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La Personne Désignée ISM en 2016 : un sacré job !
Page du Code ISM Nº37



Conscient de la persistance des interprétations erronées de certaines parties du code ISM, je propose ici une révision de la page N°15 publiée en 2003 dans cette même revue il y a donc déjà 13 ans. C'est quand même dommage de constater, lors de mes missions de conseil ISM ou à l'occasion de corrections de mémoires d'experts maritimes recherchant cette spécialité, que tant d'interprétations erronées apparaissent toujours dans de nombreux SMS (Système de Management de la Sécurité) et qui sont pourtant certifiés conformes.
NB : la présente relecture prend bien sûr en compte la circulaire MSC-MEPC.7/Circ.8 publiée par l'OMI en juin 2013 pour justement clarifier quelques points du code.
J'ai abandonné la discussion stérile avec les organisations reconnues (RO) qui acceptent toujours de telles stupidités comme celle-ci par exemple: le directeur général peut être la DPA !

Etude version 2016
Appelée IDP, DP, DPA ou autre PD, cette personne clé du code ISM a fait couler pas mal d'encre déjà, mais je voudrais ici faire un bilan exhaustif de ce problème récurrent.
  1. Référence et Avertissement
  2. Le code ISM présente des exigences qui doivent être considérées comme un minimum, toute exigence supplémentaire ne peut venir que de l'Etat du pavillon ou de l'Etat du port, de la compagnie elle-même ou du navire.
    Texte en français du § 4 du code ISM :
    « Personne(s) Désignée(s)
    Pour garantir la sécurité de l'exploitation de chaque navire et pour assurer la liaison entre la compagnie et les personnes à bord, chaque compagnie devrait, selon qu'il convient, désigner une ou plusieurs personnes à terre ayant directement accès au plus haut niveau de la direction. La responsabilité et les pouvoirs de la ou des personnes désignées devraient notamment consister à surveiller les aspects de l'exploitation de chaque navire liés à la sécurité et à la prévention de la pollution et veiller à ce que des ressources adéquates et un soutien approprié à terre fournis, selon que de besoin ».

  3. Historique
  4. L'idée d'un code de management était dans l'esprit de l'industrie maritime depuis le milieu des années 80, cependant la notion de Personne Désignée à Terre n'est apparue qu'après l'accident du "HOFE" (HERALD OF FREE ENTERPRISE de TOWNSEND-THORESEN) le 6.3.1987 à la sortie du port de Zeebruge causant la perte de 188 vies humaines.
    Traumatisés par ce naufrage, les Britanniques ont « inventé » la Personne Désignée. Il s'agissait en plus du personnel normal d'une compagnie de navigation classique, d'avoir une personne spécialement désignée pour assurer une liaison fiable entre la direction et les marins et surveiller les opérations de leurs navires.

    Pourquoi ? Rappelez-vous, la direction de la compagnie, a été reconnue coupable de défaillance dans le management de la sécurité de ses ferries et le tribunal a estimé qu'il manquait une personne particulièrement désignée pour s'occuper des problèmes de sécurité au sein de la compagnie. Cette défaillance a été considérée comme une des causes du naufrage.
    Ceci était peut-être le cas de cette compagnie, mais dans la plupart des autres compagnies, en France entre autres, un capitaine d'armement – avec ses adjoints pour les plus grandes compagnies - était traditionnellement le « safety officer » en charge de tous les problèmes sécurité des navires et des opérations.

    Après le procès, la direction générale de TOWNSEND THORESEN (P&O déjà) réorganisa d'ailleurs sa structure de management et nomma un directeur des opérations ayant une qualification marine mais sans pour autant créer une fonction spécifique telle que nous la connaissons aujourd'hui.

    Mais toujours aussi pragmatiques, les Britanniques sont allés encore plus loin. En effet dès 1988, ils ont exigé pour leurs compagnies, la désignation d'une personne pour assurer la communication et « surveiller » les opérations des navires « to oversee the operation of their ships » : Il s'agit donc déjà d'un « contrôleur » plutôt que d'un responsable sécurité, qui lui, était plutôt chargé de l'application des règles de sécurité internationales (SOLAS, LL, STCW, MARPOL, COLREG ou ILO) dans la compagnie et sur les navires.
    Cette notion de Personne Désignée à Terre (DPA-Designated Person Ashore) présentée avec insistance par les Britanniques a eu un peu de difficulté à entrer dans les résolutions successives de l'OMI sur le management de la sécurité. Encore une fois c'est un dramatique accident, celui du SCANDINAVIAN STAR en avril 1990 faisant 158 morts, qui a accéléré la publication de la Résolution A 680 en 1991 puis la fameuse Résolution A 741 en 1993 qui est la naissance officielle du code ISM tel que nous le connaissons.
    La notion de personne désignée y est introduite et finalement entérinée sous sa forme actuelle par le groupe de travail sur l'ISM (HE WG) puis par le MSC et enfin par la 17e Assemblée de l'OMI en 1993.

  5. Etude du texte du code:
  6. Quoique rédigé assez bizarrement le texte est quand même assez clair : on y trouve les responsabilités et l'autorité minimum de la DPA (Personne désignée à terre). NB, ce texte n'a pas changé d'un iota depuis la première version !
    • Assurer la liaison entre le plus haut niveau de la direction et les personnes à bord (fonction liaison): par plus haut niveau on comprend le niveau décisionnel notamment le niveau financier et lorsqu'on parle des personnes à bord on pense à tous les membres de l'équipage car sinon le code aurait dit le navire ou le capitaine.
      Ce manque de liaison a été mis en lumière par le tribunal dans l'accident du "HOFE" et précise dans ses attendus : « the need for ….the maintenance of proper channels of communication between ship and shore for the receipt and dissemination of information ».
    • Surveiller les aspects sécurité et prévention de la pollution des opérations de chaque navire (que nous appellerons fonction monitoring N°1) : Cette responsabilité de la personne désignée n'est pas simple à assurer. En effet, comment depuis la terre, surveiller les opérations de chaque navire concernant la sécurité et la protection de l'environnement ?
      Les mauvaises habitudes prises par les équipages de TOWNSEND THORESEN (plusieurs navires étaient concernés) d'appareiller portes ouvertes et/ou avec une assiette négative de près de 1m pour respecter autant que possible l'horaire, auraient peut-être été abandonnées si une personne chargée de surveiller les opérations en avait informé le plus haut niveau de la direction générale… qui aurait pu alors ordonner à la direction commerciale de réaménager les horaires.
    • Veiller à ce que des ressources adéquates et un soutien approprié soient fournis selon que de besoin (fonction monitoring N°2) : Les demandes des capitaines du "HOFE" (et des autres ferries) pour diminuer les risques de ces mauvaises pratiques (appareillage portes ouvertes et avant l'heure, arrivée à l'heure, maximum de passagers ou fret) non seulement n'ont pas été accordées mais n'ont reçu aucune réponse même pas un refus verbal. Il s'agit :
      • des témoins d'ouverture des portes-avant (les portes étaient invisibles de la passerelle). Cette demande a d'ailleurs fait beaucoup rire les directeurs ont-ils avoué devant le tribunal.
      • du remplacement de la pompe de ballast par une pompe plus puissante pour accélérer la rectification d'assiette après le départ
      • de la demande de calcul de la stabilité en assiette négative importante (pas prévue dans le « stability booklet »).
      Les demandes des capitaines ont donc été bloquées au niveau « opérations » par une ou des personnes incompétentes dans les domaines concernés :
      Une personne à terre ayant les compétences nécessaires, voyant passer ces demandes aurait pu intervenir ou tout au moins, assurer une réponse aux capitaines.

  7. En quoi consiste finalement cette fonction ?
  8. Les implications juridiques des responsabilités de la personne désignée sont très vite apparues aux Anglo-saxons et les avis ou études ont fusé dès 1996.

    1. Fonction liaison
    2. Cette fonction est significative et à peu près universellement comprise et appliquée : il s'agit d'assurer une liaison fiable entre le niveau direction générale et les personnes à bord de chaque navire.
      • Les liaisons entre les capitaines et la direction générale ne manquent généralement pas. Pour de petites compagnies, le problème ne se pose pas (la DG est toujours proche de ses navires qui sont finalement sa raison d'être). Pour d'autres, peut-être. Quoiqu'aujourd'hui un capitaine peut toujours, via courrier ou e-mail, faire passer un message directement au directeur général. Point besoin donc apparemment d'une personne désignée pour cela. C'est une réponse fréquente.
      • Les autres officiers à bord ont traditionnellement des communications fréquentes avec les responsables à terre (chef mécanicien avec le directeur technique, second capitaine avec le safety officer, commissaire avec le directeur des services hôteliers etc.).
      • Les autres hommes d'équipage ont des moyens de communication avec le capitaine ou la direction à terre via leurs chefs de service, leurs représentants à bord (représentant syndical ou représentant sécurité, commission paritaire ou CHSCT etc.) s'ils existent.

      Alors pourquoi avoir besoin d'une autre voie de communication ?

      Il s'agit bien sûr d'un tout autre lien ou voie de communication qui pourrait être utilisé au cas où les voies traditionnelles évoquées plus haut ne fonctionneraient pas.
      Les causes peuvent- être multiples :
      • Dysfonctionnement au niveau directions intermédiaires (cas du "HOFE")
      • Dysfonctionnement au niveau du capitaine : non prise en compte ou implication personnelle du capitaine (cas du COSTA CONCORDIA)
      • Dysfonctionnement au niveau du chef de quart (non-prise en compte ou oubli)
      • Ou tout simplement, au niveau des membres d'équipage, timidité ou peur des réactions proches ou immédiates du management du bord (attitude fréquente dans les équipages multinationaux d'aujourd'hui (cas du BOW MARINER)
      Il s'agit donc de suppléer à ce type de dysfonctionnement et de créer une voie de communication nouvelle qui fonctionnera à tous les coups : la voie ISM.

      La voie ISM est une voie parallèle, utilisée quand les voies normales ou traditionnelles ne fonctionnent pas : c'est en quelque sorte un BY-PASS.

      Ainsi comprise, cette voie de communication supplémentaire:
      • Appliquée au cas du "HOFE", aurait certainement évité l'accident : via la personne désignée les capitaines atteignent le CEO (Chief Executive Officer) qui, connaissant bien ses responsabilités, lorsqu'il est au courant d'un problème, s'empressera de trouver la solution car l'obligation de « due diligence » est primordiale vis-à-vis de l'assureur ou … du tribunal.
      • Appliquée à d'autres cas, où le comportement du capitaine ou des officiers ne correspondait pas à leurs responsabilités (de l'avis de l'équipage). Cette liaison aurait peut-être évité quelques drames (échouements spectaculaires, jet à la mer de clandestins que nous connaissons tous).
      Cette interprétation passe bien auprès des équipages avec cependant une formation / information adéquate afin d'éviter les bavures du genre : voie ISM utilisée pour réclamer ou régler des comptes.

      NB : cette voie est à utiliser avec discernement bien sûr et la DPA doit être à même de tenter de régler le problème au niveau opérationnel avant d'aller frapper chez le « big boss ». Souvent la DPA a la possibilité de règlement jusqu'à une certaine somme fixée par la direction (exigence ISM §3.3).
Ci-contre un synoptique élémentaire de la voie de communication ISM

En conséquence, Le Système de Management de la Sécurité (SMS) de la compagnie doit prévoir le fonctionnement de cette liaison avec les évidences suivantes :
  • Réalité de la possibilité pour la personne désignée de contacter la DG pour un problème qu'elle n'a pu résoudre au niveau opérationnel
  • Evidence de preuves de transmission (e mail/ enregistrement)
  • Le nom et le rôle de la DPA sont connus de tous à bord. D'ailleurs des affichettes en passerelle et dans les locaux de l'équipage donnent toutes ses cordonnées
  • La personne désignée (ou son remplaçant) est joignable 24/7 principalement par e-mail ou GSM pour les cas urgents
 
      Le SMS n'oubliera pas de préciser les responsabilités de la DPA dans cette transmission

      En cas d'accident, le tribunal, pour déterminer les causes, recherchera qui n'a pas assuré la « due diligence ». La responsabilité de la personne désignée pourra être recherchée si par malheur elle n'a pas transmis à la direction, comme c'est son devoir d'après le code ISM, une information importante liée à la cause de l'accident. Souvent pour faire un peu peur aux personnes désignées qui n'avaient pas vu ces conséquences possibles de leurs actes, je leur cite les peines maximales qu'elles risquent en cas de jugement en Grande-Bretagne : £ 5.000 et/ou 2 ans de prison et bien sûr encore plus aux USA.

    1. Monitoring N° 1
    2. Il est matériellement impossible d'assurer la surveillance des opérations de chaque navire sauf à avoir sur chaque navire une personne pour le faire. Maints auteurs se sont cassé les dents sur ce sujet en proposant de nombreuses solutions, sauf la bonne.

      Oui bien sûr la DPA peut assurer une partie de ce monitoring via les visites / inspections à bord en escale ou en voyage, le suivi des enregistrements du bord comme les comptes-rendus d'exercice et entraînements sécurité, les familiarisations, la maintenance de tous les équipements du bord et essais périodiques, les réunions de formation, les différentes demandes de travaux ou les commandes de pièces de rechange, les revues de capitaine et bien sûr les audits internes.…. mais ce n'est qu'un contrôle à fortiori.
      Rien ne vaut le contrôle sur place, au cours des opérations elles-mêmes. Alors, faudrait-il un représentant de la personne désignée à bord, un contrôleur in situ chargé de surveiller le travail des autres ?
      Il est étonnant que personne, à ma connaissance, n'ait vu que le code lui-même avait prévu la solution. Rappelez-vous, les responsabilités du capitaine comprennent qu'il doit « vérifier qu'il est satisfait aux spécifications » (Code ISM § 5.1.4) c'est-à-dire qu'il doit surveiller :
      • que toutes les opérations (navigation - opérations commerciales), toutes les activités finalement sont effectuées « comme il se doit »,
      • que le navire doit- être dans un état tel que prévu par la réglementation et le SMS
      • etc.
      Le capitaine est donc le représentant naturel de la personne désignée à bord. Ces fonctions de surveillance continue et surtout de surveillance à distance de la personne désignée nécessitent évidemment une excellente connaissance des opérations à surveiller.
      Les relations entre la DPA et le capitaine sont donc des relations privilégiées en ce qui concerne le fonctionnement du SMS.

    3. Monitoring N° 2
    4. La surveillance N°2 inclut l'assurance que les ressources adéquates et un soutien approprié soient fournis par la terre… sous-entendu aux navires.
      Il s'agit donc des demandes des navires sous forme de bons de commande, demandes de travaux plus ou moins urgents ou à planifier en arrêt technique, remplacement d'officiers ou membres d'équipage. Mais, même pour des équipages formés à l'ISM, la limite entre revendications diverses et demandes liées à la sécurité est parfois floue, malheureusement. Les commandes sont parfois présentées avec un volet « SECURITE » pour appuyer la demande. Par exemple, pour reconsidérer les risques liés à la fatigue, l'effectif prétendument insuffisant du navire est mis en avant par les syndicats malgré la validité de la décision d'effectif de la compagnie. Sans oublier les revendications classiques de rémunération ou de congés de tous les marins du monde.
      La DPA devra même intervenir pour des fournitures classiques de routine parfois lorsque le coût est élevé. Les motifs de réponse négative sont souvent les mêmes : pas encore de budget, consommation trop grande, trop cher etc. La pompe de transfert de ballast du "HOFE" était aussi trop chère rappelez-vous ! Ceci comprend donc en plus d'un rôle de contrôleur, celui évident de modérateur (les demandes peuvent parfois être exagérées) doublé d'un rôle de médiateur en cas de litige entre les bords et les services à terre notamment lorsque les demandes des bords ne sont pas satisfaites ou reportées et que la sécurité et la prévention de la pollution peuvent ainsi être mises en péril dans l'opinion des marins demandeurs.

      Pratiquement parlant, pour que la DPA puisse assurer ce rôle de soutien aux navires il faut qu'elle soit au courant des communications navire/directions opérationnelles ou maintenance et qu'elle puisse intervenir au cas où cela bloquerait quelque part. Avec l'informatique et les communications par mail, il est facile de mettre systématiquement la DPA en copie des commandes, demandes de travaux et travaux effectués en arrêt technique par exemple. A elle ensuite de contrôler les résultats.
      Une autre méthode consiste à attendre que les demandeurs la contactent en cas de refus ou absence de soutien si on peut dire. Cette dernière solution est celle que je trouve le plus souvent, malheureusement.
      Donc la DPA ne pourra s'assurer que la compagnie apporte son soutien adéquat au capitaine qu'en étant au courant des besoins exprimés par ce même capitaine quelles que soient les conditions de ces demandes. L'absence d'un tel système pourrait aussi conduire à la non-conformité majeure. Donc attention !
      Ainsi la DPA doit être sur le circuit des demandes des navires en ce qui concerne la sécurité et la prévention de la pollution, que ce soit en situation normale (approvisionnements ou demandes de travaux en arrêt technique) ou en situation d'urgence (demandes spécifiques du capitaine pour l'aider à gérer une situation). La DPA doit donc faire partie de la cellule de crise et être destinataire d'une manière ou d'une autre des demandes de travaux et des listes de travaux effectués (ou non effectués).
      La DPA, et ceci rejoint le § 3.3 du code ISM, a souvent la possibilité de répondre à des demandes refusées par un autre budget mais dans un plafond souvent bas. La direction s'enlève ainsi une épine du pied car elle ne désire pas voir « se chamailler » ses directeurs et s'évite ainsi des dérangements pour des sommes dérisoires.

    En conclusion, notre étude du § 4 du code ISM prévoit une DPA bien à part du circuit normal opérationnel d'une compagnie maritime. Tellement à part d'ailleurs que rien n'empêche que la DPA ne soit pas un cadre de la compagnie elle-même.
    La personne désignée peut venir par exemple de la maison mère, du service HSE du groupe ou d'une compagnie sous-traitante spécialisée. Nombre de petites compagnies voient dans cette solution la réponse à leurs problèmes et certaines envisagent même de se partager une même personne désignée.


    Tout cela c'est de la théorie, voyons maintenant ce qui se pratique en réalité

  1. Etat des lieux aujourd'hui:
  2. Pratiquement, la fonction réelle de la personne désignée n'est pas toujours la même selon les compagnies et les cultures, et toutes les compagnies n'ont pas les moyens de supporter financièrement une telle personne, compétente, chargée de surveiller les opérations des navires où que ce soit dans le monde et qui sera donc nécessairement chère.
    En effet, je ne rencontre de personne désignée vraiment à part du management opérationnel que dans les compagnies « riches » ou tout au moins d'une certaine taille. Dans les autres c'est un des directeurs en place qui assure ce rôle. Lorsqu'il s'agit d'une personne n'ayant pas de responsabilités dans les opérations, la maintenance ou la sécurité en général, cela reste acceptable. Mais lorsque le directeur de la flotte, déjà responsable de la sécurité, prend le rôle de personne désignée ISM, cela n'est pas acceptable et je le démontre ci-après.

    Nous allons étudier l'une après l'autre, les 3 solutions.
    1er cas :
    La DPA est le safety officer, le capitaine d'armement ou son adjoint. La fonction liaison avec les personnes à bord a toujours été traditionnellement assurée par eux et cette liaison était assurée avec l'équipage tout entier. C'était parfois du paternalisme, parfois le capitaine d'armement passait par la cambuse ou la cuisine avant de se rendre chez le commandant, avec parfois des intentions inavouables de récolte de renseignements ou «ragots de coursive». Une information ou demande qui n'aurait pas dépassé le bureau du commandant peut donc théoriquement « passer » le jour de la venue à bord du capitaine d'armement. C'est plus facile à dire qu'à faire et surtout ce n'est pas instantané. Mais la lettre (ou l'e-mail maintenant) directement au capitaine d'armement est bien sûr également possible dans ce cas. A part peut-être la lettre directe au capitaine d'armement, une telle liaison est assez traditionnelle et constitue une preuve.
    D'autre part le capitaine ou directeur d'armement est normalement une personne qui a un accès direct au plus haut niveau de la direction de la compagnie.
    On peut donc dire que la fonction liaison demandée par l'ISM est assurée.

    La fonction monitoring N°1 c'est-à-dire la surveillance des aspects sécurité des opérations des navires est théoriquement possible via les inspections du capitaine lui-même, les inspections et audits qui seraient effectués par le safety officer ou ses représentants.
    Cela n'est pas nouveau non plus, vous avez connu comme moi les « commandants inspecteurs » jeunes retraités qui effectuaient parfois un voyage entier à bord et ensuite faisaient leurs rapports à la DG.
    Donc en théorie, l'exigence du code ISM de monitoring N°1 est en partie satisfaite.
La fonction monitoring N°2 c'est-à-dire ce contrôle ou surveillance que des moyens adéquats et un soutien sont donnés au navire n'a ici pas beaucoup de sens sauf pour une demande dirigée vers le service technique qui peut être indépendant du service armement traditionnel. En effet le directeur d'armement ou safety officer ne peut se contrôler lui-même, recevoir une demande dont il a la décision et…s'assurer qu'elle sera satisfaite si elle est nécessaire. Juge et partie, deux casquettes sur une seule tête : impossible !

Finalement cette solution n'est pas conforme car une exigence du code ne peut être satisfaite et nous sommes donc en non-conformité majeure (définition code ISM version 2002 § 1.1.10)
De plus, dans ce cas, le rôle de la DPA n'est pas facile car il peut y avoir contradiction ou opposition entre un budget à ne pas dépasser et une demande d'un capitaine qui ne peut attendre.
Pour une DPA/capitaine d'armement motivé et convaincu de l'utilité du code ISM, un tel obstacle ne pourra être levé qu'au plus haut niveau avec peut-être l'effort de persuasion que vous pouvez imaginer. Pas très conforme et pas facile donc, surtout pour des DPA motivés.
Du point de vue responsabilité également, la situation est sensible (voir plus haut).
Donc cette exigence de contrôle n'est pas satisfaite dans ce cas.
 

    2ème cas :
La personne désignée est un directeur n'ayant pas de responsabilités dans les opérations, la sécurité ou la maintenance des navires : par exemple le directeur financier, le directeur marketing, le DRH, le directeur recherche et développement ou encore mieux le directeur qualité.
Le directeur général ou le président a bien précisé lorsqu'il a désigné cette personne dans sa déclaration de politique générale, qu'elle avait un lien direct avec lui et qu'elle pouvait, et même devait, le contacter à tout moment lorsque cela était nécessaire.
Dans ce cas il est lui est bien plus facile d'assurer une liaison fiable entre les personnes à bord et le plus haut niveau de la compagnie, d'assurer une surveillance, un monitoring des opérations des navires du point de vue sécurité et prévention de la pollution avec l'aide des capitaines comme nous l'avons vu plus haut et enfin vérifier qu'un soutien est apporté au capitaine du navire pour qu'il puisse assurer sa tâche et ses responsabilités et pas uniquement en situation d'urgence.
 
    Dans le cas présent les trois exigences minimum sont satisfaites.

    Ensuite, pendant qu'on y est, on confie la gestion du SMS à la DPA alors que jusque la parution de la circulaire MSC-MEPC, le code ne le prévoyait pas du tout.
    Le SMS, s'il est bien fait, prévoit à peu près tout de la vie du navire et le gestionnaire du SMS devrait être à même, grâce aux capitaines et à tous les instruments du code, de « surveiller » les opérations de chaque navire en rapport avec la sécurité et la protection de l'environnement.
    L'organisation ci-dessus est satisfaisante du point de vue conformité au code mais il y a doute sur la compétence technique sauf à combler les lacunes par une aide intérieure ou extérieure ou une formation complémentaire adéquate en suivant les recommandations OMI (MSC-MEPC.7/Circ.6 d'octobre 2007 revue comme Circ.8 en 2013).

    NB :
    Dans les deux cas ci-dessus, même pour une petite compagnie, l'organisation est limite : les auditeurs externes font la moue, à raison.
    Il n'est pas facile à prouver que le système puisse vraiment fonctionner comme cela. En effet la charge de travail pour le responsable à deux casquettes est souvent trop importante.
    Cependant, ces compagnies ont souvent eu l'intelligence d'utiliser des consultants spécialisés pour les aider particulièrement pour les audits internes et leur analyse c'est à dire pour l'une des parties les plus importantes de la vérification interne de conformité ou de fonctionnement. Cette position externe assurant l'indépendance et la compétence de l'auditeur interne est reconnue comme une démarche de « Qualité ».

    Parfois aussi, ces petites compagnies qui font partie d'un grand groupe font appel au service HSE du groupe pour assurer certaines tâches liées à l'ISM :
    • Les inspections et audits hygiène / sécurité du travail / environnement
    • L'analyse des accidents
    • L'édition et la maîtrise de la documentation
    • Les audits internes etc.
    3ème cas :
    L'application de l'ISM a amené certaines compagnies d'importance à créer une structure ISM avec du personnel, des locaux et un budget.
    Cette structure assure la totale gestion du SMS comprenant pratiquement:
  • Liaison entre les équipages et la direction générale
  • Liaison avec les capitaines pour le monitoring
  • Vérifications que les ressources adéquates et le soutien aux capitaines ont été fournis suivant les demandes
  • Assurer une certaine modération lorsque les demandes sont exagérées
  • Assurer une médiation en cas de conflit avec les responsables intermédiaires quand un refus de leur part pourrait mettre le navire et la protection de l'environnement en péril
  • Maîtrise et évolution du SMS
  • Edition, corrections, révisions des documents
  • Exécution des inspections et audits internes
  • Suivi des non-conformités, prescriptions ou autres observations
  • Analyses des revues de capitaine
  • Analyse des accidents ou presqu'accidents
  • Préparation de la revue de direction
  • Formation ISM au cours de séminaires à terre ou à bord
  • Organisation de conférences ou stages identifiés comme nécessaires
  • Vigie réglementaire comprenant l'analyse des amendements et l'information aux navires
 
    • L'information des dirigeants de la compagnie sur les progrès constatés
    • Archivage des mesures prises, etc.
    Toutes les exigences du code sur la personne désignée sont satisfaites plus les exigences du § 9, § 11 et en grande partie le §12. Et on ne confond pas le soutien à la personne désignée (&3.3) avec le soutien aux navires (§4) !
    On revient donc à l'organigramme idéal cité au début de cette étude.
    Ces structures sont celles qui marchent le mieux assurément.
    En conclusion :
    Seule la troisième solution est satisfaisante si on s'en tient au texte du code et circulaires associées. C'est la seule solution satisfaisante pour le certificateur, pour la compagnie et pour la personne désignée elle-même.

    Mais il y a loin de la théorie à la réalité.
    Le problème de la personne désignée ne semble pas se poser :
    • à bon nombre de certificateurs dont on se demande parfois si certains ont bien lu le code avant de venir.
    • à certaines compagnies qui ont interprété le code à leur manière : mais sont quand même certifiées conformes.
    Ce problème ne va pas tarder à se reposer je pense, juridiquement parlant, aux prochains procès d'après ISM. Avec un très gros doute cependant : ni le procès de l'ERIKA ni celui du COSTA CONCORDIA n'ont apporté aucun éclairage sur ce sujet… désespérant.
  1. On pourrait peut-être tenter de résoudre ces problèmes d'interprétation.
  2. Ainsi on pourrait, dans un but de clarification que l'OMI adore, proposer ici deux amendements légers.

    Amendement N° 1 : Rajouter un sous-paragraphe à : § 1.4 Modalités pratiques d'un système de management de la sécurité.
    .3 Une structure personne(s) désignée(s) en charge d'assurer :
    • une liaison fiable entre le plus haut niveau et le personnel à bord des navires,
    • une surveillance de la sécurité des opérations des navires et
    • la fourniture de ressources adéquates et un support approprié à terre pour chaque navire.
    Cela manque cruellement à cette partie du code ; certains SMS pourraient ainsi oublier la DPA ?

    Amendement N° 2 : compléter le § 4, personne(s) désignée(s)
    Modifier la dernière phrase :
    « … veiller à ce que des ressources adéquates et un soutien approprié à terre soient fournis aux navires selon que de besoin ». Ceci afin d'éviter de confondre soutien à la DPA (§3.3) et soutien aux navires (§4) par exemple. Et ajouter in fine :
    « … Le ou les personnes désignées à terre devraient être indépendantes du secteur opérationnel de la compagnie » ou quelque chose d'approchant. On l'a bien fait pour les auditeurs internes (ISM 12.5) et les directives ICS de 1996 en parlaient déjà, tout comme les « Merchant Shipping Regulations » de la MCA en 1998 lors des premières certifications.

  3. Bibliographie
    • Report of court N° 8074 mv HERALD OF FREE ENTERPRISE «Formal Investigation» dated 24th of july 1987
    • ISM Code, “a practical guide to the legal and insurance implications” (1998) by Dr. Philip ANDERSON pages 62 à 73 + autres ouvrages du même auteur : « A practical guide to ISM » (2002) et « Cracking the code » (2003) ; « The mariner's role in collective evidence » (2006)
    • HNC/HND Unit 20 : ISM Surveyor & Consultant –IIMS Diploma in marine surveying
    • Magazine et site AFCAN « la page du code ISM n°15 » (2003) APPERRY

Septembre 2016
Cdt Bertrand APPERRY
Membre de l'AFCAN
conseil.ism-isps@afcan.org


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