Retour au menu
Retour au menu
La sûreté des navires marchands près des zones sensibles
Résumé et traduction libre par le Cdt H. Ardillon d'un article de Fiona Hamilton, paru dans le TIMES du 10 mars 2017


De nombreux navires éteignent leur AIS et empruntent des routes inappropriées.
À un mille au large d'une petite île des Hébrides, ce cargo n'a pas l'air d'être à sa place au milieu des bateaux de pêche, nettement plus petits, parsemés dans ce petit coin de l'Atlantique. Mais son aspect incongru n'est pas la seule chose remarquable à propos de ce reefer battant pavillon chypriote, transportant habituellement de grandes quantités de poissons, et qui effectue là l'avant-dernier stop d'un voyage suspect. Pendant trois ans, ce navire a été exploité principalement entre l'Europe du Nord et l'Afrique de l'Ouest, mais à la mi-janvier, en dehors de son itinéraire normal, il escale en Ukraine avant d'entrer en Méditerranée. Ensuite, selon Windward, une compagnie israélienne d'analyses maritimes, alors qu'il était en route vers Gibraltar, on lui a comptabilisé 12 jours de manœuvres douteuses, ainsi que la désactivation de son AIS à plusieurs reprises.
Aucune activité spécifique n'a pu être établie, mais Windward a noté que le navire avait « disparu » pendant 28 heures à l'intérieur de la zone du Port d'Oran en Algérie, une région connue pour le trafic d'armes, de migrants et de stupéfiants. Windward est également préoccupé par l'arrêt du navire au large de l'île d'Islay, l'île la plus méridionale de l'archipel des Hébrides intérieures, pendant 11 heures. Aucun port capable de l'accueillir dans la région, et aucune raison pour se trouver à cet endroit, ce qui soulève la perspective que le navire ait pu effectuer des débarquements illicites tels que drogues ou armes.
Vers la même époque, à plus de 2 500 milles de là, un pétrolier quitte la Libye vers la Grèce, mais en effectuant deux arrêts inhabituels au cours desquels il a dérivé respectivement pendant sept et quinze heures. Là aussi, Windward soulève la possibilité que ce navire ait pu en rencontrer un autre pour un trafic illicite.
Un autre navire quittant le port libyen de Tobrouk en février s'est arrêté pendant deux jours au large d'une petite station balnéaire en Crète, montrant ainsi qu'il pourrait être impliquée dans un trafic de clandestins.

Ces mouvements douteux, notés pour des centaines des navires, illustrent les préoccupations des experts maritimes sur la vulnérabilité de la sûreté maritime, et prouvent ainsi que des navires opèrent en toute impunité. Des groupes criminels organisés ont pendant longtemps exploité les vulnérabilités en matière de sûreté maritime pour les trafics de drogues, d'armes et de personnes. Il y a maintenant des craintes que des groupes terroristes, y compris Etat Islamique et al-Qaïda, fassent la même chose.

Les renseignements de Windward montrent que pour janvier et février, des navires ont stoppé la transmission de leur AIS à 2850 reprises avant d'entrer dans les eaux européennes. Même si l'on considère que certains navires aient eu des difficultés techniques, pour la majorité, cette «disparition» est susceptible d'être délibérée. Toujours selon Windward, plus de 300 navires sont entrés en Europe avec un numéro OMI non valide, 60 pour cent de ces navires étant sous pavillon de complaisance.

Il y a des données troublantes sur les lieux liés au terrorisme dont la Libye et la Syrie. En janvier et février, sur les 160 navires venant de Libye et entrés en Europe, 40 ont effectué des manœuvres douteuses comme la mise hors tension de l'AIS. Plus de 230 ont sillonné les eaux syriennes ou libanaises avant de gagner l'Europe, et parmi eux, 20 se sont arrêtés hors des eaux territoriales pendant trois à six heures. Comportement que l'on peut définir comme anormal et donc indicateur d'activité illicite, toujours selon Windward. Certes, certaines activités peuvent être légitimes, et Windward a ainsi développé des profils à risques pour les navires selon le type et le nombre de manœuvres douteuses. L'autre tendance inquiétante est la capacité des équipages à falsifier les données transmises en route par l'AIS.

Il est impossible de dire combien de navires ont été interceptés et fouillés. Selon certaines sources, la capacité britannique de suivi des données de navigation s'est grandement améliorée avec la mise en place en 2014 du MCI (Maritime Intelligence Centre). Cependant, il est remarqué que : « la nature de la côte rend difficile ce suivi. Nous sommes une île et il est impossible de patrouiller partout. De plus tous les navires n'effectuent pas des activités illégales. Certains navires sont stoppés parfois en attente dans des lieux insolites, et ne lèvent l'ancre que lorsqu'ils ont une cargaison à prendre ».

Frank Francis, NCA (National Crime Agency), détaché au centre d'analyses et d'opérations à Lisbonne, sous partenariat européen, a utilisé l'analyse des données AIS pour capturer plus de 500 tonnes de drogue sur plus de 140 navires depuis 2007. Il souligne cependant : « ce n'est pas parce que l'activité d'un navire semble suspecte que cela signifie qu'il l'est nécessairement ».

Gerry Northwood, MAST (conseil en gestion du risque maritime), a déclaré que les autorités britanniques avaient élevé leurs niveaux de renseignements dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogues. Il ajoute : « Il y a toujours ce risque que quelque chose arrive. Les terroristes n'ont qu'à réussir une fois. Il faut se méfier : le Royaume-Uni a un littoral long et complexe qu'il est difficile de surveiller en permanence. Les terroristes audacieux et novateurs auront une bonne chance de passer. De plus, les cargaisons vers le Royaume-Uni sont loin d'être vérifiées à 100 %. Les ports du Royaume-Uni ont encore beaucoup de travail à faire en matière d'inspection des conteneurs et des marchandises ».

Le Times a parlé à d'anciens officiers supérieurs qui craignent que les moyens soient tout simplement trop faibles pour l'ampleur du travail. L'un d'eux se demande pourquoi on a envoyé des navires britanniques à la chasse aux pirates en Afrique alors qu'« il y a eu une réduction significative de la capacité de patrouille dans nos eaux ». Un autre marin dit n'avoir jamais vu de bateaux de patrouille : « Il n'y a pas mieux pour décourager la présence de ces navires ».

Dans un encadré, Fiona Hamilton, à la suite d'un rapport d'Europol, rapporte que le trafic de migrants s'est développé de telle façon qu'il est devenu aussi lucratif que le trafic de drogues.
Ce trafic génère un profit de plus d'un milliard de livres sterling. En 2015, à partir des zones est et centrale de la Méditerranée, il y a eu plus d'un million de migrants à entrer en Europe. Avec une menace grandissante en ce qui concerne le terrorisme, Europol pense que des combattants Etat Islamique sont entrés en tant que migrants, après un passage estimé à 13 500 livres par personne. Il y a les cas de 18 Albanais arrivés dans le port de Dymchurch, Kent, et de 5 clandestins qui ont atterri près de Winchelsea, East Sussex, l'année dernière. NCA a aussi remarqué que les petits ports manquaient de moyens de police, insistant sur le fait qu'il est impossible de patrouiller tout le long des côtes en permanence. Heureusement, il semble que les services de renseignements européens fonctionnent en harmonie, preuve en est la prise sur le navire tanzanien Hamal, équipage turc, d'une cargaison de cocaïne (500 millions de livres) effectuée sur la base de renseignements venant de France.

Cdt H. Ardillon,
Vice-président de l'AFCAN


Retour au menu
Retour au menu