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Une mise en question des responsabilités collectives, liées à la force de l'habitude, dans le domaine des transports maritimes et aériens.

Une étude met en lumière la lenteur avec laquelle un progrès pourtant déterminant et générateur de sécurité a mis à s'imposer. Un ouvrage aussi érudit que le cours de navigation de l'Ecole navale écrit par le capitaine de vaisseau F. Marguet, édité en 1938, fera les délices des mathématiciens et le désespoir des autres navigateurs moins doués. Il y a donc confusion des genres et si de tels ouvrages savants, communiqués à l'institut sont indispensables, ils ont peut-être été responsables de l'inertie avec laquelle la droite de hauteur, dans son application courante, a mis à s'imposer comme étant objectivement la meilleure solution au problème de la navigation au large. Nous l'avons illustré en donnant comme exemple l'ouvrage de vulgarisation «Jean-Pierre et la navigation» encore édité en 1945. Heureusement les aviateurs avaient déjà fait le tri, et dès 1940, sans doute pour les besoins de la guerre, les tables à trois entrées résolvant le problème de la droite de hauteur étaient éditées par les Américains (Tables HO 214).

Bien qu'il n'y ait pas d'étude exhaustive sur les causes de naufrage, il n'est pas douteux que l'adoption rapide de la droite de hauteur qui aurait pu se faire dès 1872 en lieu et place du traditionnel calcul de longitude, aurait pu éviter bien des échouements dramatiques dus à des positions erronées à proximité des côtes.
Mais on peut élargir le débat, et trouver des causes d'accidents dans la force de l'habitude, que ce soit dans le monde maritime ou aéronautique, et ceci, quels que soient les progrès techniques mis en œuvre par ailleurs.
Ici encore, si nous prenons la position du Candide qui considère naïvement les problèmes à leur origine, on découvre que des centaines de morts auraient pu être épargnés dans le domaine aéronautique, et que des milliers de victimes potentielles peuvent être évitées dans le domaine maritime.
  • Commençons par l'aviation, ce qui n'est pas notre domaine, mais en tant que passager on est en droit de se poser des questions :
  • «Vu à la télévision», le «crash» d'un Boeing 747 sur l'île de Guam, où l'avion s'est présenté trop bas pour atterrir, et percute tangentiellement une colline avant le seuil de piste. Nous laisserons aux spécialistes compétents le soin d'analyser les causes de cet accident.

    Dans l'aviation, la percussion directe avec le sol ou la montagne ne laisse aucune chance aux personnes à bord. Mais bien souvent, l'équipage réussit un atterrissage d'urgence qui détruit l'appareil mais épargne dans un premier temps la plupart des passagers.
    Ce fut le cas pour le vol Korean airline à destination de Guam à bord duquel se trouvait un Néo-Zélandais qui, malgré une jambe cassée réussit à s'extraire de l'avion avant qu'il brûle. Ce ne fut malheureusement pas le cas de la plupart des passagers, encore vivants mais blessés, et condamnés à brûler vifs.
    Notre rescapé, lui-même professionnel de l'aéronautique, analysa les causes de sa blessure et mit en cause la conception des sièges, dont une barre de structure sous le siège lui avait brisé la jambe. Il se bat depuis, pour le bien de tous, afin d'obtenir une modification de la conception des sièges. Mais, Don Quichotte moderne, il se bat semble-t-il contre des moulins à vent.

    A vrai dire, il n'y aucune raison de remplacer les sièges; le candide au nom duquel nous parlons propose une solution plus radicale: changer le sens des sièges. C'est du reste la solution pleine de bon sens que nous avons fini par adopter pour préserver nos chères têtes blondes dans nos voitures particulières. Après tout, ne sommes-nous pas tous d'anciens bébés ? On ne s'offusquera donc pas de voler «dans le mauvais sens», notion purement psychologique, puisque sur le plan de la physique, en vol à vitesse constante, nous n'avons aucun moyen de savoir dans quel sens nous nous déplaçons.
    Problème résolu de façon économique, et donc réaliste, puisque dans notre monde l'argent a toujours le dernier mot. Reste la force de l'habitude. Combat perdu d'avance.

  • Dans le domaine maritime où de gros paquebots peuvent maintenant embarquer jusqu'à 8 000 personnes, passagers et équipage, le problème est encore plus aigu.



  • Certes, il ne s'agit pas de décélération brutale, mais de l'évacuation du navire, qui, pour l'instant, n'a pas été radicalement repensée malgré la nouvelle donne du nombre. Les navires sont cependant dans leur conception, différents de ce qu'ils étaient peu de temps auparavant.
    Pour l'agrément des passagers, un maximum de cabines dispose d'un balcon extérieur, à l'aplomb d'une embarcation de sauvetage en contrebas, au niveau du pont inférieur. Cette disposition est radicalement différente de la conception des anciens paquebots dont les cabines n'avaient pas d'accès extérieur.
    Le passager se trouve en fait à moins de 25 mètres de son embarcation, mais pour l'atteindre, va devoir emprunter les coursives intérieures, mal éclairées par les lampes de secours, et surtout envahies par l'ensemble des autres passagers. Nul doute que le matériel de sécurité mis à disposition, brassières et embarcations, est le plus performant que l'on puisse actuellement offrir; mais nul doute aussi que progresser de plusieurs centaines de mètres dans la probable cohue des coursives est parfaitement ingérable; quels que soient par ailleurs les compétences de l'équipage et le sang-froid des passagers.
    Un plan d'évacuation conçu par tranches verticales autonomes correspondant à chaque couple d'embarcations tribord et bâbord, avec son personnel dédié qui connaîtrait individuellement les personnes à prendre en charge - puisque c'est le personnel hôtelier qui est le plus impliqué dans l'encadrement - permettrait sans doute d'éviter la panique.
    Là encore la solution serait économique puisqu'il suffirait de mettre en communication les terrasses d'un pont à l'autre. Chaque cabine terrasse extérieure constituerait une alvéole de primo rassemblement par groupes séparés d'une vingtaine de personnes (dont un tiers de professionnels censés être formés à la gestion de crise).
    L'écoulement vers le bas se fera nécessairement sans précipitation puisqu'il s'agira de descendre des échelles d'un niveau à l'autre jusqu'à l'embarcation située en contrebas. On annule l'effet de bousculade, et le contact visuel avec l'embarcation toute proche est un élément rassurant.
    Si nous prenons le cas de l'Harmony of the Seas, le passager des terrasses supérieures aurait à descendre par l'extérieur, 8 niveaux, ce qui suppose des panneaux de descente en quinquonce pour éviter le stress du vertige. L'équipage «affalera» à l'aide du harnais de la brassière les éventuelles personnes handicapées.

    Chiffrons de façon simple mais réaliste notre proposition : 6 000 passagers pour un équipage de 2 000 personnes.
    Divisons le navire en 10 tranches verticales comportant 2 embarcations (bâbord, tribord). La «cellule» unitaire d'évacuation par embarcation + radeaux complémentaires selon les capacités d'emport des embarcations, est donc de 400 personnes, donc 100 personnes d'encadrement pour 300 passagers. Ainsi coupé en tranche le problème a des chances d'être résolu de façon réaliste.
    Nous avons drastiquement raccourci les distances à parcourir - 25 mètres maximum en horizontale; 25 mètres maximum en verticale - grâce aux accès verticaux entre terrasses.
    Chaque terrasse limite physiquement le groupe de base et l'isole, évitant toute possibilité d'arriver au nombre critique où l'effet de panique peut se créer, malgré la masse globale à évacuer.
    En responsabilisant le personnel et en confiant nominativement à chacun la responsabilité de 3 personnes qu'il connaît par l'exercice de son service, on peut espérer que le matériel sera utilisé au mieux et les absents tout de suite détectés. En réciproque, 3 passagers seront en charge de leur référent équipage, et à l'embarquement toute personne manquante sera signalée au patron de l'embarcation, évitant ainsi la tâche presque impossible de l'appel.
    Le patron signalera en finale à l'équipe de recherche restée à bord, dont le capitaine reste le chef, toute personne manquante. En finale l'équipe de recherche embarquera à bord des embarcations d'intervention rapides en ayant si possible récupéré les absents identifiés par les patrons.

    Remarquons que c'est le personnel qui connaît le navire qui aura seul l'obligation de se déplacer à l'intérieur pour rejoindre une cabine passager donnant sur l'extérieur. Les passagers de cabines intérieures n'auront que le parcours à la cabine extérieure la plus proche à effectuer. Ils y attendront l'ordre du début d'évacuation si celle-ci doit être effectuée. Le capitaine pourra donc plus sereinement déclencher la situation de pré-évacuation alors que la situation n'est pas encore totalement évaluée, mais risque d'aboutir à la prise de décision de l'évacuation réelle.

    Il fut reproché au capitaine du «Costa Concordia» d'avoir trop tardé à donner l'ordre d'abandon. Une telle décision est si lourde de conséquences qu'elle est difficile à prendre.
    Le principe du pré-rassemblement non traumatique et réversible en terrasse, faciliterait la décision du capitaine qui pourrait alors appliquer le principe de précaution en déclenchant la phase 1 de la procédure, tout en pouvant l'annuler si la situation est reprise en main.
    Signalons que le naufrage du Costa Concordia s'est passé «au mieux» si on imagine ce qui aurait pu advenir. La terre toute proche est sans doute ce qui a évité la panique ; quant à la gîte, elle fut du bon bord. Une autre configuration du fond marin aurait pu aboutir au chavirage du navire. Chance ou bonne gestion du naufrage ? La faute initiale n'en reste pas moins lourde, mais avec moins de confiance dans la technologie, la prudence serait restée de mise.

    A l'époque de la catastrophe de l'Amoco Cadiz, capitaines de remorqueur, nous étions sensibilisés à la difficulté d'établir une remorque dans certaines conditions délicates. Nous en discutions souvent avec le capitaine Juin, notre collègue, un «ancien», expérimenté dans le remorquage d'assistance, qui espérait finir sa carrière au remorquage «offshore» dans le golfe de Guinée.
    Suite à cette catastrophe, il fut choisi comme capitaine de l'Abeille Normandie, basée à Cherbourg et affrétée par la Marine Nationale pour assurer la sécurité en Manche. C'est ce contrat qui perdure toujours, avec l'Abeille Bourbon basée à Brest.
Maurice Garde-Lebreton
Capitaine au long-cours


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