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Opinion sur l'opportunité d'avoir une "CITADELLE"
à bord des navires de commerce

Page du code ISPS N°4


Suite à un rapport récent sur la Piraterie Maritime, des suggestions ont été émises, entre autres, de créer des « citadelles » à bord des navires qui transitent ou travaillent dans les zones à risque de piraterie.
Cette suggestion nous interpelle. En créant ces citadelles n'allons-nous pas faire le jeu des pirates ? N'il y a-t-il pas de meilleures solutions ?


Introduction

       Les "citadelles" : c'était dans l'air depuis un moment et le député breton Christian MENARD l'a listé dans les actions possibles dans son rapport sur la piraterie qu'il a déposé récemment à l'Assemblée Nationale ! Je cite :
« En cas d'attaque, l'équipage peut également constituer une « citadelle » en verrouillant le château et la passerelle pour interdire tout contact avec l'extérieur : cela fait partie des règles ISPS. Cette manœuvre permet de garder le contrôle du bateau et d'attendre les secours mais elle n'est envisageable que si l'équipage est entraîné, adhère à la démarche et surtout est prévenu avant l'attaque pour avoir le temps de se mettre à l'abri ».

       Il s'agit de créer un refuge, une citadelle, un donjon …vous vous en souvenez : l'ultime refuge lorsque les méchants assaillants ont réussi à passer le pont-levis du château ! Il s'agit donc semble-t-il de chercher à rassembler l'équipage pour les protéger des pirates « certainement » sanguinaires : en gros on demande à l'équipage de rejoindre une zone sûre en laissant les « attaquants » piller le navire mais en continuant à assurer la sécurité de la navigation du navire ! Cette zone sûre est devenue depuis la « citadelle », c'est à dire cette place forte imprenable où tout l'équipage s'enfermerait en attendant que les assaillants s'en aillent.

       Cette idée semble issue du cerveau des nombreux consultants d'origine militaire qui ont fait irruption dans l'environnement de la sûreté du transport maritime et portuaire depuis l'avènement du code ISPS.

       Il s'agirait donc de construire un lieu où les pirates ne pourront entrer et où l'équipage pourrait se réfugier !... des navires seraient en cours de transformation à ce qu'il parait: tôles « doublantes » de 10m/m, hublots pare-balles, etc… ! Pour des pilleurs élémentaires comme on en trouve partout dans le monde, c'est une des solutions possible à condition que la citadelle soit la passerelle, si on est en route, et/ou un autre local si le navire est à quai ou au mouillage ! …

       Pour les prises d'otage préparées comme cela se passe en Afrique de l'Est avec au minimum une semaine entre : route vers la côte, les tractations puis la « livraison » de la rançon, cela ne semble pas être du tout la solution… un équipage enfermé pendant un mois dans un local avec ou sans toilettes et …combien de jours de vivres ? Rappelez-vous les femmes sur « LE PONANT »…Le Commandant MARCHESSEAU les avait cachées dans le vide technique N°1 pour les protéger des possibles ardeurs coupables de pirates excités par le Khat qu'ils mâchouillent toute la journée…. elles sont sorties de leur trou au bout de… 28 heures !

       Le député MENARD semble, à raison, circonspect (« l'équipage peut également ») sur cette proposition… mais où il se trompe c'est que le code ISPS n'a jamais recommandé cette solution ! La création des zones d'accès restreint est destinée à ralentir la progression des pirates ou d'autres malveillants vers des zones critiques ou vitales du navire (passerelle, PC machine, locaux équipage). Seules des recommandations issues de l'ICS/ISF (fédération des armateurs) prévoyaient de rassembler tout l'équipage dans une zone sûre « lorsque cela est approprié »*

       Le rapport du groupe de contact de l'ONU** parle aussi de la solution de la citadelle « afin de retarder l'accès aux commandes du navire et de gagner du temps » et demande aux capitaines de faire une évaluation de risques avant toute traversée ou mouillage ou séjour au port dans ces zones, une évaluation des risques conduite en tenant compte du retour d'expérience. L'aventure du PONANT et surtout le récit fait par son Capitaine, nous permet ce retour d'expérience.

       En sûreté toute analyse de risque commence par une identification des menaces et une évaluation quantitative des risques associés (code ISPS) en tenant obligatoirement compte du facteur humain.

Identification et analyse des menaces:

  1. Les pirates somaliens recherchent d'abord de l'argent
  2. (Retour d'expérience suite à la mésaventure du PONANT) :
    • En prenant le contrôle du navire, ils ne savaient que dire : Money, Money !
    • Ils ne cherchent pas beaucoup le coffre du Capitaine qui semble quand même bien caché.
    • Ils tenteront de voler tout les appareils du bord ou appartenant aux membres d'équipage: téléphones et ordinateurs portables, PDA, MP3 etc…
    • La partie la plus importante de l'argent recherché est, bien sûr, la rançon qui sera proportionnelle à la valeur du navire et de sa cargaison!

  3. Les pirates sont bien organisés :
    • Leur première action est de prendre le contrôle du navire… et de toute personne à bord.
    • Ce sont peut-être des « pauvres pêcheurs ou paysans» mais ils savent bien que le cœur du navire, c'est la passerelle.
    • Le contrôle des membres d'équipage est pour eux indispensable : le chef demande la « crew list » et regroupe rapidement l'ensemble de l'équipage pour pouvoir le surveiller !
    • La surveillance de chacun des membres d'équipage sera ensuite constante : aller à la douche, aller aux toilettes, préparer les repas… les pirates seront toujours là en poussant leur kalachnikov dans les reins !
    • Les pirates qui ont kidnappé le navire sont des « seconds couteaux »… les maîtres sont à terre et ce sont eux qui vont négocier … ce sont les seuls d'ailleurs qui parlent suffisamment anglais. Ils se font appeler avocat et sont tous d'anciens instituteurs …ils seront les négociateurs!
    • C'est d'ailleurs en partie pour cela que les navires sont ramenés systématiquement vers la terre ! …Pas sûr que la notion d'eaux territoriales soit vraiment bien assimilée par les pirates opérationnels souvent analphabètes… ils viennent rechercher une aide à terre: un notable, un cheik, un négociateur !

  4. Le plan de sûreté du navire :
    • Prévoit normalement un repli de l'état-major pont sur la passerelle pour conserver le contrôle du navire
    • La passerelle est une ZAR (Zone d'accès restreint) son accès est contrôlé par des portes intermédiaires ou extérieures verrouillées.
    • Ces portes ne sont pas nécessairement blindées mais leur verrouillage retardera théoriquement la progression des pirates et permettra au Capitaine de lancer son alerte de sûreté, au minimum via le SSAS et par tout autre moyen peut-être moins discret mais plus « palpable » !
    • Aucune porte sauf peut-être les portes étanches situées au dessous du pont de franc-bord n'est capable de résister à des armes que possèdent les pirates somaliens.

  5. Les pirates sont armés

  6. Ils sont nerveux, stressés, soupçonneux, jeunes, mâchent du khat et leur dextérité avec leurs armes n'est pas celle que l'on croit ! Leur prétendu entraînement de commandos est un mythe !
    Il est conseillé de suivre les demandes des pirates, de ne pas contester, etc… en gros de ne pas les énerver… ils ont quand même la gâchette facile et donc une rafale instinctive, une balle perdue et c'est une ou plusieurs vies en l'air, bêtement!
  7. Les armes

  8. A part le pistolet du chef, qui est ainsi plus libre de ses mouvements, les pirates ont des kalachnikov toutes neuves et un lance roquette RPG 7 (Rocket Propelled Grenade)… c'est une arme anti-char !
    Les balles de Kalachnikov vous démolissent une serrure comme un rien, celle entre la timonerie et le pont extérieur du PONANT ne résistera pas longtemps !
    Le RPG lance des grenades explosives qui sont faites justement pour traverser les tôles blindées des chars adverses (50 mm ?) avec de gros dégâts humains et matériels à l'intérieur du char !
  9. Les forces de sûreté proches

  10. Leur proximité énerve les pirates : le Cdt du PONANT leur demande même de s'écarter un peu !
  11. Détermination des points faibles y compris le facteur humain

  12. En dessous de 15 nds, la vitesse est un gros point faible pour un navire. Rattraper, doubler et aborder un navire de plus de 15 nds nécessite des embarcations pouvant faire 30 ou 35 nds …dans toutes conditions de mer… difficile pour leurs embarcations légères !
    La faible hauteur du pont au dessus de l'eau (franc-bord) est un point faible important.
    Le manque de formation de l'équipage à vivre une telle aventure (tentatives pour échapper aux attaques, situation d'otage, comportement en cas d'attaque des forces armées) est une faiblesse supplémentaire.

Évaluation du risque

     Rappel : le risque est proportionnel à la gravité des conséquences et à la probabilité de survenue
  1. Conséquences de la menace:
  2. même s'il n'y a pas eu beaucoup de morts jusqu'à présent (une douzaine quand même au total !), la probabilité qu'il y en ait d'autres est de plus en plus grande et une seule vie mise en danger rend les conséquences très graves.

  3. Probabilité d'occurrence (somme de la sûreté physique et organisationnelle):
  4. Sûreté physique (mesures techniques) :
    Le navire a un plan de sûreté approuvé par le Pavillon. Cela veut dire, qu'au moins sous pavillon français, des mesures de verrouillage des zones d'accès restreint sont possibles. Mais la citadelle n'a jamais été rendue obligatoire ! Avec des pirates armés de kalachnikov et de RPG 7, la solution de regrouper le personnel du bord dans une « citadelle » pourrait avoir l'effet inverse de celui recherché :
    • Pour une raison évidente de maîtrise complète de la situation, les pirates regroupent les otages et les « gardent à vue » : vérification de la crew list par le chef des pirates du PONANT et contrôle constant de TOUT le personnel du bord durant la semaine qu'a duré la prise d'otage. Dans ce cas, regrouper le personnel du bord dans une citadelle c'est finalement faire le jeu des pirates !
    • Protection du personnel : aucune cloison, même doublée, aucun sabord ne peut résister à la roquette d'un RPG 7 anti-char. Une roquette pénétrant dans la citadelle ferait, de plus, un véritable carnage !

    NB : La dernière communication des USCG recommanderait de réagir comme l'équipage du MAERSK ALABAMA c'est à dire qu'une partie de l'équipage se réfugie dans la machine derrière une porte étanche en prenant les commandes du navire. Tandis que le Cdt Richard PHILLIPS restait à la passerelle avec deux de ses hommes. Nous n'avons pas encore tous les éléments de cette histoire, mais faute de pouvoir contrôler le navire et le diriger vers un mouillage près de la côte, les pirates ont pris le capitaine en otage ! Je ne suis pas sûr que mettre la vie d'un seul marin en péril pour faire échouer le détournement soit la solution ! Et tous les navires n'ont pas la machine derrière une porte étanche… les accès sont beaucoup plus classiques.

           Les pirates du PONANT vont tout faire pour empêcher les membres d'équipage de communiquer avec l'extérieur en dehors de leur contrôle (confiscation des VHF et téléphones, contrôle des moyens de communication satellitaires). Le contrôle des communications est un atout indispensable à la réussite de leur opération : les otages sont vivants, un négociateur/interprète va pouvoir discuter avec l'armateur !
    Autre matériel
           Tous nos navires ont des radars performants (10 et 3 cm) et on ne voit pas ce que le gadget de détection optique d'Automatic Sea Vision apportera pour 150.000€ !... sauf à détecter les skiffs des pirates plus tôt et ainsi appeler au secours plus tôt ! Pour les navires des forces de l'ordre (corsaires ou douaniers) je veux bien ! Pour les navires de commerce qui sont toujours les cibles (hier et aujourd'hui), c'est beaucoup trop cher pour avoir quelques minutes de plus pour appeler au secours… en a-t-on vraiment besoin, le SSAS est déjà là pour cela, par contre l'ASV pourrait-être installé sur les gros navires et détecterait certainement plus facilement les pêcheurs/plaisanciers plus sûrement et ainsi… les éviter ! Cela est certainement à creuser non ?

           Les canons à eau à haute pression ou les simples lances à incendie pourraient être efficaces… si les pirates n'ont pas d'armes ! Quel Capitaine mettrait ainsi ses hommes d'équipage en péril ? Le Cdt du PONANT à sagement ordonné de tout arrêter dès les premiers coups de feu ! Les autres gadgets comme le LRAD (Long Range Acoustic Device) ou phares aveuglants ne valent pas grand-chose lorsque les pirates sont équipés de casques anti-bruits ou attaquent leur proie de tous les bords à la fois !
    Sûreté organisationnelle :
           La veille a été doublée sur le PONANT et les matelots ont bien vu, à temps, le navire-mère puis les skiffs qui se sont lancés à l'abordage. Le Cdt MARCHESSEAU a eu le temps d'activer le SSAS (30 secondes de pression sur le bouton rouge sont nécesaires) et d'appeler ALINDIEN par téléphone satellitaire.

           On ne voit pas ce qu'un spécialiste de la sûreté (solution MENARD) pourrait apporter de plus à un équipage déjà bien formé. Mettre des militaires à bord avec des armes adéquates est une solution attractive mais c'est peut-être pousser à l'affrontement direct avec des pirates pas du tout impressionnés. Les dégâts collatéraux possibles valent-ils de tenter le coup ? Pour le Capitaine bonjour les ennuis au cas où il serait "autorisé" à escaler dans le premier port de commerce de son voyage !

           Pour nos thoniers, c'est différent. Ils sont à la mer jusqu'à ce que le bateau soit plein à ras-bord, ils débarquent leurs poissons toujours dans les mêmes ports de la région (PORT LOUIS ou DIEGO SUAREZ) où des accords peuvent être facilement trouvés avec les États. En effet le commerce de transformation du thon est vital pour vital pour ces pays là ! D'autre part, il est hors de question de mettre des gardes armés civils à bord… et comme juridiquement le Pavillon ne peut exonérer le Capitaine du navire de ses responsabilités … qui donne l'ordre de tirer sur d'autres hommes? et… devinez qui sera au tribunal si la dissuasion ne se passe pas bien, s'il y a des morts ?

           La solution du convoyage protection par un navire de guerre est bien sûr la meilleure, mais même avec toutes les marines du monde concentrées dans la zone on aura du mal à assurer la protection ne serait-ce que de quelques % du trafic maritime (20.000 passages par an !) Même si la pêche au thon est très lucrative, aucun armement n'a les moyens de se payer un navire d'escorte par bateau !
    Facteur humain
           Le code ISPS nous oblige à le prendre en compte. Les comportements humains sont toujours des facteurs déclenchant et aggravant dans une situation de crise et donc dans toute analyse, le facteur humain augmente la probabilité d'occurrence ou aggrave les conséquences. Les mesures de réduction de risque restent majoritairement la préparation des hommes à vivre une situation nouvelle (avant, pendant et après) et cela se fait toujours par de la formation initiale et continue (exercices et entraînements) puis, après la « bagarre », par un soutien psychologique nécessaire.

           Le groupe de travail STW de l'OMI planche actuellement sur une formation spécifique pour « survivre » dans une situation d'otage. L'OMI ne peut faire « rapide » et donc malheureusement cette formation ne pourra voir que le jour qu'au mieux l'an prochain avec une application vers 2012 ! C'est trop loin…on sait déjà quoi faire et surtout quoi ne pas faire…. Il faudrait donc le faire tout de suite en urgence !

Résultats :

       Sauf convoyage/protection par un bâtiment de guerre, le risque est intolérable. Les mesures de réduction de risque à portée de mains du Capitaine, comprennent l'application du plan de sûreté (conforme au code ISPS) et un comportement adéquat de l'équipage en cas de prise en otage. Une formation spécifique est nécessaire mais elle ne réduit pas à zéro le risque. Le facteur humain prend en compte aussi le comportement des pirates qu'il est impossible d'évaluer… tous les négociateurs restent humbles… il suffit de peu de chose pour que cela dérape, et une rafale de kalachnikov ou de PM fait toujours des dégâts irréversibles!

       On devrait aussi mieux former les équipages sur l'attitude à avoir en cas d'assaut des forces armées. C'est normalement prévu dans le plan de sûreté du navire, mais combien de SSO forment régulièrement leurs équipages là-dessus ? Nous pensons que l'équipage du PONANT et celui du CARRE d'AS ont eu beaucoup de chance …chance aidée par le comportement des membres d'équipage : maîtrise de la situation par notre collègue P.MARCHESSEAU, présence d'esprit de M. DELANNE. Florent LEMAÇON a eu beaucoup moins de chance, malheureusement pour lui !

Suggestions :

NB : l'AFCAN a soumis cette idée à l'OMI dès Mai 2009 via la représentation française. J’ai soumis récemment un projet de formation à l'ENMM du HAVRE.

En conclusion :

       On attend tous des précisions sur l'incident de sûreté relaté par le Lloyd List du 14.10.2009 : Un marin tué alors qu'il se trouvait derrière la porte de la « citadelle » attaquée au fusil d'assaut par des pirates dans le Golfe d'ADEN et un lieutenant, derrière lui, gravement blessé ! En effet, il semble que, de plus en plus violents, les pirates savent très bien à présent que les équipages peuvent se barricader dans une citadelle ; On a également trouvé des pains de plastic dans leurs embarcations (pour faire sauter les portes ?). C'est apparemment, en SOMALIE, aussi facile à trouver que des Kalachnikovs ou des lance-roquettes avec leurs munitions !

       Alors, après avoir tout tenté pour éviter que les pirates ne montent à bord -sans prendre de risques- on continue à recommander la citadelle ? Ou bien ne faudrait-il pas tout simplement se rendre dès qu'ils sont à bord?
octobre 2009
Cdt Bertrand APPERRY
AFCAN AFEXMAR MIIMS

Ref: Rapport Christian MENARD et récit de P.MARCHESSEAU « Prise d'otages sur le PONANT » Ed Michel LAFOND
* « Guidelines on prevention for Masters and Ship Security Officers » ICS/ISF 4ème édition 2004 page 24
** « Meilleures pratiques de gestion recommandées aux propriétaires, exploitants, armateurs gérants et Capitaines des navires en transit dans le golfe d'ADEN et au large des côtes somaliennes » ONU/CGPCS groupe de travail N°3 janvier 2009 §4.




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