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Le code ISM serait-il «l'arnaque» maritime du siècle ?
La page du code ISM n°46
 
  1. Pourquoi la création du code ISM ?
Créé par une volonté générale de «faire quelque chose» après le désastre du ferry «Herald of Free Enterprise» (HOFE) de TT-Line, le code ISM a été conçu au départ comme un système de management autonome de la sécurité maritime à caractère volontaire au sein des compagnies de navigation.
Comme l'a déclaré au procès pénal de l'accident, le président du tribunal Lord Justice Sheen, il est vrai que la compagnie Townsend Thoresen (TT-Line) «fonctionnait bien mal» du point de vue sécurité alors qu'elle était connue comme l'une des meilleures au monde dans son domaine. Il fallait donc faire quelque chose.
Conçu sur un squelette ISO 9002 existant à l'époque, puis adapté à une organisation et gestion de la sécurité et de la prévention de la pollution dans une compagnie de navigation, le code ISM mettait l'accent sur l'application des règles et recommandations existantes et notamment sur la préparation de la compagnie, des navires et de leurs équipages à gérer les situations d'urgence.
Aujourd'hui, c'est vrai, en exigeant des armateurs la prise en compte des règles et des recommandations du secteur et notamment celles qui sont issues des retours d'expérience des accidents de l'industrie maritime après 25 ans d'adolescence, on pourrait croire que la "philosophie ISM/adulte" est à présent pleinement comprise et appliquée.

Eh bien non. Un peu nouveau dans la démarche sécurité maritime et orphelin d'une formation concomitante, le code ISM est beaucoup trop souvent mal compris et donc mal appliqué par les compagnies et les marins.
Mais pourquoi en sommes-nous là ?
Nous allons donc analyser une situation actuelle tout à fait insupportable qui pourrait peut-être révéler une petite «arnaque».
Tout d'abord, comme un texte officiel même international, aussi parfait soit-il, contient toujours des points d'achoppement que l'on essaie ensuite de rectifier petit à petit, le code ISM également a son propre environnement avec ses points faibles et ses points forts.
 
  1. Les points forts les plus significatifs du code ISM.
  • Dans son préambule le code rappelle que l'OMI a invité les gouvernements-membres à prendre les mesures nécessaires pour protéger le capitaine du navire dans l'exercice approprié de ses responsabilités en matière de sécurité en mer et de protection du milieu marin.
  • C'est un code international permettant d'organiser et de gérer la sécurité des navires sous une forme standard avec des objectifs clairement affichés.
  • C'est un code assurant le respect des règles et règlements obligatoires et la prise en compte dans la mesure du possible et raisonnable, des autres recommandations de notre industrie y compris celles issues du retour d'expérience.
  • C'est un code écrit en termes généraux (parfois un peu trop généraux) qui permettent une adaptation nécessaire au fur et à mesure de l'évolution de la sécurité des navires modernes (y compris les M.A.S.S).
 
    • C'est la première fois que le retour d'expérience est exigé dans l'industrie maritime.
    • Le code est un complément aux exigences de la SOLAS dans la préparation du navire à répondre aux situations d'urgence qui comprend toutes les urgences possibles en fonction du type de navire et de ses opérations.
    • Le système DPA (Designated Person Ashore) a été conçu pour surveiller (monitoring) avec l'aide du capitaine à bord, le fonctionnement du SMS indépendamment de son application par les cadres habituels d'une compagnie de navigation que sont les capitaines d'armement, directeurs de la flotte ou autre directeur opérations/sécurité/superintendant.
    • Dans le code, lorsque son rôle est bien compris, une personne désignée, la DPA, évite des blocages possibles entre les besoins du navire et les moyens attribués par la compagnie en mettant la direction au courant d'une manière directe et sûre.
    • En plus des inspections classiques de la direction, un processus d'audit interne permet que des personnes indépendantes puissent détecter et analyser des dysfonctionnements dans un secteur particulier ou du SMS lui-même (y compris donc dans la surveillance de fonctionnement effectuée par la DPA) et trouver des solutions avec les opérateurs afin d'éviter des accidents : c'est le côté proactif du code.
    • Toutes les anomalies concernant la sécurité ou la protection de l'environnement sont communiquées à la direction de la compagnie qui ne pourra plus ainsi se prévaloir d'une «non-connaissance» en cas d'accident.
    • Pour la première fois dans la marine marchande, la criticité d'un appareil doit faire l'objet d'une étude pour augmenter sa fiabilité et, en corollaire, le fonctionnement du navire en mode dégradé est préparé en amont, premier pas vers le système «safe return to the port». De plus, un test régulier des appareils en stand-by est aussi exigé (feu et extinction - drôme de sauvetage et appareils associés) pour être certain de leur bon fonctionnement le jour où on en a besoin.
    • Une autogestion de ce management de la sécurité est organisée avec des analyses périodiques d'efficacité et de progression qui sont communiquées aux personnes concernées plutôt que d'attendre les vérifications de l'administration d'un pavillon.
    • Le code exige une définition claire des responsabilités de l'ensemble du personnel impliqué dans la sécurité du navire, de ses opérations et de la protection de l'environnement qui en résulte, du directeur général à l'employé du service approvisionnements.
    • Le code remet le focus sur les responsabilités et les pouvoirs particuliers du capitaine
    • La standardisation du management de la sécurité permet une analyse globale pour une industrie par définition, internationale.

  1. Les points faibles constatés du code et de son application.
  2. Après 25 ans d'existence, nous connaissons bien aujourd'hui les points faibles du code ISM, qu'ils soient dans la conception du code ou dans son application :
    • La protection du capitaine prévue dans le préambule a été complètement oubliée.
    • Dans les paragraphes 5 à 12 du code, tous les articles commencent par «la compagnie devrait» et c'est seulement le chapitre IX de la SOLAS qui transforme virtuellement ce conditionnel en obligation. Ce n'est finalement pas très clair.
    • Utilisation étrange de l'expression "gestion de la sécurité" plutôt que "management", qui a pourtant une bonne définition en français, ce qui a perturbé plus d'un marin français.
    • La certification de conformité est possible par des ROs (Recognized Organisations) au lieu des «administrations des pavillons», business pour elles peut-être mais sans trop fâcher l'armateur qui reste toujours un client.
    • Pas de volonté de la part des ROs de voir les compagnies mettre en place un système de vérification interne efficace qui enlèverait toute utilité aux ROs et du pouvoir à l'administration du pavillon.
    • Equipages plus que jamais hétérogènes pour des raisons de coût, donc difficultés importantes à appliquer une culture sécurité compagnie (syndrome Costa Concordia).
    • Les procédures sont presque toujours inconnues des membres d'équipage. A chaque accident, il apparaît toujours une méconnaissance des procédures, ce qui ne s'explique pas, sauf à soupçonner les officiers de garder cela pour eux et de laisser le «rating» philippin ou indonésien à l'écart (syndrome Bow Mariner)
    • Le «reporting» requis par le paragraphe 9 du code est peu encouragé, pour peut-être diminuer la paperasse sauf à l'offshore et au pétrole, cependant avec parfois une obligation assez curieuse d'un nombre minimum de «near-misses» par mois totalement incompréhensible.
    • La formation ISM n'existe toujours pas véritablement, peu fréquente pour la DPA, absente pour les auditeurs internes et les membres d'équipage, succincte à l'ENSM et quasi absente ailleurs, même au niveau capitaine. Pour quelle raison ? Peut-être le coût (syndrome low cost).
    • Le SMS peut amener une fausse confiance car l'armateur peut croire s'en acquitter en émettant une grande quantité de manuels sensés aider l'équipage à appliquer les procédures. Sauf que l'équipage ne les lit presque jamais et donc ne les applique pas. On travaille donc encore souvent «à vue de nez» comme auparavant.
    • La formation continue, indispensable pour le maintien des connaissances, est en général bien mal organisée et il a même fallu attendre 2017 dans STCW pour réaliser la revalidation des connaissances essentielles du marin, sauf celles sur l'ISM bien sûr.
    • La préparation de la compagnie et de l'équipage à répondre à toute situation d'urgence est restée à un niveau SOLAS élémentaire qui apparaît à chaque accident comme la cause majeure des décès des membres d'équipage ou des passagers. En effet à bord, du fait des répétitions, on peut vous faire effectuer un minimum d'exercices de sécurité en dilettante comme sur un simulateur. On simule des gestes simples comme couper l'arrivée du combustible aux MP par exemple au lieu de le faire vraiment, et ensuite seulement on laisse travailler l'imagination pour simuler une extension de l'incident. L'efficacité devient douteuse pour des exercices et entraînements sensés rentrer dans la formation continue (syndrome Norman Atlantic).
    • Même si tous les paragraphes ou presque du code ISM commencent par "la compagnie devrait", aucun autre texte ne précise clairement la responsabilité du manager de la compagnie comme celle du capitaine. Lors du procès de l'accident du Costa Concordia (2014), l'application du code ISM a été seulement effleurée et même si la responsabilité de la compagnie a été mise en lumière, seul le capitaine Francesco Schettino fait de la prison. Il n'y a donc aujourd'hui aucune volonté d'éviter que le capitaine soit toujours le meilleur bouc émissaire (syndrome HOFE).
    • Les audits internes, qui se traduisent par des systèmes de management, sont toujours autant bâclés par des compagnies car, les auditeurs externes consultant les rapports d'audit, les auditeurs internes ont mission de faire en douceur afin d'éviter la double peine. C'est le syndrome du "pas vu, pas pris" qui est l'inverse du but recherché.
    • Pas de volonté de clarifier le rôle de la DPA qui, pour beaucoup de compagnies, reste encore flou. Cela évite qu'elle vienne voir les directeurs des différents services avec cette terrible possibilité de les shunter et de s'adresser au président directement (syndrome DPA).
    • Un chapitre 7 «Opérations du navire» beaucoup trop succinct, qui semble parfois oublier les principales opérations du navire que sont la conduite du navire (navigation en toutes conditions) et les opérations commerciales au port (syndrome El Faro).
    • Dans des administrations du pavillon, des tentatives ont été faites pour prendre la certification ISM avec le sérieux qu'elle méritait. Mais pour des raisons principalement de méconnaissance du sujet, les candidatures de certificateurs n'ont pas été nombreuses et donc les choix étaient limités pour aboutir à des responsables du pavillon souvent considérés comme des électrons libres et agissant parfois n'importe comment dans une atmosphère de désintérêt général. D'autres pavillons plus prudents ont laissé les ROs s'en charger, et faire ainsi le bonheur de ces spécialistes du code ISM, mais plus ingénieurs ou architectes navals que marins ils ne sont pas toujours suffisamment crédibles. La future délégation de la certification ISM à une société de classification (AFFMAR 2022) nous interpelle quand même beaucoup.
    • Principale erreur de l'application de l'ISM, le parallèle avec les normes ISO 9000 a été funeste. Cette norme étant surtout administrative à l'inverse du code ISM qui en principe joue sur le facteur humain, ce parallèle a été à l'origine de SMS en forme de «montagne de papier» qui fait instinctivement reculer le marin. Pour renforcer encore cette très mauvaise image, on continue à former les certificateurs ISM comme des inspecteurs ISO et on a abouti aujourd'hui à cette anomalie criante de vouloir assurer une culture sécurité d'excellence via un processus qualité uniquement administratif qui est l'inverse de la culture du marin opérationnel (syndrome ISO 9000).
    • Le code ISM n'a pas réussi à clarifier les passages imprécis de la sécurité maritime comme la différence entre le SMC (safe manning crew) et la «muster list». D'un côté une théorie qui n'a rien à voir avec la sécurité et de l'autre, un équipage toujours prêt à répondre à toute situation d'urgence ce qui est un des objectifs du code. (syndrome SMC).
    • Présenté au marin par des gens sans expérience de la mer, comme quelque chose de nouveau qui allait enfin lui apprendre son métier, le code ISM a suscité une réaction de rejet parfois très vive chez des capitaines qui avaient pourtant une grande expérience à la mer.
  3. Un jugement célèbre a provoqué des réactions d'incompréhension.
  4. Pour le naufrage du Costa Concordia (2012), même si au civil l'affaire est loin d'être terminée, au pénal, tous les appels ont été épuisés et aujourd'hui le capitaine Francesco Schettino se retrouve seul en prison, tandis que Costa Croisière, la compagnie responsable de presque tout au titre du code ISM, continue comme si de rien n'était ou presque (syndrome responsable mais pas coupable).
Rappel des sentences : le capitaine Francesco Schettino, 16 ans et 3 mois de prison à Rome (prison Rebibbia), le responsable de la cellule de crise à terre (en l'occurrence DPA) et le commissaire/hôtel manager ont été condamnés à 2 ans et quelques mois pour leur contribution à la mauvaise gestion de la situation d'urgence, et l'armateur Carnival (propriétaire de Costa) ainsi que l'opérateur Costa Croisière s'en tirent avec une amende globale négociée pour tous (sauf le capitaine bien sûr) à 1,1 million d'euros, somme pas très importante pour eux ! Lorsqu'on voit les défaillances constatées par la commission d'enquête, cela laisse rêveur.
Même si l'application du SMS à bord est sous la responsabilité du capitaine, il appartient à la compagnie (la DPA est justement désignée pour cela) de vérifier que son système est correctement appliqué sur chaque navire par l'intermédiaire du capitaine (via sa présence/responsabilité constante sur les lieux, ses analyses permanentes et ses revues
 
    périodiques) ensuite par les auditeurs internes et de manière aléatoire par la DPA elle-même lors de ses propres inspections, lorsqu'elle en fait.
    La liste des défaillances constatées est longue pour le Costa Concordia et on y retrouve quelques similitudes avec d'autres accidents comme le manque de formation adéquate du personnel alors que nous avons la convention STCW depuis 1978 profondément amendée en 2010.
    Tout se passe donc comme si les responsabilités de la compagnie étaient occultées via l'utilisation de la législation nationale qui a complètement oublié de les intégrer dans ses arrêtés, et qu'ainsi le capitaine reste toujours le meilleur bouc émissaire.

    Aujourd'hui en effet et pour l'avoir constaté, les tribunaux continuent à ignorer le code ISM qui est pourtant un des piliers de la sécurité maritime, en préférant tout baser sur l'inaptitude ou l'erreur humaine du seul capitaine. On peut espérer que les juristes spécialisés vont un jour clarifier tout cela.
  1. Signal faible peut-être, mais la prise en compte de la responsabilité de la compagnie dans les accidents semble doucement évoluer.
  2. Le code ISM est assez clair dans son chapitre 3.2 : la compagnie devrait définir ou établir par écrit les responsabilités, les pouvoirs et les relations réciproques de l'ensemble du personnel chargé de la gestion de la sécurité. Mais, dans tous les derniers cas d'accident, le capitaine a surtout été souvent considéré comme le seul responsable de la non-application des règlements ou procédures du SMS. Son rôle de bouc émissaire semble donc à chaque fois confirmé mais on conserve un espoir car dans les études suivantes se trouve comme un signal faible.



    Naufrage du porte-conteneurs El Faro (pavillon US) ou prise en compte probable de la responsabilité de l'armateur.

    A la suite du naufrage de l'El Faro en octobre 2015, les rapports des USCG et du National Board, tout en mettant en cause le capitaine, faisaient état de nombreux autres manquements. Le VDR, retrouvé grâce à de très gros moyens, a été exploitable avec un enregistrement de 26 heures.
    Le rapport reproche au capitaine du navire une mauvaise appréciation, sous-estimation en fait de la gravité de la situation : un défaut de précautions pour échapper au gros de la tempête (n'a pas évité la zone dangereuse par crainte de consommer trop de fuel), une mauvaise appréciation de l'état du navire malgré les avertissements des officiers. Pourtant le capitaine était expérimenté et venait de plusieurs années de voyages au large de l'Alaska, une région pas facile.
    L'armateur a également été très critiqué pour de nombreux manquements, des infractions sur les heures de travail et de repos, sur des manques de formation à la sécurité, sur des manques d'entretien ou de modernisation d'installations (comme cette énorme dérogation : canots ouverts pour les navires construits avant 1986), avec une stabilité inadéquate, absence de procédures internes pour les périodes de cyclones, tout cela issu d'une demande à bénéficier de la clause «grand father».
    La classe ABS et les USCG sont également critiqués dans ce rapport pour ces mêmes raisons, avec en particulier le programme ACP (Alternative compliance program), typiquement américain, qui finalement permet à des navires inférieurs aux normes de naviguer quand même sous pavillon US.
    Le procès correspondant est toujours en cours d'instruction. Il sera intéressant de voir si cette fois-ci l'armateur (Américain) sera condamné pour négligence (*).

    En parallèle, une autre analyse récente dans la revue Safety At Sea par la rédactrice en chef en février 2018, intitulée «Qui doit être blâmé dans les accidents maritimes ?. Les enquêtes sur des accidents majeurs comme El Faro et Costa Concordia mettent en lumière la responsabilité des compagnies maritimes. Lors d'un accident maritime, les membres d'équipage et leurs décisions sont examinés pour voir s'ils ont été bons ou mauvais. Tandis qu'il est normal que les actions soient analysées pour découvrir les causes originelles de l'accident, pour ainsi apprendre et ensuite partager l'expérience avec le reste de l'industrie maritime. L'équipage est toujours en première ligne tandis que les armateurs qui ont le pouvoir réel dans les opérations et la culture restent impunis.» Crédit Tania BLAKE, www.safetyatsea.net

    C'est vrai, dans le partage des responsabilités liées à la sécurité du navire et de ses opérations, on croit, grâce au code ISM, que les choses sont claires :
    • Les objectifs de culture sécurité et de prévention de la pollution sont ceux de la compagnie exploitante (pas ceux du capitaine).
    • Il appartient à la compagnie d'établir, de mettre en œuvre et de maintenir un système de management de la sécurité (créé par la compagnie et non pas par le capitaine du navire).
    • Pour atteindre les objectifs, la compagnie doit établir une politique et doit veiller à ce que cette politique soit appliquée par tous (ce n'est pas la politique sécurité du capitaine).
    • Les responsabilités de l'ensemble du personnel doivent être définies. On trouve rarement la responsabilité de toutes les personnes concernées à terre et notamment leurs responsabilités dans l'application du SMS de la compagnie. Cependant, depuis les circulaires de l'OMI de 2007 et 2013 on trouve à présent assez facilement les responsabilités de la DPA sans pour autant les voir très détaillées.
    • La circulaire MSC-MEPC.7/Circ.8 est très claire à ce sujet. L'idéal serait que pour chaque fonction, un paragraphe dans le SMS soit inséré dans la description du poste.
    Conclusion, comment les compagnies réagissent-elles après un accident qui les concerne ?
    En général, les compagnies estiment que les gouvernements ou l'OMI ne sont pas compétents et donc, qu'il leur faut trouver elles-mêmes la solution. Cela part d'un bon sentiment d'autorégulation sauf que certains armateurs vont se diriger vers une action la moins chère possible.

    Cependant, si au niveau international et OMI, les responsabilités des uns et des autres à terre autant qu'à bord étaient bien définies et comprises, on n'en serait peut-être pas là. Le code est apparu en partie pour cela : bien définir les responsabilités des uns et des autres, et pour aider aussi les instances qui interviennent dans les jugements nationaux qui suivent les accidents maritimes.
  3. Une des causes du désamour : dans le code ISM, la barre a été mise trop bas.
  4. William O'NEIL secrétaire général honoraire de l'OMI, est très satisfait du code "the ISM Code in my view, is one of the most significant steps forward that IMO has taken in maritime safety since its foundation, not because it supersedes that status of all other IMO conventions, but because it embraces their standards and provides the framework through which they can be implemented", mais son application est loin d'être suffisante.

    Tout d'abord, devant être à l'origine d'une politique volontaire, le texte officiel du code ISM est d'un conditionnel inapproprié : the company should (devrait)…
    Ensuite pour assurer une applicabilité la plus large possible, il est très succinct dans le texte en montrant parfois des prouesses de concision comme par exemple le paragraphe 4 du code où il manque la «personne désignée».
    Mais à faire concis on peut aussi faire trop flou ce qui permet en effet parfois de biaiser en tentant d'éviter un coût supplémentaire, le coût réduit (low cost) qui perdure et qui a provoqué parfois l'application des exigences d'une manière insensée. (Voir l'article "génération maritime low cost" dans AI N°118 ou sur le site afcan.org dans le dossier "Tribune libre").

    Ainsi, les approximations continuent.
    Récemment, un capitaine, dans un petit P&I, a sorti une énormité : "DPA (is) responsible for everyship's safe operation" ce qui n'a pas de sens concernant une personne qui par définition reste à terre.
    Récemment, le colloque 2020 SAFETY4SEA à Londres a vu un autre capitaine démolir le code. Grand supporter du code à ses début, il est passé aujourd'hui de l'autre côté à force de voir une implémentation erratique et avec une certification néanmoins conforme effectuée par des auditeurs de ROs qui n'ont pas la moindre idée de la gestion d'un navire. Il voit avec désolation, les capitaines de navire tomber complètement sous le harcèlement des petits chefs à terre et qui en conséquence, passent leur temps à rédiger rapports sur rapports inutiles au lieu de travailler à améliorer la culture sécurité de leur équipage.
    William O'NEAL l'avait rappelé en 2002 alors que l'OMI commençait à travailler sur le texte du code ISPS : "Pour la rédaction du code ISPS n'oubliez pas cette fois-ci, contrairement au code ISM, d'inclure les formations nécessaires pour tous les intervenants", ce qui a été fait.
    Donc, malgré les efforts lors de la naissance du code et ensuite lors de son application, il semble qu'il soit toujours aussi négligé.
    Le manque de formation initiale serait-il une cause de ce désamour ?
    Dans les écoles maritimes en France ou ailleurs, on donne une formation ISM "maison" c'est-à-dire une interprétation, car le cours type OMI n'existe pas.
    Et pourtant dans le code STCW, l'OMI met tout en forme de tableau comprenant les connaissances, la compréhension, les aptitudes à acquérir et les compétences qui en résultent (KUP - knowledge, understanding & proficiency) pour toutes les matières du métier sauf pour le code ISM qui est noyé dans une formation générale.

    Le guide ICS (Guidelines on the application of the IMO International Safety Management-ISM-Code) sur le code ISM a été le premier et le dernier document d'information valable sur l'application du code ISM. Il est à sa 4e édition aujourd'hui. Ces instructions précisent, que «the task of implementing and maintaining the SMS is a line management responsibility (while) monitoring activities should be carried out by a person independent of the responsibility for implementation" (page 16 de l'édition de 1996)

    Philippe Anderson, dans son livre «cracking the code» qui date de 2003 note : «The full significance of the role of the designated person ashore is still far from clear. There is still much speculation about the role and legal exposure of the DP among lawyers and academics but, as far as, the author is aware, there have been no judicial decisions providing clarifications of the area of doubt. The author is also unaware of any prosecutions against a DPA by the English courts»

    Peu de cours ont vraiment compris le rôle de la DPA même si certains ont fait un bel effort grâce notamment au support de la circulaire de 2007 «Directives sur les qualifications, la formation et l'expérience de la DPA» puis celle de 2013 pour ses responsabilités. Elles sont clairement exprimées : «vérifier et surveiller les aspects de l'exploitation de chaque navire, liés à la sécurité et à la prévention de la pollution», ou encore : la personne désignée «doit veiller à l'application efficace de la gestion de la sécurité». C'est donc bien un travail de vérification et de monitoring, pour un système de management existant et pas celui d'application ou implémentation du système lui-même qui revient à la direction générale et à ses directeurs concernés.
  5. Tout cela sent-il «l'arnaque» ?
Le code ISM a plus de 25 ans et on ne se rappelle déjà plus que l'assurance qualité du management de la sécurité repose sur une structure de vérification et de monitoring même si Lord Justice Sheen avait estimé nécessaire la présence d'un marin dans l'organisation à terre, ce qui était déjà en usage à peu près partout dans le monde, sauf chez Towsend-Thoresen apparemment.

On assiste donc souvent à cette terrible méprise qui est de confondre le responsable de l'application et le responsable de la vérification, qui doit de nos jours, être obligatoirement indépendant du secteur opérationnel.
C'est quand même assez étonnant, on crée "la personne désignée" avec une fonction originale majeure et on l'oublie ensuite pour peut-être permettre à toutes les compagnies de travailler. Connaissez-vous beaucoup de compagnies à qui on a enlevé le DOC pour non-conformité sur la DPA ?
 
    Si d'une part, on suit les tenants d'une DPA complétement responsable de la sécurité, on va vers de nouveaux désastres car rien ne pourra éviter le laxisme du responsable (comme chez Townsend-Thoresen) alors que justement les normes de management modernes requièrent bien une surveillance proche du contrôle ou assurance qualité, plutôt que du contrôle de la production (équipements ou services) elle-même.
    Et d'autre part, alors que l'arrivée de l'intelligence artificielle nous pousse à revoir les bases et le contenu des formations des marins du futur, il serait bon qu'on admette l'erreur originelle qui était de ne pas inclure une formation spécifique ISM dans STCW et de l'inclure enfin avec une section spéciale dans le code STCW avec des cours types, une certification, etc.
    Le code STCW a donc besoin d'une refonte introduisant une formation spécifique au code ISM. Cela ne devrait pas être trop difficile finalement, mais cela ne veut pas dire que tous les membres de l'OMI vont la signer facilement.
  1. Alors le code ISM, «arnaque» ou pas ?
  2. Finalement, où est la duperie ?
    Récapitulons, à chaque accident important, le code ISM est quasiment oublié :
  1. Les dirigeants de la compagnie sont rarement inquiétés.
  2. La compagnie parfois disparait (TT) mais renait sous un autre nom dans pratiquement le même état (P&O).
  3. Le capitaine s'en tire rarement sans dommage même quand il n'a rien à se reprocher (Bardari, Mathur, Mangouras).
  4. Le pavillon et donc ses autorités s'en tirent toujours haut la main (Erika, Costa Concordia).
  5. La classe, à qui le pavillon délègue de plus en plus, s'en tire aussi toujours parce qu'on a tant besoin d'elle.
  6. Le SMS de la compagnie issu du code ISM assure en théorie une complète conformité avec les règles et règlements obligatoires, pourquoi alors avons-nous besoin encore des visites périodiques du pavillon (ex visites annuelles) et les "Port state controls", alors que la certification ISM devrait être suffisante. Les marins peuvent se demander si on ne se moque pas un peu d'eux.
 
  1. Malgré pas mal de passages assez flous dans le code ISM, on s'attarde à ne modifier que les circulaires accompagnatrices que certains pavillons ignorent systématiquement.
  2. Comment, pour un code considéré comme un pilier de la sécurité maritime, on n'a pas de certificat de formation STCW associé ? Mais par contre, c'est le cas pour l'ISPS, y compris pour tous les membres d'équipage alors que la sûreté du navire n'est qu'une partie de la sécurité.
  3. On persiste à utiliser le terme "should", la compagnie devrait donc "sans obligation" bien que le code soit entré dans la SOLAS comme chapitre IX.
    En effet, la formation ISM reste toujours du domaine aléatoire alors que le code est considéré comme une des meilleures initiatives de l'industrie maritime depuis la SOLAS. Tout se passe comme si plus de 20 ans après les analyses des premiers impacts du code, on en est toujours à se demander comment faire pour rectifier l'erreur du début. Qu'on ait oublié la formation, on l'admet implicitement mais comme l'OMI ne reconnaît jamais ses erreurs, c'est bien difficile à rectifier. Quant à l'application du code ISM, malgré les efforts de l'OMI notamment dans la formation des certificateurs, on trouve toujours un peu n'importe quoi comme SMS mais toujours certifiés conformes et opérationnels bien sûr. Il est peut-être fini le temps des manuels copiés/très mal collés, que l'on trouvait dans les années 2000. Mais si la conformité a évolué, la qualité est loin d'être au rendez-vous, toujours principalement à cause d'un manque de formation adéquate de tous les opérateurs, du PDG aux matelots en passant par le capitaine.

    Il y a cependant un bémol sérieux. Comme toujours il ne faut pas généraliser, certains acteurs de la gestion de la sécurité le font très bien et en général, ce sont ceux qui font le moins de bruit.
    Beaucoup plus près de l'esprit des pionniers de l'ISM (autogestion), certaines compagnies ont mis en place des SMS d'une grande simplicité et d'une grande efficacité concomitante pour la plus grande réussite d'une culture sécurité acquise et conservée dans leur activité. Ce sont souvent des niches maritimes où les dirigeants ont "les pieds sur terre" ce qui dans ce cas n'est pas un comble.

    Que pourrait-on faire ?
    On pourrait se pencher sur une amélioration du texte du code et gagner en compréhension, ce qui éclairerait ceux qui ne veulent pas voir. Une telle proposition nécessiterait une revue complète du texte du code lui-même en tenant compte des circulaires associées déjà parues mais complétées si nécessaire.
  1. Conclusion.
  2. Si le titre de cet article est volontairement accrocheur en ces termes de "d'arnaque maritime du siècle", le contenu doit rassurer, le bilan n'est pas si catastrophique que cela.
    Avec les améliorations proposées ci-dessus, il y a de quoi être beaucoup plus confiant dans l'avenir. Mais que le retour d'expérience est long dans l'industrie maritime ! Les exemples sont nombreux, et pour le code ISM dans sa totalité, 25 ans après sa naissance, combien faudra-t-il encore attendre pour une révision complète ?
    En fait, parmi ceux qui consacrent leur temps à l'amélioration de la sécurité maritime et qui se sont focalisés sur le code ISM, ceux qui réussissent le mieux sont des capitaines ou d'anciens capitaines avec une solide expérience à la mer et donc de la gestion des équipages et de l'organisation de la sécurité à bord. Tous sont unanimes pour dire que la pièce maîtresse de l'application effective du code, c'est le capitaine du navire et ils basent leur action sur cela. Pourtant c'est sur ce même capitaine que tombe en général la facture pénale de l'accident.
    Tous se passe comme si, négligées par certains armateurs ou autres responsables, les conséquences néfastes d'une mauvaise application du code ISM sont attribuées au seul capitaine.
    Les tribunaux et des avocats "maritimistes" ignorent encore le code ISM et se concentrent sur l'erreur humaine ou plus exactement sur la contre-performance du capitaine.
    C'est pourquoi l'Association française des capitaines de navires a été créée à la suite de la loi "scélérate" française de 1975 sur la responsabilité totale du capitaine.
Avril 2020.
Cdt Bertrand APPERRY
AFEXMAR-AFCAN-HYDROS
bertrand.apperry@orange.fr

(*) Le cas El Faro est revenu sur le devant de la scène ce printemps 2020 par une sorte de "mea culpa" des USCG, nous en reparlerons donc.


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