Retour au menu
Retour au menu
RENOUVELLEMENT DES EAUX DE BALLAST
A BORD DES PETROLIERS DOUBLE COQUE


Depuis maintenant quelques années, il est obligatoire pour les navires de présenter une gestion des eaux de ballast et de pouvoir prouver que le ballast à rejeter à la mer lors des opérations de chargement ne va pas entraîner une pollution bactériologique de l'environnement où a lieu le rejet.
Pour cela, il faut donc renouveler les eaux de ballast à la mer, de préférence en pleine mer, les ports autorisant le rejet des eaux dites "open sea" pendant le chargement.
Les pétroliers jusqu'alors n'étaient pas vraiment concernés par ce changement de ballast. Il est vrai que le changement de ballast "sale" en ballast "propre" après lavage à l'eau des citernes remplissait exactement cette fonction.
Mais avec l'arrivée des navires SBT puis double-coque, le ballast, qui était "propre" au départ du port de déchargement devenait tout-à-coup "sale" en arrivant au port de chargement.
Il a donc fallu sur les pétroliers se remettre à changer de ballast pendant les voyages lèges, heureusement sans trop embêter les mécaniciens, n'ayant plus besoin de vapeur (pompes de ballast électriques) ni de gaz inerte.

  1. Méthodes de changement de ballast

    1. La méthode la plus simple et la plus efficace consiste à vider un couple de ballast puis de le remplir de nouveau. Au moins est-on sûr que toute la "mauvaise eau" du port de déchargement n'est plus à bord.

    2. Une seconde méthode consiste à pousser vers le haut cette "mauvaise eau" par de la "bonne eau océanique". Plus délicat à gérer car on refoule dans un ballast déjà plein que l'on fait déborder sur le pont. Ce qui pendant quelques jours, élimine de fait tout travaux de peinture sur le pont, et cela a son importance, juste quand le navire est lège et n'a donc pas trop d'embruns.


  2. Problème des double-coque

    Seulement voilà, la méthode ER (de l'anglais empty l refill) ne marche pas sur les pétroliers double- coque, sauf pour les peaks où elle est d'ailleurs souvent la seule solution possible. Il faut employer la méthode FT (flow-through).
    Deux exemples:
    VLCC double-coque de 300 000 mt - capacité de ballast 100 000 m3. 5 paires de ballast numérotées de 1 à 5 plus un peak avant, un peak arrière et des ballast latéraux machine.
    Les ballasts 1 à 5 sont divisés en bâbord / tribord uniquement, pas de division en hauteur.

    Conditions minimales de navigation:

    Tirant d'eau avant : 8,60 m
    Tirant d'eau arrière 11.20 m

    On peut bien sûr naviguer en dessous de 8,60 m à l'avant mais pas dans le mauvais temps et surtout pas en cas de tangage, le bulbe se trouve juste à ce niveau et en cas de tangage sort de temps en temps de l'eau pour y retomber assez violemment.
    On peut aussi naviguer avec moins de 11,20 m à l'arrière, mais alors l'hélice n'est plus entièrement noyée. Il vaut mieux ralentir et avoir là aussi du beau temps calme.

    Vider les ballasts 1 = TE AV 4,60 m
    Vider les ballasts 2 = TE AV 5,60 m
    et SF (effort tranchant) -130%
    Vider les ballasts 3 = TE AV 7,25m, AR 10.30m,
    et BM (Moment Fléchissant) +140%
    Vider les ballasts 4 = TE AR 8.40m, BM +120%
    Vider les ballasts 5 = TE AR 7.30m et assiette négative


    Autant dire ce ne sont pas vraiment des conditions idéales de navigation même si ce n'est que pour quelques heures.

    Il faut donc appliquer la Flow-Through method qui elle ne va aucunement affecter les données de stabilité et de fatigue du navire, si ce n'est une légère augmentation de l'assiette car on récupère beaucoup d'eau à l'arrière et elle est contenue jusqu'à hauteur de 50 cm grâce à la tôle "Exxon".

    En ce qui concerne le peak avant, lui aussi ballasté - on peut oublier les peak arrière et les ballasts machine qui peuvent ne pas servir - la méthode dite Flow-Through ne marche pas. En effet le peak avant ne monte pas jusqu'au pont et on ne peut le faire déborder que par les dégagements d'air, ce qui ne représente pas une ouverture suffisante pour le débit de la pompe. Et comme le peak avant ne peut communiquer qu'avec un void space lui-même plus important que le peak, le devis de poids en serait grandement modifié, sans compter qu'après il faudrait assécher et nettoyer le void space.
    Vider le peak avant fait descendre le TE AV à 8,00 m ce qui est encore supportable sous de bonnes conditions de mer.

    Aframax double-coque de 97 000 mt - capacité de ballast 38 750 m3. 4 paires de ballast numérotées de 1 à 4 plus un peak avant et un peak arrière.
    Les ballasts 1 à 4 sont divisés en babord/tribord uniquement, pas de division en hauteur.

    Conditions minimales de navigation:
    Tirant d'eau arrière 7,50 m (hélice)
    En condition ballast moyenne, le peak avant est rempli à 15% seulement, en fonction des soutes afin d'avoir une assiette de l'ordre de 2 m.
    Le renouvellement du ballast dans le peak avant par la méthode E/R ne pose aucun problème.
    Vider les ballasts 1 = TE AV 1,40 m - voire 2,80 m avec peak plein pour compenser
    Vider les ballasts 2 = TE AV 3,70 m et BM + 140%
    Vider les ballasts 3 = TE AR 5,40 m, assiette négative (0,50 m) et BM +140%
    Vider les ballasts 4 = TE AR 5,20 m, assiette négative (1,50 m)
    Il faut donc là-aussi appliquer la méthode FT.


  3. Cas particulier des ports à sédiments

    En cas de ballast fortement chargé de sédiments (par exemple un certain port en embouchure de Loire), la méthode FT sera d'un piètre secours. Le dépôt des boues aura déjà bien commencé au départ du port et il sera difficile voire impossible de se débarrasser des sédiments qui auront alors tendance à réapparaître en fin de déballastage.
    Afin d'en éliminer une bonne partie, il convient de faire le renouvellement du ballast en deux étapes:

    1. la méthode E/R

      Il faut alors avoir des conditions météo très favorables, ne pas craindre de tangage, et envisager une réduction d'allure.
      On peut vider environ 30% du ballast sans sortir vraiment des normes d'exploitation. Dans le cas du VLCC ci-dessus, on va diminuer le TE AV en dessous des normes, mais toujours acceptable, pour les ballast 1, 2 et 3 et le TE AR pour les ballasts 4 et 5 avec une hélice tout de même dans l'eau à au moins 95%. Les efforts et moments restent eux largement en dessous des 100%.
      Une fois cette première partie du renouvellement de ballast effectuée, qui aura enlevé une grosse partie de la vase, on peut passer à


    2. la méthode FT

      Il faut alors la refaire complètement car l'eau océanique que l'on vient de rajouter va se charger d'une partie de la boue restée en suspension. Cette méthode est aussi valable pour l'aframax.


  4. Evidement c'est beaucoup plus long

    Alors que pour un changement de ballast propre vers propre il faut compter environ 2,5 jours sans arrêt, pour un ballast boueux il faut compter une bonne journée supplémentaire.
    Par contre le résultat est efficace. J'ai pu visiter des ballasts (départ Donges) après vidange sans changer l'eau et après vidange en ne changeant que les 30% du fond (sans la méthode FT par la suite), la différence sur la présence de boues dans les ballasts est édifiante.
    De la même manière pour avoir échangé l'eau de ballast après un port en rivière, et ayant surveillé de manière presque continuelle la densité, il est apparu qu'avec, il est vrai, une grosse différence de densité (1,000 à 1,025), il y avait un très petit interface entre les 2 eaux.

    En clair, l'eau ne se mélange pas à l'eau. Alors que pendant plusieurs heures la densité restait à 1, nous commencions même à nous poser des questions sur l'efficacité de la méthode, en l'espace de 10 minutes, l'eau est passée à une densité de 1,025.
    Les temps de pompage pris par la suite nous avait donné un volume d'eau légèrement supérieur à celui du ballast.
    Cependant des études auraient montré (laboratoire ou réel ?) qu'il faudrait par la méthode FT presque 3 fois le volume du ballast pour le renouveler, comme pour gaz / gaz inerte / air.
    A vérifier à l'occasion.


  5. Heureux les pétroliers SBT simple coque et les navires à ballasts haut et fond séparés ?

    Pour les pétroliers à ballast séparés et simple coque, le problème est le même. La méthode E/R ne peut pas marcher, les citernes à ballast ne sont pas en assez grand nombre, et réparties non-uniformément sur la longueur du navire, pour permettre la vidange d'un couple de ballast.
    Dans la cas d'un gazier de 29 000 tonnes de deadweight à ballasts haut et double fond séparés entre eux (14 000 m3 de ballast à renouveler), la méthode E/R peut s'appliquer.
    Elle doit même s'appliquer au moins pour les ballasts double-fonds, et obligatoirement, car mis à part les dégagements d'air, ils n'ont pas d'ouverture sur le pont.
    Par contre pour les ballasts haut, les deux méthodes sont applicables. La méthode E/R car ce sont des ballasts relativement restreints donc n'entraînant pas une grande variation sur le devis de poids, et la méthode FT car ils ont eux une ouverture sur le pont.
    Cependant pour les double-fonds, cela nécessite une très bonne organisation, car vider seulement une paire de double-fonds entraîne soit des variations d'assiette soit des efforts / moments trop importants. Il faut donc vidanger 2 paires de double-fonds en même temps afin de diminuer ces contraintes. Il est aussi fortement conseillé de diminuer l'allure et de surveiller de près les conditions météorologiques.


  6. Conclusion

    Renouveler les eaux de ballast dans le but de diminuer la pollution bactériologique est une bonne et saine chose.
    Et pourtant ce n'est pas une nouveauté, il y a déjà quelques années, pour un pétrolier déchargeant - donc ballastant - dans certains ports du Brésil, on demandait que l'eau des ballasts soit renouvelée avant l'arrivée au port de chargement suivant - en général cote ouest Afrique - à cause du choléra. Mais a-t-on vraiment pensé à la faisabilité de la chose ?
    Même les navires construits après les ébauches / études de cette résolution n'offrent pas les conditions optimales de réalisation du renouvellement de ballast.
    La méthode la plus sure, pollution parlant, est la méthode E/R. Au moins on est sûr que le nouveau ballast n'est que de l'eau océanique et ne va donc pas contenir des bactéries ou organismes vivants venant d'une autre région côtière que celle où il sera vidangé.
    Mais cette méthode est difficilement applicable. Sur les 4 navires précédents, elle ne peut s'appliquer que dans un seul cas, et encore en faisant des manipulations délicates qui à terme ne peuvent engendrer que des accidents de structure.
    La méthode FT est plus aisée, lorsque possible, à appliquer, mais on n'est pas sûr à 100% de son résultat. Les analyses de ballast ayant lieu de plus en plus souvent à l'arrivée au port de chargement, il faut donc s'assurer peu de temps avant que le ballast est bon à être déballasté, voire faire le renouvellement ou le peaufiner peu de jours avant l'analyse.

    Et si le prochain pétrolier double-coque avait 10 tranches de ballast pour 5 tranches de cargaison ? Evidemment il y aurait plus de contrôles et d'inspections à faire dans les ballasts, plus de risques de cassure pour les navires vieillissants donc plus d'entretien, mais la manipulation du ballast en serait simplifiée et le renouvellement du ballast plus fiable.


Cdt H. ARDILLON



Retour au menu
Retour au menu