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Evolution du rôle du commandant

 
Intervention prononcée au nom de l'AFCAN par le Cdt APPERRY lors de l'Assemblée Générale de l'Association Française du Droit Maritime à PARIS le 14 octobre 2004



       Comme dans toute profession, les officiers de la Marine Marchande ont vu leurs rôles respectifs évoluer au fur et à mesure des progrès et des choix de l'industrie du transport maritime : progrès des méthodes de navigation, évolution des techniques de transport et naissance des systèmes de gestion de la sécurité ou de la sûreté.

Pour nous Capitaines, évoluer ne veut pas dire changer, à savoir :

La navigation n'a pas changé, elle a évolué. Pour le positionnement, les aides à la navigation se sont perfectionnées, le rendant bien plus facile à effectuer certainement. Aujourd'hui avec le positionnement par satellites et la superposition des cartes marines sur une image radar (où l'inverse), nos officiers de quart et leurs capitaines jouissent d'un certain confort tout à fait souhaitable, dont le résultat est une plus grande tranquillité d'esprit du Capitaine tant sur la position donc l'horaire que sur la compétence en positionnement astronomique de ses officiers de quart, brevetés en Ukraine ou aux Philippines.

L'anti-collision a aussi fait des progrès significatifs dans la qualité des images radars, la détection des petits échos et la récente arrivée de l'AIS enlève enfin le côté fantomatique des navires proches.

La tenue de la route dans les conditions de mer difficiles reste une des plus grandes responsabilités du Capitaine en mer.
La qualité de l'anti-collision d'aujourd'hui aide le Capitaine à mieux appréhender cette « sacrée brume ». Mais croyez-moi, la brume épaisse, le manque de visibilité est toujours aussi stressant même pour les plus anciens « spécialistes de la Manche ou de la mer du Nord ». Le mauvais temps, j'entends une mer formée parfois jusqu'à la tempête qui « secoue » le navire, son chargement et son équipage qui souffrent ! On inscrit toujours les termes « fatigue du navire et du chargement » dans le journal de bord passerelle… c'est un euphémisme, le navire vieillit surtout et parfois se casse… La « gestion de la mer » reste entre les mains du Capitaine et de son jugement de marin. Des aides sont apparues déjà depuis un moment, le routage météorologique est à présent au point, les cartes météos et les prévisions sont de plus en plus fiables et donnent au Capitaine les bons éléments pour déterminer la meilleure route : le choix de la bonne route reste toujours la fierté des meilleurs !

La tenue de l'horaire est fonction du choix de la route mais aussi du bon état de l'appareil propulsif. Ce bon état est le résultat d'une maintenance de qualité due à un système de gestion de l'entretien adéquat et aux hommes qui l'appliquent. La gestion de la maintenance a beaucoup évolué grâce surtout au code ISM qui oblige à une maintenance préventive d'une manière très organisée. Les risques de pannes hors vice caché diminuent. Cela aide le Capitaine dans sa tenue d'horaire et garde à l'armateur la bonne valeur vénale de son navire.

Le contrôle de la stabilité du navire a été nettement amélioré grâce à l'informatique. Les calculs sont ultra rapides et précis, ils donnent la possibilité de simulations très difficiles auparavant. Pour le capitaine, la vérification de la stabilité initiale et les nombreuses possibilités de simulation de stabilité après avarie lui permettent d'assurer la stabilité adéquate de son navire au départ du port, élément essentiel de la sécurité du navire et de son chargement.

Pour la sécurité incendie, les techniques et matériels ont évolué bien sûr mais c'est surtout la formation des hommes et leur entraînement qui ont beaucoup progressé grâce à STCW et au code ISM. Tandis que la communauté maritime tente toujours de transformer tous les marins en pompiers, le rôle du Capitaine consiste véritablement à vérifier et maintenir la préparation de son équipage à répondre à toute situation d'urgence. Vaste programme de formation continue surveillé encore une fois par le code ISM.

La santé et la sécurité des personnes embarquées ont beaucoup évolué aussi. En théorie les conventions internationales ont mis l'hygiène à bord des navires à un niveau acceptable.
Je dis bien en théorie seulement car nous rencontrons parfois des navires à l'hygiène lamentable due autant à l'armateur qui ne veut pas payer et à l'état major du navire qui ne s'y intéresse pas ! La gestion de la sécurité c'est-à-dire le code ISM là aussi entre en compte dans le cadre de la prévention des risques.
D'une part, les possibilités de communications par satellites en analogique ou en numérique permettent aujourd'hui d'avoir l'avis d'un médecin en temps réel dans les cas difficiles du point de vue de la santé. Lorsqu'on n'a pas un médecin à la porte, tous les cas de santé sérieux sont difficiles pour le Capitaine qui engage encore une fois sa responsabilité dans les soins prodigués. Croyez moi, et pas uniquement parce que le malade ou la famille peut porter plainte, même sorti fraîchement du stage Médical 3, le capitaine appréhende toujours les blessures graves, les traumatismes ou tout simplement les maux de ventre sérieux !
D'autre part, la prévention des accidents de personnes est aujourd'hui un sujet familier du Capitaine : l'identification des risques est faite d'une manière continue, les mesures de prévention qui en découlent s'adaptent ensuite en fonction des circonstances. Tout cela était auparavant, pour ainsi dire, inné et naturel mais avec toutes les erreurs possibles dues au facteur humain. Les techniques d'évaluation des risques sont aujourd'hui parfaitement connues du Capitaine qui en général a effectué lui-même cette étude et a proposé les mesures optionnelles de réduction de risques à l'armateur.

La prévention de la pollution est aussi une de nos préoccupations majeures : nous aussi nous vivons souvent au bord de mer, nous nous baignons et nous adorons les fruits de mer ! Si les moyens ne nous ont pas toujours été donnés ne serait-ce que pour respecter la réglementation, la pollution volontaire est rarissime et nous la rejetons autant que vous. Les récents évènements ont focalisé le fameux dégazage, terme qui pour nous ne veut rien dire. Les moyens de prévenir les pollutions accidentelles par les eaux usées du navire existent : slop tanks ou caisses vidées dans des installations adéquates facilement accessibles et d'un prix abordable. La cause de ces rejets tient souvent dans la mauvaise volonté des armateurs ou des responsables portuaires qui oublient trop facilement la réglementation et/ou sont bien en retard sur leur mise en conformité à MARPOL.
Le Capitaine toujours aussi responsable de la sécurité de son navire est souvent le seul à trouver la solution notamment en cas d'avarie majeure. Mais je ne vous apprendrais rien en constatant qu'il est de plus en plus le bouc émissaire :
        - pour une avarie de son dispositif d'épuration des déchets mazoutés et/ou une « faute » de son mécanicien de service
        - pour la gestion d'une avarie technique dont tout le monde a perdu la maîtrise (défaillance structurelle de la coque par exemple)
En conséquence : la prison, le référé, l'amende salée, l'abandon de l'armateur … C'est une belle évolution du rôle du Capitaine de navire ! Le chauffeur routier qui pollue involontairement par suite d'un accident de la route, à ma connaissance, ne va pas en prison !

La sûreté des personnes et des biens peut sembler un problème tout nouveau dans notre métier. Il s'agit aujourd'hui de prendre d'une manière formelle et obligatoire des mesures de sûreté c'est-à-dire de protection ou de prévention en fonction de menaces… dont la seule vraiment nouvelle est le terrorisme.
Les paquebots et ferries n'ont pas attendu Al Qaida et Ben Laden pour se préoccuper de la prévention des actes illicites contre le navire, son chargement et les personnes à bord (équipage et passagers).Là encore la mise en forme de cette prévention via un standard, un code obligatoire l'ISPS fait évoluer le rôle du Capitaine.

Enregistrements et communications
Dans tout système de gestion, les enregistrements sont en tant qu'évidence de preuve, nécessaire au fonctionnement. Depuis toujours par exemple, le journal de bord est une pièce qui fait foi et les marins en ont l'habitude.
Les méthodes modernes de gestion que ce soit de la maintenance, de la sécurité, de la sûreté ou des ressources humaines du bord c'est-à-dire de l'équipage comme la formation continue par exemple, utilisent des outils d'enregistrement pertinents qui sont :
        - les historiques
        - Les rapports d'inspections
        - Les compte-rendus d'audit
        - Les fiches de non conformités et les actions correctives
        - Les fiches de retour d'expérience
Tout cela peut peser lourd, mais grâce à l'informatique on évite enfin cette paperasse honnie des marins. On utilise donc aujourd'hui des logiciels en réseau à bord et on adresse à la Compagnie via Internet … tout au moins dans les compagnies modernes et sur leurs navires ! Zéro papier aujourd'hui c'est possible alors qu'au début de l'ISM, il y a seulement 10 ans, bon nombre de capitaines dont votre serviteur se sont noyés dans la paperasse malgré l'appel au secours vers l'armateur qui faisait la sourde oreille.
Nombre de capitaines se plaignent quand même du nombre d'heures passées devant leur ordinateur. C'est vrai pour beaucoup d'autant que très souvent leur formation à l'usage de ces petites merveilles s'est faite sur le tas ! Trop souvent tout est toujours trop cher pour nos armateurs y compris la formation.
L'informatique et Internet facilitent aussi les communications avec la terre ; l'utilisation du téléphone analogique restait exceptionnel par le Capitaine notamment pour des raisons de coût… alors qu'il était utilisé sans problèmes dans l'autre sens par les services hôteliers cherchant à savoir si la commande de pommes de terre n'était pas sur-estimée ! Mais j'exagère certainement !

Les codes de gestion de la sécurité et de la sûreté
Un code est en fait un instrument qui va aider le Capitaine à préserver son navire c'est-à-dire l'aider à faire son travail ! Que ce soit le code ISM, le code STCW ou le code ISPS ces instruments ont l'avantage d'ignorer l'à-peu-près, le bricolage. Personne aujourd'hui n'accepterait le bricolage dans le transport aérien. Eh bien dans le maritime c'est pareil, c'est une évolution normale de la gestion de notre métier et finalement cela nous facilite la vie : le cadre, les méthodes et les techniques d'auto contrôle ont été préparées pour nous, il n'y a qu'à suivre le mode d'emploi ! De plus une conformité à toutes ces exigences nous assurera toutes les circonstances atténuantes en cas de malheur.

Parfois chez les armateurs les plus entreprenants, le Capitaine devient le gestionnaire d'un système de qualité : un de plus me direz-vous ! Oui c'est vrai et cela n'est pas vraiment la faute de l'armateur. Son affréteur ou ses clients exigent une certification qui au lieu de venir compléter les autres, vient malheureusement s'ajouter. La faute en est aux organismes qui s'occupent de qualité et qui entendent trop souvent s'enrichir littéralement sur le dos de l'armateur. Pour un PDG clairvoyant et un organisme de certification intelligent, considérer un standard de qualité en complément d'un système de gestion de la sécurité existant est tout aussi efficace et beaucoup plus motivant pour le marin. Les normes de qualité actuelles devraient pouvoir le permettre.

Rôle commercial et rémunération
Le rôle commercial a beaucoup évolué aussi bien sûr et aujourd'hui à la vitesse où se passent les escales, le rôle commercial du Commandant se résume souvent à recevoir l'agent de la Compagnie. Le chargement est programmé par la terre et souvent le rôle du Commandant se limite aux vérifications classiques : préparation du navire, séquences de chargement, stabilité, efforts navire. Les capitaines de navires à passagers ont encore la possibilité de prendre contact avec les passagers et ainsi assumer là aussi un rôle commercial. Cependant cela aussi devient difficile : croyez vous que le Commandant Ron Warwick a le temps de rencontrer les passagers du QUEEN MARY2, et que dire pour le futur Capitaine de l'ULTRA VOYAGER bientôt devant ses 3.600 passagers !
Nous pensons quand même qu'on devrait considérer le Capitaine du navire comme le directeur d'une filiale ou d'une antenne de la société que ce soit dans l'hexagone ou à l'étranger. Ce directeur jouit d'une autonomie suffisante et comme tout patron il organise, il délègue, il surveille, il rectifie, il félicite, il congédie… pour tout cela il est félicité ou congédié lui-même ; n'est-il pas quelque part le représentant de l'armateur et donc intellectuellement son associé, particulièrement quant à l'image de marque ou la protection des intérêts de la Compagnie ! Mon ex DG me le rappelait à l'occasion… mais m'oubliait bien sûr en fin de mois ou d'année. Finies donc les « primes de fin d'année » honnies des syndicats qui préfèrent le plus égalitaire treizième mois et notre seule récompense aujourd'hui est la « confiance » du patron c'est-à-dire le maintien dans la fonction et … une tape amicale dans le dos ! Vous savez bien aujourd'hui que le Capitaine est un salarié comme les autres. Bon ou moins bon, ses fins de mois sont identiques, et … en contre partie, il acceptera bien difficilement un licenciement pour insuffisance de service. Là aussi la fonction de Capitaine a évolué et à mon avis pas dans le bon sens.

Synthèse

Même si les responsabilités du Capitaine de navire englobent toute cette gestion dont nous venons de parler, cela ne veut pas dire que tout passe entre ses mains. L'opinion publique voit toujours le Capitaine à la barre, dirigeant l'équipe d'incendie ou l'équipe d'abandon puis quittant son navire le dernier, en tenant les documents sous le bras gauche et le porte-voix de l'autre main. Alors qu'elle trouve normal que le chef de cabine organise l'évacuation de l'avion qui vient d'amerrir !
Le Capitaine connaît la délégation à bord : tout en restant responsable de la conduite et de la sécurité du navire, il délègue aux chefs de service et aux officiers de quart. Les codes eux- mêmes, que ce soit STCW, ISM ou ISPS, ont prévu cette délégation et il restera au Capitaine la partie appelée « vérification interne » qui est, comme vous le savez, la clé des systèmes de l'auto-contrôle, doctrine essentielle des codes ISM et ISPS.

Conclusion

La plupart de ces salariés savent déléguer et se comportent comme des grands vérificateurs en continu, qui interviennent en temps voulu et … leur navire « marche bien » !

Déléguer n'est cependant pas aussi facile que cela.
Pour déléguer, le Commandant doit avoir confiance et avoir confiance en un chef mécanicien qu'il ne connaît pas bien car il a du mal à communiquer avec lui du fait de l'anglais limité de celui-ci, qui surtout n'a pas du tout la même culture sécurité ou protection de l'environnement que lui… et qui sait en plus que c'est le Capitaine qui paiera de toute manière.
En cas de pépin, le Commandant, ce salarié, devient subitement le bouc émissaire qu'on s'empresse d'embastiller manu militari, surtout s'il a mazouté des oiseaux mais néanmoins sauvé son équipage … malgré les 72 heures passées sur une passerelle d'un navire en perdition dans une mer en furie !.

Si demain on trouve une ADM (arme de destruction massive) dans un de ses conteneurs venant de Chine ou du Pakistan à l'arrivée au HAVRE, sera-t-il jeté en prison par le juge d'instruction du coin ?

C'est ce capitaine ordinaire ne pouvant éviter l'embarcation bourrée d'explosifs qui s'est jetée à pleine vitesse sur son pétrolier chargé et qu'on a tout d'abord soupçonné :« encore une faute grave de l'équipage ! »

C'est ce « voyou de la mer » qui malgré toutes les consignes qu'il a pu donner ou les vérifications qu'il a pu faire, ne peut même pas plaider coupable en cas d'irisation accidentelle de son sillage… parce qu'il est honnête et qu'il fait finalement son métier du mieux qu'il peut !

C'est ce salarié qui néanmoins devra mettre toute sa fortune au nom de sa femme afin de préserver sa famille en cas de condamnation, ou tout simplement devra quitter au plus vite ce métier qui n'est plus ce qu'il était.

Rappelez-vous : les fameuses lois scélérates de 1979 avaient provoqué la naissance de l'AFCAN et de sa fameuse assurance groupe défense et recours. C'était un premier pas. Aujourd'hui les lois PERBEN ne feront qu'accélérer l'inquiétant désintérêt pour ce métier. Les futurs capitaines à emprisonner ne seront certainement pas Français … car il n'y aura plus de capitaines Français !

Le métier a évolué. C'est vrai, mais il faut le savoir, l'exaspération est générale. !

Cdt Bertrand APPERRY
avec le concours des Cdts Barbancon, Chabillon,
Quere, Rossignol.
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