, le pilote et d'aller vers le quai dans le blanc de la carte, en dehors des bords latitude et longitude. C'est assez stressant tout de même. Naviguer avec un tirant d'eau de 20 mètres sur une carte où les fonds sont de 6 et 10 mètres, même si on a eu l'assurance qu'un chenal existait ce que l'on fait de plus sûr. Et dans d'autres lieux, ce sont les mises à jour qui n'existent pas. Je dois, un jour, aller charger à Lavan Island en Iran ainsi qu'à Kharg. Je regarde les cartes pour préparer le passage planning, je trouve Lavan Island et un quai avec un tirant d'eau limité, donc j'en déduis que ce sera le premier port de chargement. Mais non. Je m'inquiète alors auprès de l'agent local qui me répond qu'il n'y a pas de problème, mon navire n'étant pas le premier à venir charger sur la SBM de Lavan. Surprise car sur la carte papier (British Admiralty) il n'y a pas de bouée à Lavan. Enfin je finis par savoir où est située cette bouée, et lors de l'escale je demande si elle est relativement neuve et pourquoi elle n'est pas encore sur les cartes anglaises. Réponse claire : on ne le dit pas aux Anglais car on ne les aime pas. Je prends un tas de renseignements et de photos sur la bouée, les conserve et les envoie par l'intermédiaire de mon manager à Admiralty. Alors autant à bord la carte papier est « corrigée », autant la nouvelle carte papier ne le sera peut-être pas. Mais quid de la carte électronique ? Cette correction que le navire connaît maintenant, comment la garder si la carte papier n'existe plus ?

           Tous les navires devront être équipés très bientôt, et les officiers passerelle qui auront à s'en servir devront posséder deux certificats de formation : un général et un pour l'appareil en particulier.

           Quant à la formation des utilisateurs, il ne faut pas se bercer de bonnes paroles. Les managers dans leur très grande majorité recrutent au moins cher possible, donc au moins formé, même si tous les certificats inimaginables sont toujours bien valides. Qui sera alors responsable de la formation finale, voire initiale, de ces utilisateurs ? Et qui sera déclaré responsable en cas d'accident découlant d'une mauvaise utilisation de l'ECDIS ?

  3. AIS
  4. L'AIS est en soi une belle invention. Tant qu'elle sert à informer les ports et les VTS de la position d'un navire. Et cela aurait du limiter les demandes de renseignements de la part des VTS.
    C'est aussi normalement le gage d'un meilleur suivi des navires dans les passages resserrés et dangereux comme les détroits.

           Malheureusement l'AIS est aussi présenté comme un système anticollision.
    Oui, malheureusement car l'AIS n'est pas un système anticollision.
    L'AIS fonctionne en ondes VHF. Autant en VHF on sait qui on appelle, autant on ne sait pas qui vous répond. Cela permet des abordages assistés AIS. On croit que l'autre a compris qu'on a compris qu'il a répondu à ce qu'on a dit, et en fait c'est plus compliqué qu'avant.
    Et il faut dire aussi que l'AIS a vite été compris par les officiers passerelle à une facilité pour manœuvrer en dépit du bon sens et de Colreg.

           Autre problème de l'AIS : il suffit d'avoir une installation réceptrice pour savoir où sont les navires, et principalement celui que l'on veut attaquer, pour piratage, brigandage ou terrorisme. En Océan Indien, il est devenu rare de croiser un gros navire AIS allumé.

           Une bonne chose tout de même : en mer de Chine, tous les pêcheurs sont équipés AIS. Ce qui est pratique pour les navires de commerce croisant dans ces eaux.
    Pourquoi pas ailleurs ?
    Pourquoi pas en Manche ? En mer du Nord ? Et pas seulement les grosses unités de pêche ?
    Pourquoi pas non plus les plaisanciers ?

  5. Ballast Water Exchange :
  6.        L'échange d'eau de ballast avant d'arriver dans un port de chargement, si les capitaines comprennent qu'il sert à quelque chose, pose des problèmes d'organisation et de responsabilité.
    L'échange d'eau de ballast à la mer dépend en premier lieu du navire sur lequel il doit être effectué. Cet échange est-il possible en mer en toutes circonstances ?
    Sur certains navires, problèmes de stabilité obligent, cela est définitivement impossible.
    Sur d'autres oui, mais là ce sont les conditions d'exploitation du navire qui font que cela, souvent, ne le devient plus.

           D'abord les navires sur lesquels le changement de ballast est impossible à la mer. Un problème qui semble résolu par l'installation d'équipements qui vont « stériliser » l'eau pendant le ballastage.
    Donc normalement un gain de temps et de soutes car il faut de toute façon ballaster.
    Et cela supprime aussi une grosse partie des problèmes de stabilité, le navire étant au port, donc en eaux calmes.
    Mais les navires sont construits pour une certaine cadence de chargement et déchargement. Alors certes on voit arriver sur le marché des installations capables de traiter l'eau de ballast à des cadences déjà assez élevées. Mais outre le problème de place à bord, car ces installations n'étaient pas prévues à la construction, les cadences sont encore trop faibles pour certains navires par rapport à leur cadence maximum de déchargement.
    La question qui se pose alors est : qui est ou devient responsable du temps perdu lors d'une opération commerciale de déchargement si le navire ne peut pas assurer la cadence demandée par l'installation portuaire ?

           Le changement de ballast à la mer c'est sous certaines conditions : ralentissement de la vitesse du navire et état de la mer. De plus l'eau utilisée lors de l'échange doit être prise à plus de 200 milles des côtes et à plus de 200 mètres de profondeur quand ce n'est pas 2000 : l'eau océanique.
    La plupart du temps, c'est possible, et il faut reconnaître qu'actuellement la vitesse n'est pas trop un problème, beaucoup de navires marchant à vitesse réduite. Qu'en sera-t-il le jour où la crise cessera ?
    Mais comment justifier un ralentissement dans les eaux adéquates pour changer de ballast ?

           A noter d'ailleurs qu'après avoir ballasté dans des ports tels que Donges en France ou Ningbo en Chine, il sera de toute façon nécessaire de refaire un changement de ballast à la mer. La « qualité » de l'eau, ou plutôt de la boue, ballastée étant telle qu'il faut impérativement s'en séparer le plus vite possible après appareillage pour éviter un dépôt trop important dans les ballasts ce qui diminue la capacité de chargement. Sur un VLCC, 50cm de boue, valeur normale en sortant de ces ports équivalent 65 000 barils de cargaison.

           Il y a aussi la traversée Mer de Chine vers Golfe Arabo-Persique. Le segment «sortie Sumatra – sud Ceylan» n'est pas assez long même à vitesse réduite pour changer tout le ballast. Le reste se fait dans l'Océan Indien. Le problème actuel, pas proche de sa fin, c'est la présence de pirates dans cette partie de l'Océan Indien. Ce qui empêche, pour des raisons évidentes, un ralentissement du navire, et force aussi les capitaines à choisir une route plus proche des côtes indiennes, plus sûres et moins fréquentées par les pirates, mais moins de 200 milles des côtes et aussi moins de 200 mètres de profondeur, donc en dehors de la réglementation.
    Autre problème : la Méditerranée. Il est préférable que l'échange se fasse avant d'entrer en Méditerranée, donc en Océan Atlantique, pour un navire venant par exemple des USA. Mais certains pays exigent que l'eau qui sera déballastée soit de l'eau méditerranéenne. Donc un deuxième changement de ballast, pour ne pas polluer la Méditerranée avec, par exemple, l'eau du Mississipi.

           Et si le mauvais temps ou l'état de la mer empêche le changement de ballast d'être fait dans les règles de l'art, même simplement incomplet, qui est alors tenu comme responsable ?

           A toutes ces questions, il serait bien que les capitaines, malheureusement un peu par habitude, ne pensent pas que la faute reposera sur leurs épaules.

  7. Un dernier point
  8.        Qu'il me soit permis dans le cadre de l'innovation technologique en matière de sécurité de rappeler qu'il y a toujours autant d'accidents avec décès et blessés graves lors des exercices de mise à l'eau des embarcations de sauvetage. Ce n'est certes que la sécurité et la vie des équipages, ni l'environnement ni la cargaison, mais on ne voit toujours rien venir pour éliminer ce problème récurent.
Cdt Hubert ARDILLON


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