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Le gigantisme en construction navale
et ses conséquences sur la sécurité des navires


par MM. Pierre de LIVOIS, Directeur adjoint de la division marine du Bureau Veritas
et Bernard PARIZOT, membre de l’Académie de marine

Merci à M. J.L. GUIBERT et aux auteurs de nous autoriser à publier cet article paru dans la revue Navigation



Résumé

Cet article traite de l’évolution croissante des dimensions de différents types de navires tels que les pétroliers, les vraquiers, les gaziers et les navires à passagers. Cette évolution résulte du contexte économique mais a été rendue possible notamment grâce au développement de l’informatique mais aussi de l’amélioration des matériaux, en particulier des aciers utilisés, et de la qualité des méthodes et moyens de soudure.
Ce sujet a fait l’objet d’une conférence à l’Académie de marine, le 3 mai 2006, on en trouvera ici les extraits des parties essentielles.
Introduction

       On a vu dans les années soixante, le tonnage des pétroliers doubler tous les deux ans : 30 000 t, 60 000 t, 120 000 t, 240 000 t, pour terminer au début des années soixante-dix par les 550 000 t, ou voir en 2005 ou 2006, la capacité des méthaniers passer de 130 000 à 240 000 m3 et celle des porte-conteneurs de 6 000-8 000 EVP à 13 000-15 000 EVP. Ces évolutions se traduisent par le même genre de défis à relever.

       Le gigantisme découle d’un processus très général, que l’on pourrait dire indissociable de toute activité humaine. Il a existé dans toutes les civilisations qui nous sont connues, Egypte, Grèce, les mégalithes celtes, les cathédrales, Versailles, etc. La différence avec celui avec lequel nous vivons vient de ce qu’il était plutôt la manifestation de puissance d’un individu ou d’une communauté d’individus, alors qu’il se présente aujourd’hui avec une justification économique.

       Construction navale et transport maritime n’ont aucune raison d’échapper à ce phénomène de gigantisme ainsi d’ailleurs que les autres systèmes de transport. Les conditions de son apparition sont très simples : il faut qu’à l’origine se crée un trafic « spécialisé », de quelque nature que ce soit, bananes, viande réfrigérée, voitures, bien entendu hydrocarbures et dérivés. Il apparaît rapidement que la qualité et la rentabilité de ce transport spécifique peuvent être considérablement améliorées avec l’utilisation de navires spécialisés, bananiers, navires frigorifiques, etc. Si la demande de transport continue à croître, alors la taille des navires spécialisés augmente elle-aussi, et elle peut augmenter très rapidement, si l’on prend en considération la tendance à la spéculation qui est une seconde nature de l’armement maritime.

       Il y a quelque chose de contradictoire entre la prudence des marins et des ingénieurs navals ﷓ qui savent qu’ils sont confrontés avec les exigences d’un milieu naturel, la mer, qui ne livre pas facilement ses secrets, d’où une certaine réserve dans l’augmentation des tailles des navires ﷓ et cette course à la spéculation sur la capacité de transport de ces navires qui, dans bien des cas, a empêché la maîtrise des problèmes techniques que cela posait.

Cela étant, les équipes qui se sont chargées du Normandie ou du Richelieu avant la guerre n’ont pas eu d’état d’âme ; elles ont étudié des navires qui, à leur livraison, étaient des réalisations magnifiques. Elles l’ont fait avec les outils qui étaient les leurs, en suivant les normes de sécurité en vigueur à l’époque. Les archives du paquebot Normandie ont été détruites pendant la guerre ; le Bureau Veritas de Saint-Nazaire avait eu la chance de les conserver et les a redonnées aux Chantiers de Penhoët après la guerre, lors des premières études du paquebot France. Et à leur examen, M. Laredo, ce grand architecte naval qui présidait au destin du projet, s’est écrié : « mais comment ont-ils pu faire un tel navire ? L’escalier de la grande salle à manger des premières s’étale sur quatre hauteurs d’entrepont. Moi, je dois fermer l’escalier à chaque étage, les règlements m’y contraignent. ».

Disons, une fois de plus, que chaque époque a son gigantisme.

Les navires pétroliers

Généralités


Port en lourd unitaire maximal en fonction des années de livraison, établi sur les navires livrés en France. A cette époque, la France était un très gros constructeur de pétroliers.
         C’est cette catégorie de navires qui a été atteinte la première par le phénomène du gigantisme. Au début des années soixante-dix, comme le montre ce graphique (Figure 1), on voit que l’on passe de 31 000 t en 1950 (Bérénice, Bethsabée, navires Getty et Onassis) à 220 000 t en 1970, soit un port en lourd multiplié par 7.

       Mais ce qui est surtout à signaler dans ce graphique c’est la pente de la courbe. S’il a fallu dix ans pour passer de 100 000 à 200 000 t, le début des années soixante-dix montre une croissance quasi exponentielle : 250 000 à 550 000 t en quatre ans. Il n’était pas illogique alors d’envisager le million de tonnes dans un délai de quatre ans également et on comprend la décision de grands responsables de chantiers navals de se doter de moyens de production correspondants. Cela a été le cas de M. Pierre Loygue à Saint-Nazaire. Le grand dock de construction de Saint-Nazaire, celui que l’on appelle le bassin C, permet la construction d’un pétrolier d’un million de tonnes, avec une largeur de 90 m ; les 550 000 t ont été armés dans ce bassin, le Queen Mary 2 a été mis en cale sèche dans ce même bassin. Il suffisait d’augmenter légèrement sa longueur pour être compatible avec ce million de tonnes qui aurait eu les dimensions suivantes :L=475m, B=80m, C=43m, T=33 à 35m. Les projets avaient été poussés très loin, il y avait même une solution à propulsion nucléaire.

Considérons les principales caractéristiques de pétroliers représentatifs de ces étapes de croissance :
  • Bérénice, 31 000t livré en 1950 par les Chantiers de l’Atlantique à la Compagnie Auxiliaire de Navigation (record mondial à l’époque) : L=202 m Port en lourd=31444 t ;
  • Isocardia, 60 000 tdw, livré en 1960 par les mêmes à la Société Maritime Shell ;
  • un 120 000 tdw, série Saintonge, Dauphiné, Bételgeuse, livré en 1968 ;
  • Magdala, 211 780 tdw, livré par les Chantiers de l’Atlantique à la Société Maritime Shell, en 1968 : L=324,72 m, B=47,17 m, C=24,5 m, T=17,68 m, épaisseur fond=27 mm, DH épaisseur minimale=10,5 mm.
       Ce qui est intéressant c’est de noter les valeurs des épaisseurs principales : les bordés de fond de Bérénice sont en 31 mm. On voit également que les constructeurs ont retenu une solution « conservatrice », avec des joints rivés aux bouchains, sur le pont, à la jonction carreau-gouttière, qui tenait lieu d’arrêteurs de criques (les crack-arrestors). On avait encore à l’esprit les ruptures brutales des Liberty-ship américains et la confiance dans la mise en œuvre des aciers était limitée.

       Pour les 120 000 tdw, l’épaisseur des fonds est de 26 mm en acier DH (limite d’élasticité égale à 325 N/mm2). Pratiquement, le tonnage a été multiplié par 7 et les épaisseurs ont très peu varié.

       Il est nécessaire de rappeler le contexte économique de l’époque et l’atmosphère qui régnait chez les armateurs avec cette demande toujours plus impérieuse de transport de brut et, en face d’eux, des chantiers limités par leur capacité de production et leurs possibilités d’investissement. Le mot d’ordre était de gagner du poids de coque métallique et donc d’accroître le port en lourd pour une taille donnée, l’opération s’accompagnant subsidiairement d’un gain financier pour le constructeur par la diminution du poids de tôles à traiter. Aucune de ces catégories de navires, dont le port en lourd doublait à chaque fois, n’a rencontré de problèmes significatifs de structure. Tout au plus pouvait apparaître, comme un signe prémonitoire, un régime de vibrations préoccupant dans les éléments de tôlerie de la tranche citernes. Les ingénieurs, tant dans les chantiers que dans les sociétés de classification, considéraient que si la longueur de la poutre navire augmentait, et avec elle les efforts de chargement, la capacité de résistance de la section droite de cette poutre serait suffisante. Ajoutons que les marges de sécurité, très importantes, étaient susceptibles d’être réduites et que les procédés de soudage et la qualité des aciers permettaient une bien meilleure qualité des constructions. C’est à cette époque que l’on voit apparaître les aciers à haute limite d’élasticité élaborés pour la construction civile, les qualités « militaires » ayant été utilisées depuis longtemps.

       C’est également durant cette période que les Sociétés de classification, poussées en cela par les armateurs et à leur demande expresse, ont accepté des réductions d’épaisseur des tôles en diminuant leur marge d’usure et de corrosion, normalement incluse dans l’échantillonnage initial. On avait donc un navire neuf déjà usé dans une proportion non négligeable et c’était à l’armateur de prendre les précautions pour limiter la corrosion durant l’exploitation (peinture, anodes) ou bien d’avancer les dates des travaux de maintenance.

1968 : le Magdala

       Ce navire faisait partie d’une série de navires de 220 000 t commandés par Shell Tanker UK aux Chantiers de l’Atlantique. Dans le cadre des études menées pour diminuer les poids (une coque métallique d’un navire de ce type pesait environ 22 000 t), on a tout d’abord appliqué, à la demande de l’armateur et avec l’accord du Bureau Veritas, la diminution de la marge réglementaire de corrosion. L’épaisseur minimale des éléments était donc de 10,5 mm au lieu de 11,5 mm. La structure transversale des citernes latérales consistait en de grandes poutres hautes et basses, d’une hauteur d’âme de 7 m dans la partie haute et de 5,5 m dans la partie basse, espacées de 5,5 m. De ce fait, les tirants horizontaux avaient été supprimés. Tout se passe bien, jusqu’aux essais hydrauliques des citernes avant livraison, durant lesquels on constate un affaissement des citernes latérales par rapport aux centrales, entraînant un déversement de ces grandes poutres. Même si ces déformations ne sont que de l’ordre du centimètre, elles ne sont pas acceptables. Après un rapide examen, on s’est rendu compte que les sociétés de classification et les bureaux d’études du chantier avaient mal pris en compte la capacité de résistance au flambement de ces grandes poutres transversales, très élancées pour leur épaisseur ; les méthodes de calcul empiriques étaient trop rudimentaires.

       On a renforcé le navire, toutes les transversales des citernes latérales, les bords des découpures d’allègement ; cela a représenté quelques 400 à 500 tonnes et comme dit précédemment, le navire a eu une carrière courte mais sans problème. Mais la véritable leçon du Magdala, quelle est-elle ? On venait tout bonnement de sonner le glas de l’ère de l’extrapolation. De nombreuses générations d’ingénieurs suivaient la pratique de l’extrapolation. Comment cela se passait-il ? On partait d’une situation bien connue qui, la plupart du temps, avait déjà la sanction de l’expérience. Si, pour le futur projet, on augmentait une dimension ou une grandeur de 10%, on augmentait de façon homogène toutes les grandeurs concernées de 10% (parfois 15% en vertu du « Trop fort n’a jamais manqué »). Ne caricaturons pas, et plutôt que le linéaire, on pouvait faire appel à des courbes en x2, x3 suivant les éléments concernés, mais cela signifiait toutefois que la sécurité du futur reposait sur celle du passé ou du présent. Comment pouvait-on continuer dans cette voie, si l’on imagine qu’un chantier reçoit commande d’un 120 000 tdw alors que le navire de 60 000 tdw est encore sur la cale de construction ? Comment peut-on faire appel à l’expérience dans ces conditions ? Et c’est bien ce qu’ont vécu les équipes de cette époque.

       Ce sont ces incidents – (il y a eu d’autres avatars du même ordre ; on peut citer les incidents survenus sur une série de 220 000 t étudiés en Allemagne, construits à Howaldswerke Deutsche Werft, pour ESSO dont 2 sisterships étaient commandés à Saint-Nazaire, et dont les transversales de fond avaient flambé aux essais.)- qui ont donné naissance à une nouvelle approche de la conception des structures métalliques en construction navale. On a considéré le pétrolier comme une entité bien définie, une individualité et non pas un dérivé d’une famille donnée de navires.

       C’est à peu près à cette époque - fin des années soixante et début des années soixante-dix - que les outils informatiques ont commencé à se répandre dans les bureaux d’études en apportant aux équipes de R & D la puissance de calcul qui permettait de mener à bien, dans des conditions de délai raisonnables, les investigations qui ont permis de définir les méthodes directes d’échantillonnage des coques métalliques.

       Cette mise à disposition des moyens informatiques était nécessaire ; elle n’était pas suffisante, et l’on rappelle les trois étapes que comporte la validation de la sécurité d’une structure :
  • la connaissance des charges auxquelles est soumise cette structure ;
  • l’évaluation des contraintes dans les différents éléments de cette structure ;
  • l’interprétation des résultats et la fixation des niveaux acceptables de contraintes dans ces éléments.
Ce sont les progrès considérables obtenus dans ces trois domaines qui ont permis de maîtriser les problèmes de structure des VLCC et des ULCC.

En bref :
  • On est parvenu à une identification des états de mer, grâce aux investigations intimement liées à la science de la météorologie et, de ce fait, on a été en mesure de positionner le navire dans son environnement réel en déterminant ses mouvements sur la houle, pour aboutir à un schéma de chargement de la structure, d’une part par la cargaison, y compris les efforts d’inertie, et d’autre part par les efforts engendrés par la houle. Dans la grande majorité des cas, les ingénieurs font appel à des valeurs statistiques couvrant les secteurs de navigation prévus. Pour les pétroliers de cette taille, c’est bien entendu world wide; il peut être toutefois signalé que des navires de l’ordre de 100 000 tdw, utilisés en allégeurs de ULCC à fort tirant d’eau, ont pu bénéficier de conditions moins sévères pour leur échantillonnage en raison des zones de navigation dans des eaux relativement abritées.
  • Comme il est de règle en informatique, les logiciels mis à la disposition des bureaux d’étude sont devenus de plus en plus performants dans un temps toujours plus court, que ce soit dans la description des structures pour définir le modèle de calcul ou que ce soit pour les codes de calculs eux-mêmes. Puisque nous parlons de gigantisme, notons que celui qui affecte les outils informatiques est sans commune mesure avec celui qui est l’objet de notre exposé, ces outils devenant systématiquement obsolètes au bout de deux ans. Ces codes sont à même de résoudre dans un délai tout à fait compatible avec des impératifs industriels de nombreux chargements de la structure sur des modèles comprenant des dizaines de milliers d’éléments. Les sorties ordinateur sont présentées de telle sorte que les utilisateurs peuvent les utiliser facilement.
  • Enfin, tout cela ne servirait à rien, si l’on n’était pas capable de décider si les résultats sont acceptables pour la tenue dans le temps de la structure. Et ce sont les connaissances acquises sur la qualité des matériaux, leur élaboration et leur mise en œuvre qui ont pu en quelque sorte donner aux ingénieurs la garantie sur leur emploi dans la structure. De très importants et très longs programmes de recherche et d’essais ont été mis en place dans ce but. C’est ainsi que l’on a mis au point l’élaboration de qualités d’acier particulièrement résistants à la rupture brutale (aciers à très basse teneur en soufre) et que l’on a généralisé l’emploi des aciers du commerce à haute limite d’élasticité. On ne soulignera jamais assez le rôle primordial joué par nos collègues de la sidérurgie dans les progrès de la construction navale, en permettant la mise en œuvre de matériaux d’un bon niveau de qualité, tout en restant dans des gammes de prix acceptables pour cette industrie. L’Europe, et particulièrement la France, était chef de file dans le domaine. Et que dire des progrès réalisés dans la mise en œuvre des procédés de soudage, associés d’ailleurs à une qualité de préparation de plus en plus élevée ?
  • Un secteur primordial de ces travaux de recherche, concerne la connaissance du comportement en fatigue des structures. On a défini avec la meilleure précision possible les cycles de mise en charge ; on a étudié les détails de structure par le calcul et par des essais en laboratoire. Ces recherches continuent et les spécialistes considèrent qu’il s’agit là du facteur primordial de garantie de la sécurité des structures. On a pu ainsi aboutir à un échantillonnage optimal, assurant donc la plus économique répartition des matériaux. En définitive, ces navires étaient soumis à un degré de contrainte plus faible que leurs prédécesseurs, tout en étant plus légers. Tout le monde était satisfait. En service, la situation ne serait pas aussi brillante.
Quelques sorties ordinateur résument ce rapide développement :


Cartographie des contraintes
  • modélisation de la structure d’une tranche citernes ;


  • niveau de contraintes dans la tranche;


  • calcul affiné dans une zone des citernes ;


  • estimation de la durée de vie en fatigue d’un détail de structure.


1970 : les pétroliers de 550 000 tonnes

Quelques mots de ces navires qui se situent au sommet de la courbe du gigantisme.


BATILLUS
  La France a tenu le record du monde, avec quatre navires commandés aux Chantiers de l’Atlantique au début des années soixante-dix : deux pour la Société maritime Shell, Batillus et Bellamya et deux pour la Compagnie nationale de navigation (CNN), à l’époque filiale de transport maritime du groupe Elf, Pierre Guillaumat et Prairial. Les livraisons ont eu lieu entre 1976 et 1979. Caractéristiques générales :
  • Épaisseur de fond = 27,5 mm DH
  • Épaisseur de muraille = 25 mm
  • Épaisseur minimale = 14,5 mm
  • Épaisseur de pont = 25,5 mm
  • L = 414,22 m longueur hors tout
  • L = 395,73 m, longueur de calcul
  • B = 63 m
  • C = 35,9 m
  • T = 28,6 m
  • DWT à ce tirant d’eau = 553 600 tonnes.

Il y a 41 citernes, réparties en 9 tranches principales.

       La maîtresse section a été bien évidemment échantillonnée par les méthodes mentionnées précédemment. À signaler l’originalité de cette structure : le creux des citernes étant plus grand que leur largeur et leur longueur, il était logique de disposer le raidissage primaire horizontalement pour réduire la portée des éléments ; il y a ainsi 6 serres qui supportent elles-mêmes les poutres constituant les anneaux transversaux. C’est une disposition judicieusement adaptée à cette structure qui permettait en outre de se déplacer assez aisément dans les citernes en empruntant les plateformes que constituaient les serres. (échafauder une capacité de 36 m de hauteur est une opération coûteuse et dangereuse).

       C’est également sur ces navires qu’ont été mis au point les calculs de comportement à la mer et la réponse aux vibrations engendrées par la houle ou par les appareils propulsifs. Ces navires ont été une incontestable réussite technique. Mais, pour des raisons économiques, à partir de 1983, la Société maritime Shell décidait de vendre les navires à la casse. Elf se séparait également de ses deux navires ; l’un terminera comme ponton de stockage, l’autre serait encore exploité.

       Il n’y avait pas que la structure métallique qui était une réussite, mais également la production d’énergie, les équipements, et la propulsion malheureusement non redondante d’où un problème important de manoeuvrabilité (notamment au « crash stop » : arrêt du navire sur une distance égale à 15 fois sa longueur).

       Les réglementations internationales de l’OMI ont abordé ce problème de la manoeuvrabilité, assez timidement d’ailleurs, à l’occasion de protocoles à la convention SOLAS 1974, en 1978 et 1981. C’était la conséquence de l’Amoco Cadiz, qui consacrait le doublement de la commande des appareils à gouverner. A priori, on en est resté là.

Que s’est-t-il passé depuis ce « peak » des ULCC ?

       On a commencé par subir la crise du shipping, avec une quasi-absence de commandes puis dans les années quatre-vingt-dix les commandes sont reparties, à une cadence normale, mais en restant dans des tonnages classiques de VLCC, l’équilibre s’étant fait autour de 270-300 000 tdw. Aujourd’hui, le marché est en pleine expansion, 44 millions de tonnes de pétroliers avaient été commandées en 2004, dont dix-huit millions de tonnes en VLCC, soit 58 unités. Il y en a un peu moins en 2005, 28 millions de tonnes de port en lourd, mais actuellement, le carnet de commandes global des VLCC comprend 103 navires, à livrer jusqu’en 2009. Les prix sont excellents (100-120 millions de dollars pour un 250 000 t, alors qu’il pouvait être de 40 millions de dollars lors de la crise). Bien évidemment, cent pour cent de ces constructions se passent, dans l’ordre, en Corée, au Japon et en Chine. L’Europe est absente, y compris l’Europe de l’Est. Nos collègues d’Asie sont des gens responsables : leurs navires sont très bien étudiés, très bien construits, ils sont l’achèvement logique de la saga des grands pétroliers dans laquelle nous étions impliqués au premier titre. Ils donnent satisfaction à leurs armateurs. Et on peut constater le soin avec lequel sont étudiés les détails de structure, ceux qui donnent lieu aux criques de fatigue que l’on peut aujourd’hui éviter par des calculs et des essais en laboratoire. Autrement dit, il s’agit d’un design « mature » qui ne soulève plus d’inquiétude sur le plan de la sécurité.

       Sur ce plan de la sécurité, qui est l’objet de cette présentation, quelle est l’évolution ? Nous dirons qu’elle s’est principalement axée sur la protection de l’environnement, puisque le navire lui-même ne donne plus d’inquiétude.

       Il y a eu l’OPA 90 des États-Unis (Oil Pollution Act) sur les navires double coques transportant des hydrocarbures. Auparavant, l’OMI avait institué les capacités dédiées au ballastage d’eau de mer, puis la protection locative des citernes AV des navires, en principe les plus exposées en cas de collision ou d’échouement. Des alternatives, comme le pétrolier 3 E, (européen, écologique et économique ) ont été proposées par les européens (groupe de travail mené par les Chantiers de l’Atlantique) ou par les Japonais (le mid-deck tanker) ; elles étaient sans nul doute plus efficaces et plus professionnelles. Les États-Unis n’ont pas reconnu ces systèmes comme équivalents au leur. Si la règle 13 E de l’OMI admet cette équivalence, le rapport des forces en présence a conclu très rapidement à l’obligation de la double coque.

       Aujourd’hui donc, la construction des grands pétroliers est un marché actif, rentable pour les chantiers asiatiques et les taux de fret permettent aux armateurs d’afficher une certaine sérénité. On commence à reparler des ULCC, et quatre navires de 442 500 tdw ont été livrés récemment par Daewoo à Hellespont (Armement Papachristidis).

       Les publications techniques font état de projets et même de commandes de pétroliers destinés à opérer dans des zones resserrées ou soumises à fort trafic, ou dans des conditions hivernales très sévères (Baltique, Golfe de Finlande ) ; ces navires seront à 2 lignes d’arbre. Rien n’est perdu.

L’entretien de la structure des grands navires :VeriStar Hull

       C’est un logiciel qui, au départ d’un projet, permet l’étude de la structure, sous toutes les conditions envisagées pour le chargement de la cargaison, ainsi que pour celui résultant des efforts dus à la mer. Il fournit une image en 3 D des contraintes maximales subies par les éléments de structure contribuant à la sécurité de cette dernière. Les représentations graphiques indiquent les zones hautement sollicitées. Une modélisation plus poussée permet par ailleurs de détecter les zones de concentration de contraintes engendrées dans certains détails de la coque métallique.


VeriStar Hull : carte de zones sensibles au neuvage

  • Modélisation d’une tranche de citerne au neuvage.

  • Ce logiciel a permis, lors des études, de procéder à un échantillonnage optimisé de la coque métallique du navire neuf. On peut reprendre ce même modèle au cours de la vie du navire, la géométrie des éléments restant évidemment la même, tant qu’il n’y a pas de cassures qui introduisent une discontinuité et en introduisant dans le calcul les valeurs des épaisseurs mesurées lors des opérations d’inspection. Le résultat donnera les valeurs des contraintes dans la situation actuelle. Une aide efficace sera également apportée aux équipes d’inspection, dans la mesure où VERISTAR HULL leur aura indiqué les zones critiques à l’égard de la tenue en fatigue.

VeriSTar Hull : carte de zones sensibles d’après inspection
 
  • Modélisation de la même tranche après inspection.

  • Le résultat vers lequel on doit tendre (on n’y est pas encore à 100 %) est de pouvoir prendre la décision des zones à remplacer ou à renforcer, par la connaissance en temps réel de la réserve de solidité de la structure. Et cela ira dans le sens à la fois de la sécurité ﷓ car les niveaux de contrainte « actuels » s’afficheront en repassant le calcul avec les éléments remplacés ou réparés, et de l’économie – car, plutôt que de s’en remettre à des règles empiriques de critères de remplacement, on aura porté un jugement sur l’utilité des travaux à entreprendre, tout en conservant le même degré de sécurité. Quant aux détails dits « sensibles », ils auront été inspectés en priorité car déjà répertoriés dans VERISTAR HULL du neuvage et, en cas de dégradation, ils seront traités en temps utile.

  • Visualisation des contraintes dans les zones sensibles, au neuvage et après inspection.

  • En conclusion, la mise en œuvre d’une telle méthode permet une approche « intelligente » du problème de la maintenance des grands pétroliers et d’ailleurs de la plupart des grands navires de commerce. Elle n’est pas encore passée dans les mœurs des services techniques, mais on peut parier que l’on y viendra rapidement. L’industrie para pétrolière y est favorable et l’a mise en œuvre pour de nombreuses installations. Les nouvelles générations font systématiquement appel aux outils informatiques très performants, et en parallèle, les inspecteurs expérimentés « sur le tas » se font de plus en plus rares : leur époque est révolue.


Les porte-conteneurs

Généralités

         Les porte-conteneurs sont les navires dont la taille a le plus augmenté dans les trente dernières années. Cette augmentation était toutefois limitée jusqu’en 1990 aux dimensions permises par le canal de Panama, (navires Panamax). Depuis lors armateurs et chantiers ont étudié des navires de plus en plus gros dont la taille limite serait fixée par les dimensions du canal de Suez. Nous y sommes aujourd’hui et la question se pose de savoir où cela va s’arrêter ? Dans les années quatre-vingt-dix la capacité maximum pour un porte-conteneurs était de 4 500 EVP, alors qu’aujourd’hui les projets prévoient des capacités de 12 000 à 14 000 EVP.

       Dans le même temps la vitesse moyenne est passée de 21 à 26 nœuds. Les dimensions principales L/B/C/T sont passées de 260/29.4/23/12.5 mètres à 360/58/30/17 mètres.


       Certains architectes navals ont déjà étudié un projet de méga porte-conteneurs, le Malacca-Max, de 18 000 EVP de capacité et dont les dimensions 400/60/35/21 mètres sont proches de celles du Batillus. Il est clair que la conception d’un navire ne peut plus s’appuyer sur des règles classiques, mais nécessite des techniques de calcul approfondies. Dans les dispositions générales, il est intéressant de noter que la position du château revêt une importance particulière compte tenu des règles imposant la visibilité minimum et sur un projet de 12 000 EVP de capacité on peut gagner plus de 1 300 unités !

La structure

       Ces navires ont un pont largement ouvert comme tous les porte-conteneurs et subissent des efforts de flexion et de torsion considérables mais les dimensions sont telles que seuls des calculs directs de structure avec chargements hydrodynamiques permettent d’approcher la réalité. Le navire est modélisé entièrement en éléments finis et les zones sensibles, (coins d’écoutilles, liaison des cloisons transversales avec la coque, extrémités de surbaux, zones d’impacts) sont analysées plus spécifiquement.

       Compte tenu des formes avant extrêmement évasées, des logiciels de calculs d’impacts ont été élaborés et calibrés par des essais en bassin. Les calculs sont faits à pas de temps et permettent le bon dimensionnement de la structure pour les impacts à l’avant, le slamming, le springing.

       Un phénomène très particulier à été rencontré sur les très grands porte-conteneurs : le roulis paramétrique.

         Par mer formée venant de l’avant, le navire peut se mettre à rouler de façon très importante avec le risque de perdre un bon nombre de ses conteneurs. Ceci s’est produit en 1998 sur un navire post-panamax qui a perdu 1.300 conteneurs ; depuis, de nombreuses études ont été effectuées montrant que par certains états de mer les formes du navire pouvaient entraîner des pertes de stabilité qui occasionnent ce phénomène. Aujourd’hui l’architecte naval a les outils pour en faire le diagnostic et donner des recommandations au commandant du navire.


Le saisissage

       Dans le domaine de la tenue des conteneurs, le saisissage a subi une évolution importante avec la mise en place de ponts à deux, voire trois niveaux et le développement de logiciels permettant l’optimisation de la disposition des éléments de saisissage et le calcul des efforts appliqués.

La propulsion

       Dans le domaine de la propulsion, l’évolution est là aussi très importante.



       L’apparition, il y a quelques années, des très gros moteurs lents (gammes K98 de MAN-B&W et RTA96 de Wartsilä-Sulzer) qui développaient des puissances de l’ordre de 70 kW par cylindre n’a pas suffi. Les projets de très gros porte-conteneurs de 10 000 EVP et l’accroissement des vitesses de 22/23 nœuds à 25/26 nœuds ont imposé d’accroître encore la puissance des moteurs. MAN-B&W a franchi le premier le cap des 100 000 ch. avec la commande de moteurs 12K98MC développant 74 760 kW (101 645 ch) destinés à une série de porte-conteneurs de 10 000 EVP en construction chez Hyundai. La réalisation a été obtenue en augmentant les possibilités du K98, précédemment limitées à 5 720 kW/cylindre, à 6 230 kW/cylindre. L’hélice associée possède six pales, mesure 9 m de diamètre et l’extrémité de pale est animée d’une vitesse de 45 m/s.

       Pour les projets de capacité de 12 000 EVP, MAN-B&W propose une version du K98 à 14 cylindres et a même développé un méga-moteur de plus d’un mètre d’alésage, le K108. De son côté Wartsilä a développé le moteur Sulzer 14T-flex96C possédant lui aussi 14 cylindres.

       Pour les navires d’une capacité supérieure il faut prévoir deux lignes d’arbres, ce qui offre l’avantage de réduire la taille du compartiment machine en raison de la plus faible longueur des moteurs et d’améliorer la sécurité, le navire pouvant naviguer sur un moteur en cas d’avarie de l’autre. Une autre solution est également apparue sur le marché, celle qui consiste à installer un POD en " booster " à la place du gouvernail et agissant en hélice contrarotative dans le prolongement de l’hélice principale.

       La conception des gouvernails doit être adaptée à la grande vitesse des navires et à la vitesse importante des extrémités de pales. Une forme arrondie de l’extrémité inférieure du safran est appliquée de préférence à un fond plat. Une attention particulière doit être donnée aux parties avant de la crosse et du safran car une érosion importante due à la cavitation peut se développer. Des tôles de protection en inox peuvent être rajoutées dans les zones sensibles et en outre des tôles de déflexion horizontales au niveau de l’attache du safran à la crosse permettent de limiter ce phénomène d’érosion.

       Compte tenu de la puissance des moteurs et de la rigidité de la ligne d’arbre, des calculs de vibrations sophistiqués sont recommandés. Ils doivent prendre en compte l’élasticité de la ligne d’arbre, de la structure et des paliers, l’influence du film d’huile et bien sûr les efforts engendrés par l’hélice. En général une modélisation complète en éléments finis de la partie arrière de la structure du navire et de la ligne d’arbre est effectuée.


Les navires méthaniers

Introduction

         Les navires transport de méthane liquéfié constituent le deuxième type de navires dont la taille a augmenté de façon spectaculaire en moins de dix ans. D’un point de vue économique la demande en gaz naturel liquéfié (GNL) a pratiquement doublé depuis 1995 et il est prévu qu’elle double encore dans les cinq ans à venir. Cela explique aisément pourquoi la demande en nombre de navires est si forte et pourquoi la capacité augmente si rapidement. Il est intéressant de noter qu’une marche a été franchie dans les années soixante-dix pour atteindre la capacité de 130 000 m3 qui semblait une limite technique et économique à l’époque et qu’aujourd’hui une nouvelle marche est franchie avec des projets pouvant aller jusqu’à 250 000 m3.

       En 1975, le plus gros méthanier avait une capacité de 130 000 m3 et les dimensions L/B/C/T suivantes: 270/43/30/14 mètres. La capacité maximale d’une cuve était de 28 000 m3. En 1995, le plus gros méthanier avait une capacité de 138 000 m3 et la capacité maximale d’une cuve était de 38 000 m3. On voit là déjà une différence sensible car les concepteurs sont passés de 5 cuves à 4 cuves. Dans les cinq dernières années les projets de 250 000 m3 ont des dimensions 332/55/38/12 mètres et des capacités de cuves de plus de 55 000 m3. On arrive à la taille d’un VLCC et les problèmes de structure et de mouvements de liquides (sloshing) deviennent cruciaux pour la sécurité.

L’isolation

       Les deux grands systèmes de transport de GNL sont les systèmes à cuves intégrées et les systèmes à cuves autoporteuses. Les systèmes à cuves intégrées possèdent des isolations à membrane conçues par la société Gaztransport & Technigaz de type NO96, Mark III ou CS1. La fabrication d’une cuve de méthanier de très grande capacité demande beaucoup de soin et de précision mais les grands chantiers maîtrisent les techniques. En revanche, personne ne peut lutter contre la taille et les études de mouvement de liquide deviennent le chemin critique pour définir un projet. Le concepteur GTT donne un certain nombre de recommandations pour les navires ayant une capacité ne dépassant pas 155 000 m3 et possédant 4 cuves (Longueur de la cuve n°1 < 13% Lpp, longueur des cuves 2, 3, 4 < 17% Lpp avec une hauteur de liquide inférieure à 10% de la longueur de la cuve ou supérieure à 70% de la hauteur de la cuve), au-delà des études directes sont nécessaires et aujourd’hui les plus grands projets de navires à membrane possédant 4 cuves ont une capacité de 180 000 m3 maximum. Ensuite il faut passer à 5 cuves et c’est alors la largeur de cuve qui devient la dimension critique.

       Les systèmes à cuves indépendantes sont essentiellement de deux types : le système à cuves sphériques Moss et le système à cuves SPB de Ishikawashima Heavy Industries. Le système à cuves sphériques de Moss est moins sujet aux impacts locaux dus aux mouvements de liquide, mais en revanche sa ceinture de supportage est très sensible aux efforts globaux. Par ailleurs les dimensions des cuves sont limitées si l’on veut conserver une visibilité suffisante au navire. À ce jour le diamètre maximum des sphères est de 43 m avec une possibilité d’allongement vertical au niveau de la zone équatoriale. Un navire de 4 cuves peut avoir une capacité maximum de 170 000 m3 et un navire de 5 cuves une capacité maximale de 220 000 m3.

       L’étude des mouvements de liquides à l’intérieur des cuves constitue le facteur primordial de sécurité des cuves membranes. La grande difficulté est que ces mouvements peuvent devenir très violents et créer des impacts locaux qui sont à même de détériorer l’isolation, tout en chargeant de façon considérable la structure métallique. Voici la méthodologie qu’utilise le Bureau Veritas pour approuver ces grands méthaniers.

       La première phase consiste à calculer les mouvements du navire en s’appuyant sur un logiciel hydrodynamique trois dimensions et en modélisant complètement la carène. En parallèle, les caractéristiques de résonances du liquide dans la cuve à vérifier sont évaluées de façon à permettre le choix des états de mer les plus défavorables aux mouvements de liquides. Lorsque les états de mer critiques ont été déterminés, le concepteur effectue des essais de mouvement de liquide avec de l’eau dans une cuve à échelle réduite et les pressions d’impacts sont mesurées dans toutes les zones critiques (plafond, coins, cloisons). En parallèle, des essais de lâcher de panneaux d’isolation sur une caisse d’eau sont effectués de façon à mesurer l’intensité des impacts pour chaque type d’isolation. La combinaison des essais en modèle et des essais de lâcher permet une première évaluation des impacts de liquide sur l’isolation et l’échantillonnage de celle-ci. En outre, des calculs sont effectués avec un logiciel approprié qui permet d’avoir les efforts globaux sur la structure ainsi que les vitesses d’impacts qui permettent d’estimer la valeur de ces forces d’impact. Dans ces calculs, on distingue les mouvements de clapots pour les remplissages hauts et les vagues progressives pour les remplissages bas.

       Pour avoir une bonne réponse satisfaisante des éléments d’isolation et des éléments de la structure sous les effets des impacts, on procède à des calculs en éléments finis.

La structure



       L’isolation et la structure locale étant déterminées, la structure d’ensemble du navire est alors étudiée en y incluant tous les points critiques dus à la taille (contraintes dans les anneaux, attache de mât, fatigue des plis, flambements des fonds et des cloisons transversales, liaison du trunk à la superstructure). Une modélisation complète du navire est effectuée avec un logiciel de structure aux éléments finis.

       Les principaux cas de chargements sont évalués en dynamique et la structure est calculée pour les efforts extrêmes, le flambement et la fatigue. Pour la fatigue des plis, très sensibles dans les grands méthaniers, des modèles extrêmement fins sont réalisés et, de plus en plus, une étude en fatigue spectrale est conduite, seul moyen d’avoir une approche réaliste pour les très grands navires.

La propulsion

       Alors que la turbine à vapeur a été le moyen de propulsion utilisé jusqu’à nos jours, il est intéressant de noter que désormais les chantiers proposent d’autres options :
  • le système diesel électrique avec des moteurs pouvant brûler aussi bien du fioul que du gaz basse pression, ce qui permet de consommer le gaz d’évaporation des cuves et d’avoir un rendement de 35% bien supérieur à celui de la turbine à vapeur ;
  • la turbine à gaz qui elle aussi permet de brûler le gaz d’évaporation et d’avoir un bon rendement ;
  • le diesel lent auquel il faut adjoindre un système de reliquéfaction des gaz d’évaporation pour éviter qu’ils soient perdus.



Les grands navires à passagers

Introduction

       Compte tenu de l’évolution du marché de la croisière, le secteur des navires à passagers est lui aussi en pleine évolution. En 1987, le plus gros navire à passager était le Sovereign of the Seas avec un tonnage de 70 000 Grt et une capacité de 2 520 passagers. En 2003, les Chantiers de l’Atlantique lancent le Queen Mary II, qui marque une avancée spectaculaire avec 148 000 Grt. En 2006, l’évènement va être la livraison du Freedom of the Seas de 158 000 Grt de tonnage qui va éclipser en capacité le Queen Mary II. Les dimensions du Freedom of the Seas sont impressionnantes avec une longueur de 339 m, une largeur de 43 m, 18 ponts dont 15 pour les 4 375 passagers. Montrant sa confiance dans l’expansion constante du marché de la croisière, RCCL envisage la commande d’un navire d’un tonnage de 220 000 Grt, appelé projet Génésis.



       Ce navire aura 360 m de long, 47 m de large, 65 m de haut au-dessus de la flottaison et pourra transporter 5 600 passagers en plus des 2 000 membres d’équipage, ce qui représente 7 600 personnes à bord.

La sécurité incendie

       Bien entendu le premier problème à considérer est la sécurité contre l’incendie. Malgré des règles SOLAS très strictes, les espaces communs deviennent très importants et les problèmes de détection et d’extinction de plus en plus complexes. Il en est de même des problèmes d’évacuation et il devient absolument nécessaire que l’architecte naval trouve de nouvelles idées. La première réponse a été donnée par le développement de logiciels permettant de simuler la propagation des incendies et la rapidité d’évacuation. Une autre réponse est d’imaginer des systèmes d’évacuation beaucoup plus sophistiqués mais nettement plus efficaces.

L’environnement

       Le second problème est la protection de l’environnement : comment éviter la pollution de l’air et de l’eau compte tenu des conditions et règles suivantes très strictes ?
  • Conformité avec la MARPOL annexes I, IV (rejets), V (déchets) & VI (air).
  • La gestion des eaux usées doit être adaptée au service considéré. (Les eaux grises et noires sont retenues à bord ou soumises à un traitement spécifique avant rejet).
  • Nécessité d’un plan de gestion des eaux de ballast [IMO RES. A.868 (20)].
  • Nécessité de contrôler les systèmes Antifouling dangereux (Convention IAFS).
  • Eviter la pollution de l’ozone par des substances non autorisées.
  • Limitation stricte du pourcentage de sulfure dans le fuel en accord avec les directives CE.
  • Limites à respecter pour l’émission de NOX.
       Il est intéressant de noter dans le tableau ci-après les quantités de déchets produites par personne à titre de comparaison entre un cargo classique et un navire à passagers. À titre d’exemple, si l’on considère les eaux grises uniquement dans le cadre du projet Génésis il va falloir en traiter 2500 m3 par jour.

Type de déchet unité QUANTITES POUR :
    Navire de croisière cargo
Plastiques kg/personne/jour 0.1 0.1
Papier et cartons > " < 1.0 1.0
Verre > " < 1.0 1.0
Déchets (Nourriture) > " < 0.7 0.7
Total > " < 2.8 2.8
Eaux noires Litre/personne/jour 12 pour un système sous vide.
100 pour un système conventionnel.  
Eaux grises (Excluant
la blanchisserie et la cuisine)
> " < 160 100
Blanchisserie > " <   80   40
Cuisine > " <   90   60
Total > " < 330 200

La santé à bord

       Le troisième point concerne la protection de la santé à bord.

       Les risques de contamination par l’air et l’eau sont d’autant plus importants que le nombre de passagers est grand. Les risques de légionellose que l’on peut trouver dans les hôtels ou les hôpitaux doivent être éliminés au maximum et les audits recommandés par les règles USPH (United States Public Health regulations) pour l’hygiène augmentent en ce qui concerne la difficulté de mise en œuvre avec la taille du navire.


Conclusion

       Au cours de cet exposé consacré aux navires qui, dans les cinquante dernières années, ont été le plus concernés par le phénomène du gigantisme, on a essentiellement traité des aspects de la sécurité liés à la conception.

       On a montré comment l’architecte naval a pu relever le défi que représentait l’augmentation de la taille des navires, dans les domaines de la structure métallique, de la puissance installée sur une seule ligne d’arbre, de la lutte contre les risques d’incendie, du respect de l’environnement, etc. Il y est parvenu grâce au développement prodigieux des outils mis à sa disposition, l’informatique en tout premier lieu, mais également les résultats des programmes de R&D d’une ampleur correspondant à l’objectif poursuivi.

       On a évoqué, beaucoup plus succinctement, les problèmes soulevés par le maintien de ces grands navires en bonnes conditions opérationnelles, en prenant l’exemple des VLCC. Il s’agit de leur conserver durant toute leur vie active, un degré de sécurité suffisant et d’autant plus sévère que leur taille l’exige.

       On a vu que le challenge ainsi imposé aux responsables techniques devait s’accompagner d’une mise à disposition des mêmes moyens informatiques et scientifiques que ceux utilisés lors de la conception. Car l’optimisation dont ils ont alors bénéficié les rend plus fragiles à l’usure et à la fatigue durant leur exploitation.

       Signalons dans le même registre le développement récent de techniques de mesures à bord en temps réel, dont le but est à la fois de fournir au commandant une alarme sur les états de mer dangereux pour le navire et aux services techniques une estimation de la consommation du potentiel de fatigue de la structure. Ces équipements devraient s’avérer indispensables, avec l’accroissement de la taille et des performances des navires, pour le maintien d’un niveau de sécurité acceptable, tant sur le plan de la navigation que sur celui de la maintenance.

       Enfin, on parvient à un moment où il faut se poser les questions suivantes :
  • la taille des navires, leur capacité, d’une façon générale leurs performances, doivent-elles être dictées par des impératifs de nature commerciale, transmis aux techniciens avec pour consigne l’obligation de s’y conformer, tout en respectant les normes de sécurité applicables, en n’oubliant pas d’ailleurs que ce degré de sécurité doit logiquement augmenter avec la taille ?
  • ou bien la taille doit-elle être limitée a priori, pour une période déterminée, à la suite d’une concertation de toutes les parties concernées, pouvoirs publics, organisations internationales, représentations syndicales des constructeurs, des exploitants, des navigants, et bien d’autres si l’on veut, et cela pour des raisons de garantie de la sauvegarde des navires et de leur environnement ?
       Les questions sont posées, on n’y répondra pas ici.
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