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L'ACCUEIL EXEMPLAIRE D'UN NAVIRE DE COMMERCE
DANS UN PORT FRANCAIS

Le pétrolier turc " Golova", immatriculé à Istanbul, accoste à Donges poste 5 le samedi 26 janvier 2002 à 22h20, venant de Fawley (UK) via Skagen, à ordres, pour charger un complet de vacuum gasoil à destination de Lavera. C'est un magnifique pétrolier/chimiquier turc de 37345 MT de port en lourd, à double coque, 6 tranches, 12 citernes plus une tranche slops, livré il y a à peine sept mois par les Chantiers de Ulsan en Corée du Sud et armé par un équipage entièrement turc de 20 personnes. Sur le quai l'attendaient, sur instructions du procureur de la République de Lorient, des gendarmes maritimes du Morbihan accompagnés par les Inspecteurs du M.O.U. du Centre de Sécurité des Pays de Loire à St Nazaire.
La veille vendredi 25 sur FR 3 tout un chacun avait pu voir de larges résidus visqueux noirs sur les plages du Morbihan qui manifestement provenaient d'un lavage clandestin ancien. Beaucoup ont pensé que cela pouvait provenir de l'ERIKA. Pour mémoire, selon les Autorités officielles, il a été retiré de l'épave environ 22.000 tonnes, et avec ce qui s'est répandu sur la côte, un total compris entre 22.000 et 24.000 Tonnes a été comptabilisé. La quantité connaissementée étant de 30800 MT, il reste donc entre 6000 et 8000 tonnes "dans la nature".
Les gendarmes chambrent le Commandant, procèdent à son interrogatoire puis plus tard, inspectent les citernes, vides et prêtes à charger, visitent la machine, et finalement prennent des échantillons des soutes pour les envoyer au Laboratoire de la Marine à Brest. En même temps, les Inspecteurs du M.O.U. procèdent à une inspection en règle du navire et ne relèvent aucune déficience. Elf sursoit au chargement du navire, qui ne commencera que le 27 janvier à 14h30, terminé le 29 à 00h30, documents à bord à 03h00. Mais le navire n'est pas autorisé à appareiller, en attente des résultats d'analyse et, tard dans la journée, on apprendra officieusement que le produit retrouvé sur les plages ne provient pas du navire.
Entre temps, le Conseil Général du Morbihan demande par référé auprès du Tribunal de Commerce de St Nazaire la saisie conservatoire du navire, le dépôt d'une caution bancaire de 1.540.000 Euros et la nomination d'un expert judiciaire. Le Commandant Smith (ancien de la Shell et un des experts pour l'Erika, nommé par le Tribunal de Commerce de Dunkerque) est désigné par le Président du Tribunal. Il arrivera à Donges le 31 matin. Pendant l'expertise, en présence de toutes les parties à savoir: l'avocat du Swedish Club, P & I du navire, assisté d'un expert local, l'avocat lorientais du Conseil Général assisté d'un avocat parisien du Cabinet Delplanque, et un représentant de l'Afcan, l'expert judiciaire, très compétent, se fait expliquer par le Second Capitaine la procédure du lavage des citernes et fait prendre de nombreux échantillons dans la traverse reliant les deux slops, soutes, doubles-fonds machine et l'installation Marpol. Il quitte le bord dans l'après-midi et fera analyser les échantillons dans un laboratoire hors de la région nazairo/nantaise dont il ne divulguera pas le nom. Le P & I dépose une lettre de garantie et après d'ultimes discussions entre avocats, le navire est libéré et quitte Donges à 17h30.
Le navire avait quitté Fawley le 18 janvier dans la soirée après y avoir débarqué un complet de Light Crude Oil ex Tallinn, à ordres à Skagen. Dès le 19 matin, il commence le lavage de ses citernes. Le 20, il mouille au large de Skagen en attente d'ordres. Affrété par Elf, il dérape le 22 à midi à destination de Donges pour y charger un complet de vacuum gasoil pour Lavera. Le 25 janvier de 20h00 à 22h45, alors qu'il est à 70 milles environ dans l'ouest de Brest (voir carte jointe), il procède à la phase finale du lavage des citernes en décantant les slops et rejetant les eaux de lavage propres c'est- à-dire avec moins de 15 ppm, à la mer, contrôlées et enregistrées par son ODMIS System (Oil Discrimination Monitoring System).
A la fin, il reste 62 m3 de résidus huileux qu'il répartit dans les 12 autres citernes. A noter que, sur le pont, il n'y a aucune vanne à commande manuelle sur le circuit des slops de telle sorte qu'une manœuvre accidentelle de rejet à la mer est impossible. En outre, l'orifice d'évacuation sur la coque était propre, sans marque suspecte. Toutes les opérations de lavage ont été enregistrées sur imprimantes et les bandes communiquées à la Gendarmerie.
Pendant la traversée de Fawley à Donges, via Skagen, le Commandant a scrupuleusement suivi la réglementation européenne et internationale, à savoir s'est toujours signalé à tous les CROSS ou autres stations, britanniques, françaises, hollandaises, danoises. Alors que, selon la télévision, la pollution a été constatée à Belle-Île et dans le Golfe du Morbihan le 26 janvier matin, que certains ont affirmé avoir vu un pétrolier passer au large.
Si le navire avait rejeté à la mer un produit aussi visqueux le 25 entre 20h00 et 22h45, la nappe aurait atteint Belle-Île et le Golf du Morbihan à une vitesse digne de celle du TGV ! Choqué d'une part, par les déclarations à la Télévision, en particulier, d'un petit Fouquier-Tinville de trottoir, l'avocat lorientais du Conseil Général du Morbihan et, d'autre part, ayant vu moi-même à la télévision les plaques de mazout noires et visqueuses mélangées à des débris de cordages et algues, et qu'ainsi il ne faisait aucun doute que ces résidus étaient anciens, je prends contact avec l'agent du navire pour avoir des précisions sur sa provenance et les produits qu'il avait transportés. Ainsi j'apprends que ce navire est neuf. Je suggère à l'Afcan d'envoyer à bord un représentant pour apporter notre soutien confraternel au Commandant ce navire turc.
Notre Président Marrec me demande d'y aller pour voir ce qu'il en est. Le 29 janvier matinée, par message via les agents locaux du navire, je lui annonce que, mandaté par le Président de l'AFCAN, je serai à bord à 16h00 afin de lui apporter toute assistance dont il pourrait avoir besoin et par conséquent notre soutien en relation avec la saisie de son navire.
Le même jour en début d'après-midi un télex tombe signé par le Cdt Saïm SIVRI, président de la Turkish Ocean-going Masters' Association et du Cdt Enver BILGI, Secrétaire général, nous remerciant de notre intervention de soutien et de solidarité et nous annonçant la venue du Superintendant de la Société, le Cdt Kazim IMLBIN en concluant par cette phrase :" thanking you again and appreciate your full support to master to keep him in high morale condition". A 16:00, je suis à bord. Bonne présentation de tous les Officiers et de l'Equipage, navire impeccable: tout cela me fait excellente impression. Le Commandant, très occupé, me remercie et me met entre les mains du jeune Second Capitaine et du Chef Mécanicien qui me décrivent ce qu'ils ont fait depuis leur départ de Fawley le 18 janvier.
Le lendemain je reviens à bord vers 1 1:00, rencontre à la coupée le Commandant Smith, expert judiciaire et j'assiste à toute la réunion d'expertise. En même temps, je tente d'expliquer aux jeunes officiers, particulièrement choqués et surtout humiliés d'être accusés d'avoir pollué les côtes françaises, le pourquoi de l'attitude du Morbihan General Council, sans l'excuser (séquelles de l'Erika, les élections présidentielles et législatives, etc..) mais dans mon for intérieur, j'avais honte d'une telle stupidité de certaines autorités françaises, d'autant plus que depuis la veille, le navire avait été déclaré officieusement hors de cause par le Procureur de la République de Lorient, mais par téléphone seulement.
A l'évidence, le navire, même s'il avait voulu le faire exprès, ne pouvait être à l'origine de la pollution des côtes du Morbihan et de Belle-Île, d'abord par la nature du produit déchargé à Fawley, ensuite par la conception même de ses installations. Mais cela n'a pas empêché, après le départ du navire, le soir à la télévision locale, le petit Fouquier- Tinville de récidiver dans ses déclarations, persévérant dans l'erreur, avec menaces ultérieures à l'appui. Que ne ferait-on pas pour se faire de la publicité sur le dos des marins de commerce !!
Enfin le 6 février, par fax, le Président de l'Association Turque des Capitaines remercie l'AFCAN et moi-même de notre intervention pour assister et aider le Capitaine, membre également de leur association. Le lendemain, l'Armateur la Société DUNA DENIZCILIK me remercie personnellement de nos efforts "to help and support the Master and to protect his rights at France…" en prétendant même que "grâce à mes efforts" le navire a été libéré ! C'est trop d'honneur, mais on ne prête qu'aux riches.

Ce qui est choquant dans cette affaire c'est le silence assourdissant des autorités (Préfecture Maritime, Affaires Maritimes, Parquet, BEA, Autorités portuaires, ... ) qui, si promptes à faire des déclarations à la Télévision ou la Radio dès qu'un navire de commerce fait parler de lui, n'ont pas eu le courage de dire publiquement que ce navire turc était hors de cause.
Ce qui aurait été une manière indirecte, intelligente et élégante de faire part de "leurs regrets". Mais le plus stupide, c'est la persévérance dans l'erreur du Conseil Général du Morbihan que l'armateur du navire et son P & I vont attaquer.
Mais la facture finale sera "salée" et, comme d'habitude, c'est le contribuable qui paiera !
Enfin, pour terminer, inutile de rappeler que l'Afcan a été fondée il y 23 ans pour défendre les Capitaines, en réaction aux Lois "scélérates" votées, dans le sillage du désastre de l'Amoco Cadiz, par le Parlement Français contre ... les Capitaines français. A l'époque, il y avait encore un pavillon français, des équipages français homogènes. Même s'ils existaient déjà, on parlait peu des pavillons de complaisance, baptisés pavillons "économiques" par certains armateurs français. Depuis, avec la bénédiction de l'OMI , il y a de nombreux pavillons de complaisance et le pavillon français en a été réduit à créer un pavillon bis pour survivre, encore les équipages sont-ils composés de 35 % de français. Mais, on assiste depuis plusieurs années, en Europe et ailleurs, à la mise en cause systématique des Capitaines avec prison à l'appui, la plus célèbre étant celle du Commandant de l'ERIKA traité d'une façon scandaleuse par la Justice française. Je pense que l'IFSMA et en particulier l'AFCAN, devraient avoir dans chaque port un représentant qualifié qui, aussitôt qu'un navire est mis en cause, est volontaire pour apporter aide et soutien moral au Capitaine, quelle que soit sa nationalité. On ne peut plus laisser nos camarades en activité, français ou étrangers, seuls en face d'armateurs anonymes, de managers apatrides, d'affréteurs tout puissants ou d'autorités nationales qui, pour flatter l'opinion publique ou masquer leurs carences, s'en prennent systématiquement aux Capitaines des navires de commerce et leurs équipages. Attention aux représailles : je plains le premier Capitaine français qui aura des ennuis en Inde ou en Turquie ! Alors nous devons être "internationalistes" et plagier le célèbre slogan :

Capitaines de tous les pays, unissons-nous...

Cdt Jean P. LE COZ
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