Retour au menu
Retour au menu

Conditions de manœuvre des grands navires

Porte-conteneurs 16.000 et 18.000 EVP

       Si le Marco Polo et son sister ship le Jules Verne de la compagnie CMA-CGM sont à ce jour les plus grands porte-conteneurs existants, la sortie annoncée en juin prochain de la classe « Triple-E » de la compagnie danoise Maersk, leader du marché du transport conteneurisé, devrait voir arriver des mastodontes de 400 mètres de long pour une largeur de 59 mètres et un tirant d'air de 73 mètres (figure 1). La classe « Triple-E » doit son nom aux notions d'Efficience énergétique, d'Économie d'échelle et d'Environnement, contraintes environnementales imposées par l'OMI en matière de rejet de CO2 et de soufre. Livrables entre 2013 et 2015, ces PC d'un coût unitaire de 190 millions de dollars ont été commandés aux chantiers sud-coréens DSME pour un coût global de 5,7 milliards de dollars. Le contrat comporterait une option pour 20 autres navires supplémentaires. Cette politique est contradictoire avec l'annonce faite récemment par le Pdg de Maersk de se désengager progressivement de cette branche de transport pour se concentrer sur son secteur de services offshores et portuaires, plus stable et rentable.

Figures 1 : « Triple-E » Maersk de 18.000 EVP

       Néanmoins, il semblerait que la rationalisation du transport conteneurisé sur les lignes asiatiques soit d'augmenter le volume transporté par voyage plutôt que d'accroître la fréquence du nombre de navires de plus faibles capacités (des centaines de PC de faible capacité ont été démolis depuis 2009). Ces contraintes sont évidemment liées aux frais de soutes devenus très importants depuis la crise de 2008. Les vitesses de voyage sur ces lignes ont été déjà considérablement réduites, passant de 20-22 nœuds à 13-15 nœuds. L'optimisation de la propulsion, de la coque et de ses appendices s'inscrit dans cette nouvelle génération de navires. L'autre major du transport conteneurisé, MSC, se projette dans l'avenir avec les mêmes conclusions (voir Bulletin Manœuvre précédent). Et les Chinois ont commandé un nombre conséquent de PC de capacité identique.


Figure 2 : Evolutions de la taille des PC sur 10 ans


Figure 3 : Evolutions de la taille des VLCC

       Ces PC seront de loin, les plus longs et les plus larges navires en service dans le monde (figures 2 et 3). De façon à continuer de bénéficier des infrastructures portuaires existantes, la longueur de ces gigantesques PC est à peine plus grande de 3 mètres que les unités actuelles de 14.770 EVP en service. En revanche, la largeur des « Triple-E » atteint 59 mètres, contre 56m pour les « E-Class ». Cela permet d'ajouter une rangée de conteneurs sur chaque bord. Le Marco Polo demeure quant à lui à une largeur de 53 mètres. On parle alors pour ces PC de VLCS ou ULCS (Very ou Ultra Large Container Ship). Pour des questions d'accessibilité dans les ports et de clair sous quille nécessaire dans certains détroits (Malacca notamment), le tirant d'eau de 16 mètres est conservé (figure 4).


Figure 4 : 396 m de long ; soit 0,2 mille


Problématique liée au gigantisme des PC

       Le gigantisme de ces dernières générations de PC induit de nouvelles contraintes qui sont à rapprocher de celles des paquebots géants (ces dernières feront l'objet d'une autre étude à paraître dans un prochain bulletin). Afin de respecter les contraintes OMI de visibilité sur l'avant (moins de 500m de zone masquée au-delà de l'étrave), la passerelle a été avancée, disposition qui permet ainsi d'augmenter le nombre de rangs de conteneurs en pontée sur l'arrière (figure 5).


Figure 5 : Passerelle à 54 m au-dessus du niveau de l'eau
 
Figure 6 : Marco Polo en essai de remorquage (Photo Marine nationale)

       Avec le développement de ces navires en service, nous allons nous intéresser aux limites manœuvrières du porte-conteneurs de 16.000 EVP. La contrainte la plus importante est celle liée à la surface de voilure développée quand le PC est au maximum de ses capacités d'emport, à pleine charge sur un voyage retour, de l'Asie vers l'Europe, ou avec ses conteneurs en partie vides sur le voyage inverse, la surface de voilure évoluant peu. Les essais de remorquage du PC CMA-CGM Marco Polo réalisés au large de Brest le 09 mars 2013 avec le concours du remorqueur de haute-mer Abeille Bourbon confirme bien l'intérêt que portent les pouvoirs publics aux conséquences d'un mastodonte à la dérive à proximité des côtes, notamment par gros temps (figure 6). Sous l'autorité de la Premar Atlantique, ces essais réalisés par beau temps ont permis de valider la chaîne de coordination des équipes d'intervention (EEI) et des procédures de prise de remorque. Comme aucune réglementation n'impose de limite de taille, que ce soit sur les navires de charge et encore moins sur les navires à passagers, quelles sont les limites de manœuvrabilité de ces PC ? Par fort vent, la surface de voilure de ces PC est telle que le navire peut être en difficulté dans les cas suivants :

Une voilure de 18.000 m2

       Les accidents liés aux difficultés de maîtriser un navire sous l'emprise de sa très grande voilure sont très nombreux dont certains ont eu des conséquences mortelles. Les voilures développées par certains de ces paquebots et porte-conteneurs peuvent dépasser les 18.000m2 (figures 7 et 8).


Figure 7 : voilure de 18.000m2
 
Figure 8 : voilure de 20.000m2
A titre d'exemple, la plupart des navires en difficulté dans les ports à cause de leur forte voilure ont rompu leurs amarres sous la forte pression du vent décostant.


Figure 9 : PC MSC Lisiana
 
Figure 10 : Paquebot MSC Fantasia



Figure 11 : PC Debussy
 
Figure 12 : Costa Classica and MSC Poesia

       On constate que dans de nombreux ports, la capacité ou / et le nombre des remorqueurs disponibles ne sont pas suffisants pour assurer le maintien de la dérive de ces navires.

       Si on essaie de quantifier les contraintes subies par le PC soumis à un très fort vent traversier de 50 nœuds (conditions certes extrêmes mais réalistes), on constate que les forces de pression sont équivalentes à une poussée supérieure à 600 tonnes (figure 14). A partir des courbes de coefficient Fx, Fy et Cn qui sont issues de calculs en soufflerie réalisés par des laboratoires spécialisés (courbes de la figure 13), on en déduit les courbes de forces de pression pour un vent traversier de 50 nœuds en fonction du gisement pour un PC de 16.000m2 de voilure. On remarque que cette poussée atteint quasiment son maximum dès 70° de gisement (figure 13). La composante de vent longitudinale Fx reste négligeable ou tout au moins facilement compensable avec la propulsion. Le moment de lacet Cn caractérise le gisement du vent par rapport au navire où le PC aura le plus de mal à changer de cap (bras de levier le plus important par rapport au centre de gravité). Ainsi, c'est à 130°, vent sur le quart arrière, que le navire aura le plus de difficulté à évoluer. Et, c'est à 70° de l'axe du vent, Cn = 0°, que le navire pourra le plus facilement changer de cap. A l'intersection de la courbe où Cn et Fx sont nuls, c'est sa position d'équilibre. Fy devient le plus important entre 70° et 120° de gisement, la dérive sera maximum. Cette position d'équilibre peut être légèrement modifiée en fonction de la répartition des conteneurs en pontée.
Afin de vérifier mes calculs, j'ai réalisé des essais sur le simulateur de manœuvre (Logiciel Transas NTpro 5000) de l'ENSM de Marseille (figure 15). Pour un vent de Nord de 50 nœuds, on constate que le navire au maximum de sa capacité de chargement (16 mètres de tirant d'eau) dérive bien à sa position d'équilibre (gisement du vent entre 70° et 120°). La vitesse de dérive se stabilise à 2 nœuds (figure 16). Pour un chargement au 2/3 de ses capacités – tirant d'eau à 13 mètres, le cap de dérive reste inchangé (figure 17). En revanche, la vitesse de dérive augmente jusqu'à 2,2 nœuds. La diminution du nombre de rangs de conteneurs en pontée n'est pas compensée par l'augmentation du franc bord (3m), la voilure totale est moindre mais reste globalement répartie de manière identique que dans sa configuration pleine charge. La résistance de carène étant moindre, la vitesse de dérive devient plus importante.

       Comme nous l'avons constaté, c'est la composante latérale du vent Fy qui est la plus déterminante pour connaître la dérive du navire. Et comme la surface de voilure peut évoluer en fonction du chargement, la figure 18 donne la force de pression due au vent en fonction de la surface de voilure pour un coefficient Fy de 1,1.

Forces de pression dues au vent sur les œuvres mortes 90°à 50 nœuds


Figure 13 : Forces de pression par 50 nœuds de vent

Courbes des forces de pression exercées en fonction du vent de 50 nœuds


Figure 14 : Force de pression en fonction du gisement






Figure 15 : Passerelle du simulateur de manœuvre de l'Ensm, site de Marseille



Figure 16 : force latérale du vent, PC au maximum de charge – 16m de tirant d'eau


Figure 17 : force latérale du vent, navire en pontée au tiers – 13m de tirant d'eau


       Dans les figures 16 et 17, les diagrammes enregistrent la direction et la force du vent ainsi que la force de pression latérale du vent . Sur la partie gauche du graphique, les valeurs oscillantes sont les relevés par vent en rafales, la partie droite mesurant une force de vent constant à 50 nœuds. Toute l'étude est réalisée par vent constant, donc en statique. Dans le cas de vent en rafale, les valeurs relevées sont beaucoup plus importantes, on est dans le domaine de la dynamique, plus proche de la réalité. Les résultats sur lesquels je base mes conclusions sont donc à minima.


Fy à 90°en fonction surface Sl


Figure 18 : Force de pression latérale en fonction de la surface de voilure


       Les graphiques 14 et 18 devraient faire partie des informations des « wheel house poster » affichées en timonerie ou inclus dans les logiciels de calculs de capacités limites du navire.


Capacité à tenir une Route fond avec un vent traversier de 50 nœuds

       Les PC de dernières générations bénéficient d'un moteur à injection électronique, ce qui leur permet en autre de fonctionner à des vitesses de transit peu élevées (« slow steaming ») sans trop encrasser. L'inconvénient est la perte de puissance très importante dans les faibles allures (entre 5 et 6 nœuds au premier cran « dead slow ahead », soit 10% de la puissance nominale) – figure 19.

Figure 19 : puissance développée par le CMA-CGM Marco Polo


       En reprenant les conditions évoquées précédemment de vent traversier de 50 nœuds, on calcule que pour conserver une Route Fond avec un cap qui permet de compenser une dérive de 10°, il faut une vitesse minimale de 8,8 nœuds (figure 20), ce qui est validé au simulateur (figure 21). Le simulateur est plus optimiste que le calcul en affichant un angle de dérive moyen de 6° au lieu de 10° (figure 22). On note sur ces deux figures l'angle de barre de 15° à tribord qui compense l'auloffée naturelle du navire en marche avant.


Figure 20 : Vitesse minimale avec 10° de dérive pour compenser vent traversier de 50 nœuds.


Figure 21 : vitesse minimale de 8,5 nœuds pour tenir la Rf avec 10°de dérive au vent.



Figure 22 : diagramme de la dérive et de la force de résistance latérale


Au simulateur, arrivé à une vitesse de 7 nœuds, le navire en mettant la barre toute à droite n'arrive pas à compenser l'auloffée et la dérive. Il finira par s'échouer sur le côté sous le vent du chenal (figure 23).


Figure 23 : Par 50 nœuds, en-deçà de 7 nœuds le navire part au lofe avec la barre tout à contre


Vitesse minimale par surface latérale en m2 pour tenir une dérive de 10°

       Afin d’anticiper le risque de dérive dû à une trop faible vitesse, la figure 24 indique en fonction de la surface de voilure la vitesse surface Vs minimale que doit avoir le navire pour suivre la Route fond imposée, toujours avec un angle de dérive de 10° au vent.
En reprenant la vitesse minimale du navire au cran DSAH, soit une vitesse de 5,2 nœuds, le navire chargé au maximum peut tenir un cap jusqu’à 30 nœuds de vent latéral. Au-delà, le navire dérive sous le vent de sa Route Fond.


Figure 24 : Vitesse minimale par surface latérale en m2 pour tenir une dérive de 10°.
Figure 25 : Position d'équilibre en marche avant : auloffée.
 
       Sur la figure 23, on constate que le navire essaye de maintenir son cap en mettant la barre tout à droite. En effet, l'action du vent sur les superstructures crée une dérive sous le vent contraignant le navire à progresser en marche oblique. La répartition des forces de pression de l'eau sur la coque n'est alors plus équilibrée. Sous l'action du vent sur bâbord, une force résultante de l'action de l'eau sur la carène apparaît à l'avant sous le vent et dirigée vers l'arrière (figure 25). Ce moment MR tend à faire lofer le navire. Ce moment augmente proportionnellement avec le vent et au carré de la vitesse surface. Si la vitesse surface n'est pas suffisante, le navire va lofer inexorablement et dériver.

Ces contraintes de tenue de cap sont déterminantes notamment en navigation dans les eaux resserrées, en chenalage dans les voies d'accès étroites. Ainsi, on peut imaginer que la prise du pilote ne sera possible que par vent inférieur à 30 nœuds (cran DSAH), que la vitesse minimale de transit est de 8,8 nœuds par vent de travers de 50 nœuds. Qu'en est-il alors si le navire est contraint de réduire ?

Squat

       L'augmentation de voilure et de taille sur les PC a-t-elle une influence sur la gîte par fort vent ? En première approximation le surenfoncement du navire (formules approchées de squat-Barras) est d'environ de 0,6 mètre en chenal ouvert et de 1,2 mètre en canaux à une vitesse de 10 nœuds (figure 26) ; valeurs confirmées en simulation (figure 27).



Figure 26 : Squat calculé pour le PC de 16.000 EVP



Figure 27 : Squat mesuré pour le PC de 16.000 EVP


       Les contraintes dues au squat sont évidemment déterminantes pour un transit dans les eaux resserrées. A titre d'exemple, la figure 28 illustre un calcul de squat avec le logiciel embarqué « MAC » de la compagnie CMA-CGM. Exemple de squat pour un PC de 100.000 tonnes de port en lourd ; 8.500 EVP, 334 mètres de long en transit à 10 nœuds dans le canal de Suez. Dans ce canal « fermé » de 25 mètres de profondeur et 150 mètres de large, le PC en route à 10 nœuds a un surenfoncement de 0,84 mètre.


Figure 28 : logiciel embarqué sur les PC de la CMA-CGM pour le calcul de squat.


Variation de gîte - Gm

       La largeur des PC atteint 60 mètres. En giration, le navire va prendre de la gîte qui est proportionnelle à sa vitesse (force centrifuge) et à sa stabilité (valeur du Gm). En situation normale (Gm faible), la gîte ne dépasse guère 2°. Avec un fort vent traversier, la résistance de l'action de l'eau sur la carène limite la gîte. Néanmoins, un degré de gîte entraîne une augmentation du tirant d'eau de 50 centimètres (figure 29).


Figure 29 : Augmentation du tirant d'eau en fonction de la gîte pour le CMA-CGM Marco Polo.


Plus le Gm est faible, plus le vent fera gîter le bateau et par conséquent augmentera le TE. Ceci est d'autant plus vrai que le navire est large. Considéré comme dangereux au-dessous d'un mètre, le navire va gîter fortement (figure 30a). Pour un Gm proche de 1,30m, la valeur de la gîte peut atteindre 5°, soit une variation de tirant d'eau de 2,5m, ce qui est considérable en eaux resserrées (figure 33). Les PC essaient souvent de naviguer avec un Gm élevé, évitant ainsi de ballaster, le poids d'eau des ballasts (poids mort) étant au détriment du nombre de conteneurs embarqués. Néanmoins, un Gm trop élevé engendre des couples de rappel au roulis trop importants augmentant le risque de perte de conteneurs dans les hauts (figure 30b), rupture des saisines.


Figure 30a : Gm de 2m, gîte de 3°
 
Figure 30b : Gm de 4m, gîte de 1°


La valeur du Gm a une incidence directe sur le rayon de giration. Plus le Gm est faible, plus le rayon de giration sera grand (figure 31).


Figure 31 : variation du rayon de giration en fonction du GM.


Exemple de squat en giration par chenal ouvert

       En considérant un chenal ouvert dragué à 18 mètres, le PC transitant à 12 nœuds avec un degré de gîte dû au vent ou à une giration lente verra son clair sous quille réduit à 0,67m ce qui est inférieur au pied de pilote habituellement pris de 1 mètre (figure 32).

Figure 32 : clair sous quille par chenal ouvert.


Figure 33 : Variation du tirant d'eau en fonction de la gîte


En situation d'urgence, ces PC, contraints de venir en grand sur un bord pour éviter un danger pourraient s'échouer à cause de leur grande largeur, la valeur de variation de tirant d’eau étant plus importante par la gîte que par surenfoncement dans un chenal ouvert (figure 32). Une prise de gîte de 2°, courante avec du vent latéral ou en giration, équivaut à la valeur du pied de pilote pris habituellement.
La valeur du Gm calculée dans les logiciels de chargement a une incidence directe sur la variation du tirant d'eau du navire en giration dans un environnement en eaux resserrées. Les courbes de la figure 30 devraient faire partie des contraintes limites accessibles au manœuvrier en passerelle.


Capacités de manœuvre à quai

Si l'on se réfère aux valeurs de forces de pression dues au vent latéral (figure 18), on est amené à se poser deux questions :
  1. Combien faut-il de remorqueurs pour accoster ou décoster un PC par vent fort latéral, en tenant compte de ses moyens de propulsion propres ?
  2. Combien faut-il de remorqueurs pour maintenir le navire à quai pendant ses opérations de chargement par fort vent décostant ?

       Le PC CMA-CGM de 16.000 Evp possède une seule ligne d'arbre et 2 propulseurs d'étrave (figure 34). Dans les ports fréquentés par ce type de porte-conteneurs, pour des raisons évidentes d'exiguïté de manœuvre, de rapidité et de sécurité, toutes les manœuvres de port sont réalisées à l'aide de remorqueurs en combinaison des moyens propulsifs propres au navire. Néanmoins, on peut faire le bilan des forces latérales produites par le navire qui viendront en déduction des moyens portuaires. Contrairement aux navires équipés de deux lignes d'arbre ou deux pods comme les paquebots et ferries, le PC ne dispose que d'une composante latérale réduite à l'arrière. En effet, l'action cumulée de la machine en avant et de la barre toute d'un bord ou de l'effet de pas associé à l'effet de voûte sur bâbord en marche arrière engendre automatiquement un déplacement longitudinal. Cette contrainte limite l'emploi durable de la machine en marche avant et arrière, ce qui nécessite l'emploi de remorqueurs à l'arrière. Cette contrainte est moindre à l'avant en raison de l'efficience des deux propulseurs à l'avant.


Figure 34 : caractéristiques propulsives du CMA-CGM Marco Polo


       Prenons l'exemple de la figure 35. En tenant compte de la capacité des 2 propulseurs à l'avant (poussée de 2 x 48 tonnes), d'un « coup de fouet » avec la machine en avant (20 tonnes), la poussée propulsive latérale permettrait d'étaler un vent traversier de 20 nœuds. Ce type calcul a plus de sens pour les navires équipés de deux lignes d'arbre mais reste limité pour les navires à une ligne d'arbre, la composante latérale arrière étant très difficile à maintenir d'une manière constante. Ce calcul mériterait d'être réalisé avec les « Triple E » de 18.000 Evp de Maersk qui seront équipés de deux lignes d'arbre. En manœuvres portuaires, la différenciation machine avant / machine arrière associée à la poussée latérale obtenue par les safrans tout d'un bord devrait considérablement améliorer les conditions manœuvrières de ce PC. En première approximation, on admet que la poussée latérale arrière par différenciation est équivalente à la poussée d'un remorqueur.

       Ce qui nous amène à calculer le nombre de remorqueurs nécessaire pour les manœuvres ou le maintien à quai. Le PC subit une pression de 250 tonnes pour un vent latéral de 30 nœuds (figure 36). En considérant une poussée nominale de 40 tonnes de « bollard pull » par remorqueur (les ports sont en général équipés de 2 types de remorqueur, 40t pour les Voïth et 70t pour les azimutaux), il en faudrait dans notre exemple au moins cinq, quatre si l'on considère que la poussée des propulseurs équivaut à un remorqueur. Le tableau de la figure 37 indique le nombre de remorqueurs en fonction de la force du vent, sans propulseurs et composantes à l'arrière.


Figure 35 : calcul de poussée transversale avec la seule propulsion du PC.


Figure 36 : forces de pression dues à un vent latéral de 30 nœuds.


Figure 37 : nombre de remorqueurs nécessaire pour maintenir le navire en fonction de la force du vent latéral.

Figure 38 : Maintien à quai du PC par fort vent décollant par des remorqueurs poussant en route.


Au-delà de 30 nœuds de vent décostant ou accostant, les manœuvres d'accostage et d'appareillage ainsi que les opérations de chargement deviennent très délicates. Un minimum de 4 remorqueurs serait alors nécessaire. Ce sont d'ailleurs les valeurs limitatives généralement admises par les commandants de ces grands porte-conteneurs.
Ce seuil de 4 remorqueurs disponibles en même temps en cas d'urgence, même dans les ports bien équipés est rarement atteint, ce qui conduit à de nombreux incidents. Imaginons le stress du commandant qui, dans des conditions de vent limites doit prendre une décision d'escaler ou pas, avec toutes les conséquences commerciales qui en découlent !


Remorquage

       Les essais de remorquage conduits par l'Abeille Bourbon ont été réalisés par vent de 17 nœuds et mer plate, sans houle, autant dire dans des conditions idéales (figure 39). Mais qu'en serait-il si cette prise de remorque devait se faire en conditions hivernales avec de la houle, avec un navire privé d'énergie, la barre bloquée d'un bord ?


Figure 39 : prise de remorque du Marco Polo par l'Abeille Bourbon au large des côtes bretonnes en 2013
 
Figure 40 : remorquage du MSC Napoli par les RIAS Abeille Bourbon et Liberté en 2007


Figure 41 : Smit-bracket du PC CMA-CGM Almaviva
 
Figure 42 : Pantoire du Smit-bracket
 
Figure 43 : système de remorquage en place dans son stoppeur d'urgence arrière
       La prise de remorquage est une manœuvre délicate notamment par mauvais temps. En remorquage d'urgence, le remorqué est souvent privé de propulsion, ce qui oblige le remorqueur à fournir la remorque. Ces dispositions sont d'ailleurs préférables, le remorqueur garantissant ainsi la qualité de l'attelage. En revanche, le point d'ancrage de la remorque, qui est crucial, est parfois mal défini. La réglementation impose pourtant qu'il soit identifié dans les procédures de remorquage d'urgence. Certains types de navires ont cependant l'obligation de posséder du matériel spécifique. Pour les pétroliers et les gaziers dont le port en lourd est supérieur 20 000 tonnes, la convention SOLAS impose à ces derniers d'être équipés à l'avant et à l'arrière d'un système de remorquage d'urgence (« Emergency Towing Arrangement »). Ce système doit pouvoir être déployé sans délai et sans faire appel à la source d'énergie principale du navire. Il est composé à l'avant d'une chaîne de mouillage d'une dizaine de mètres et d'un stoppeur aligné sur le chaumard axial ou d'un « Smit-bracket », point fixe sur lequel vient se mailler cette chaîne (figures 41 et 42).
Ce dispositif est complété à l'arrière d'une pantoire de remorque, avec point fixe sur touret freiné (figure 43). Bien que ce ne soit pas obligatoire, les PC récents disposent de ce dispositif à l'avant, ce qui est le cas du CMA-CGM Marco Polo.

       Tentons de simuler une prise de remorquage. Avec un vent transversal de 30 nœuds, on mesure une force latérale du vent de 150 tonnes. Le remorqueur est à sa position d'équilibre cul au vent, sous le vent du remorqué (figure 44).


Figure 44 : prise de remorque sous le vent (30 nœuds et 2 mètres de creux.


       Le remorqueur manœuvre pour venir face au vent et tenter de faire pivoter le remorqué. Le moment de lacet est maximum à ce gisement du vent (figure 45 -courbe rouge) mais le remorqué commence à venir malgré sa position d'équilibre stable travers à la houle. La tension de la remorque doit être progressive ; on note des pics de tension à 175 tonnes (figure 45 -courbe bleue).


Figure 45 : début de traction pour faire venir le navire dans l'axe du vent.


       Une fois les deux navires face au vent, le train de remorque arrive à maintenir une vitesse de 1 nœud pour conserver une tension sur la remorque inférieure à 200 tonnes. Une fois la vitesse stabilisée, la tension mesurée est de 72 tonnes (figure 46).


Figure 46 : attelage en route à 1 nœud


       Au-delà de 30 nœuds de vent, les capacités d'étaler la dérive et de remorquer le PC dérivant travers au vent seraient extrêmement délicates. En effet, le remorqueur n'aurait pas la puissance nécessaire pour faire pivoter le navire. Comme le démontre la simulation de la figure 47, par 50 nœuds de vent et 3 mètres de creux, le remorqueur est entraîné par la dérive du porte-conteneurs. La tension exercée sur la remorque (figure 47 -courbe bleue) dépasse les 200 tonnes, les forces de pression latérales dues au vent atteignant 450 tonnes !


Figure 47 : tentative de remorquage par 50 nœuds de vent


Il est nécessaire de rester très réservé quant aux capacités à étaler la dérive et a fortiori de remorquer un PC de très forte voilure par un seul RIAS dans des conditions de vent supérieur à 30 nœuds avec une houle significative. D'autant qu’on se rappelle qu'en 2007, l'Abeille Bourbon et l'Abeille Liberté n'avaient pas été trop de deux pour prendre en charge le MSC Napoli (ex CMA-CGM Normandie), dont le gabarit (275 mètres de long, 4.400 EVP) était bien inférieur à celui du PC CMA-CGM Marco Polo (figure 40).


Hervé BAUDU,
Professeur en Chef
de l'Enseignement Maritime,
Membre de l'Académie de marine

Références :

Traité de Manœuvre H.Baudu, Editions Infomer:
  1. Position d'équilibre page 180
  2. Faisabilité de manœuvre page 241
  3. Calculs de pression du vent page 250
  4. Remorquage page 400


Retour au menu
Retour au menu