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Aurait-on pu éviter le drame du Costa Concordia ?
ou
La formation du Cdt Francesco SCHETTINO d'une part et l'application correcte du code ISM d'autre part
auraient-elles pu éviter l'accident du COSTA CONCORDIA ?
 


Généralités :
D'après le rapport d'enquête officiel, les 2 causes principales de l'accident sont liées aux erreurs du Cdt Francesco SCHETTINO :
  • Erreur de manœuvre : mauvaise présentation, arrivée trop rapide pour un virage trop important effectué trop tard avec cependant une tentative infructueuse de contrer le skidding.
  • Impréparation personnelle à effectuer l'approche et cette manœuvre spécifique : arrivée tardive et précipitée à la passerelle, absence ou non-suivi de la procédure correspondante et perturbation dans la concentration du capitaine.
Je pense que ces erreurs auraient peut-être pu être évitées d'une part par une meilleure connaissance des conditions réelles d'une telle manœuvre et la mise en place d'une procédure « approche GIGLIO » plus stricte, et d'autre part par une meilleure préparation à une bonne gestion des ressources humaines à la passerelle exigée par le SMS de COSTA afin d'être en conformité avec la réglementation internationale (STCW).
Meilleure connaissance des conditions particulières d'une telle manœuvre
En effet, il s'agit en gros de venir cap sur la terre avec une vitesse adéquate et abattre de 50° environ pour longer l'île de Giglio.
Lorsqu'un capitaine étudie « dans sa tête » ou au simulateur ou sur le papier une telle manœuvre, il n'oublie pas l'effet de skidding ou « effet d'abattée » qui déplace le navire latéralement dans le sens de la course et fait en plus balayer l'arrière toujours dans le sens de l'abattée. Tous les marins du monde savent cela et une bonne pratique consiste tout d'abord à se présenter d'une manière telle que le changement de route pour longer le cailloux reste minimum et à garder une vitesse de sécurité qui permette entre autre de rectifier rapidement et sans conséquences une éventuelle erreur d'appréciation et ensuite de contrer un skidding que l'on a recherché « minimum » en mettant la barre à contre afin de rejoindre la nouvelle route le plus doucement possible au bon cap.
Voilà les bases pour cette manœuvre qui doit rester très douce, c'est le secret du succès. Mais du fait d'une route d'approche trop perpendiculaire, le COSTA CONCORDIA a dû, pour longer la côte, faire une grande embardée qui a provoqué un grand déplacement latéral, inutile et difficile à contrôler, qui l'a porté directement sur le rocher Scole.

En conclusion, une manœuvre « loupée » c'est sûr. Mais comment éviter de manquer une telle manœuvre ? Le commandant Francesco SCHETTINO aurait pu par exemple suivre un stage de formation à PORT REVEL (France) qui reçoit des capitaines du monde entier pour s'entraîner à la manœuvre de gros navires. L'a-t-il demandé ou bien se considérait-il comme déjà au dessus de çà ? COSTA a-t-elle envisagé de l'y envoyer ?
Un tel stage devrait être obligatoire au-dessus d'une certaine taille de navire et entre autres tous les capitaines de paquebots qui ne sont pas obligatoirement tous de fins manœuvriers à l'inverse de leurs collègues des ferries, devraient y aller avant de commander leur premier navire.
Un stage à la manœuvre à PORT REVEL est un « plus » avéré pour un capitaine où le skidding est bien montré aux stagiaires et la procédure pour le gérer bien expliquée avec notamment l'angle minimum d'approche, la vitesse maximum à laquelle on peut se permettre ce genre de rase-cailloux en tenant compte de la force et de la direction du vent et d'un éventuel courant.
Même si la manœuvre était succinctement planifiée sur le COSTA CONCORDIA, rien ne s'est passé comme prévu surtout du fait de l'arrivée tardive du capitaine à la passerelle et sa prise de direction de la manœuvre également tardive.

En conclusion partielle : une préparation personnelle à ce genre de manœuvre est donc indispensable même si on l'a faite soi-même plusieurs fois. Jamais à ce stade un bon capitaine ne serait monté à la passerelle aussi tard. On est plutôt à la passerelle une heure avant, pour s'y préparer mentalement.
Cependant le stage à PORT REVEL n'est pas encore obligatoire. Mais que fait donc l'OMI ?
Que dit la réglementation ?
Pour cet aspect de la « préparation à la manœuvre », le code ISM, référence obligatoire en management des opérations du navire ayant une incidence sur la sécurité, exige que « la compagnie mette en œuvre un système de gestion de la sécurité qui comporte des instructions et des procédures propres à garantir la sécurité de l'exploitation de ses navire » ISM §1.4. A cet effet elle devrait « établir des procédures, plans et consignes y compris des listes de contrôle, s'il y a lieu pour les principales opérations à bord qui concernent la sécurité du personnel et du navire » ISM §7.
Il semble donc dans le cas du COSTA CONCORDIA, que même si la procédure existait, elle était apparemment trop approximative et donc insuffisante et n'avait peut-être jamais été améliorée au fil des ans.
Si l'existence d'une procédure est obligatoire elle doit aussi garantir la sécurité et c'est donc ici que la qualité de la procédure apparaît.
Comment cela se passe-t-il donc en fait?
Les manœuvres des navires sont de la compétence des capitaines et nul « terrien » ne s'aventurerait à établir une telle procédure consistant à effectuer "l'inchino". La procédure "inchino" a donc été préparée, utilisée et vérifiée par les différents capitaines qui se sont succédé sur le CONCORDIA. Il semble qu'elle ait évolué car il est fait mention dans le rapport technique des Italiens que le 14 août 2011, "l'inchino" avait été effectué sans problèmes mais il avait une incidence beaucoup plus douce à l'arrivée près du rocher Scole par rapport à la terre même s'il est passé ensuite à 230 mètres de la côte. On n'a pas de souvenir de sa vitesse de présentation.

La procédure existe, c'est bien mais elle n'est pas figée au contraire, le SMS de la compagnie prévoit même son amélioration permanente si vraiment le système est conforme au code ISM.

Comment vérifier et améliorer une telle procédure ?
Eh bien notamment en la passant en revue régulièrement au cours d'un audit interne ou au cours d'une revue personnelle du capitaine de ses propres procédures.
Voilà en ce qui concerne d'une part, la manœuvre et la préparation individuelle du capitaine et d'autre part la possibilité qu'il a de passer en revue les procédures de son navire concernant la sécurité.
Les exigences du code ISM correctement appliquées auraient-elles pu influencer la survenue d'un tel événement ?
  1. Le code ISM exige donc un système de management de la sécurité (SMS) et notamment dans son chapitre 7, une procédure (manière de procéder) pour chaque opération du bord ayant une incidence sur la sécurité. La manœuvre de "l'inchino" était donc écrite quelque part et était passée en revue régulièrement. Les capitaines et auditeurs internes de la compagnie qui se sont succédé sur le CONCORDIA ont-ils passé en revue cette procédure de "l'inchino" et aussi les autres comme la prise de pilote, la mise à quai ou le mouillage ?
    Pas sûr sachant que souvent on ne touche pas aux procédures du « patron » et enfin l'auditeur interne souvent plus jeune et moins expérimenté n'osera jamais faire remarquer que par exemple la vitesse maximum à prendre lors de cette approche n'est fixée nulle part sur la carte ? (rappel à Ténérife, le co-pilote du 747 de KLM n'a pas osé contester la décision du commandant de bord qui était le plus ancien de la compagnie, quasiment « l'Amiral ou le commodore » comme nous appelons souvent nos plus anciens capitaines en exercice).
    Autre question : l'auditeur interne se rend-il compte qu'il représente la compagnie lors de ses investigations ?
    Est-ce que COSTA mettait cet aspect des manœuvres délicates à l'ordre du jour de ses revues de direction ?

  2. Le SMS de la compagnie assure aussi que tout l'équipage possède les certificats de base et complémentaires obligatoires en fonction de leurs responsabilités à bord. Il a été constaté par la commission d'enquête qu'aucun des officiers de quart (capitaine et autres officiers de quart) n'avait le certificat BRM (qui est, il est vrai, en cours de mise en place à la date du naufrage pour une obligation finale en 2017). Ce BRM n'est pas uniquement pour les équipages de navires à passagers mais il concerne tous les officiers de marine marchande du monde entier. C'est aujourd'hui un complément à leurs formations STCW quelles qu'elles soient. Mais comme cette formation est assez particulière, l'OMI était arrivée à un consensus sur une période d'application malheureusement entre 2010 et 2017 seulement.
    Comme beaucoup d'armateurs COSTA n'a pas accéléré le processus de mise à niveau, au contraire. Pas la peine de se demander pourquoi, c'est toujours un problème d'argent. C'est triste mais c'est souvent comme cela : la plupart des armateurs attendent toujours le dernier moment.
 
  1. La manœuvre de "l'inchino" à Giglio est une manœuvre délicate et spectaculaire surtout pour la population de l'île. En effet les passagers du navire ne voient pas grand chose de nuit (il était 21h ce soir de janvier). Mais il semble que c'était une habitude chez COSTA. Alors pour le plaisir de qui ?
    Pour conclure, la manœuvre de « l'inchino » avait donc été étudiée mais pas suffisamment. En effet, de nos jours toute description d'activité y compris nautique est précédée d'une analyse de risques dont les résultats font modifier les éléments entrants, comme ici la vitesse ou encore améliore les communications entre les officiers de quart qui suivent la position au radar et le capitaine qui dirige (annonces « à courir » de la distance d'un point de repère terrestre par exemple, vitesse effective ou profondeur à voix haute et intelligible). Et lorsqu'on prépare ce genre de manœuvre délicate avec une route vers la terre, on appose un marquage bien repérable sur la carte nautique ou la table traçante ou le radar avec en grand la vitesse maximum à ne pas dépasser à chaque étape de l'approche… comme une réduction de vitesse programmée quoi !
    La procédure "inchino" du CONCORDIA n'avait semble-t-il pas ce détail, ce pense-bête qui s'apparente à un cross-check. C'est assez étonnant car cette manœuvre exceptionnelle nécessite quand même des précautions exceptionnelles qui auraient dû apparaître dans une telle compagnie et sur un tel niveau de paquebots modernes. Même si chaque capitaine peut avoir ses méthodes de navigation rapprochée, la compagnie les approuve et les met en service après certainement un contrôle de la part des capitaines les plus anciens ou les plus expérimentés (ce sont des méthodes courantes aujourd'hui même dans des petites compagnies).
    Le code est précis sur ce point, la responsabilité de la compagnie est entièrement engagée sur la qualité de cette procédure.
    Enfin, et ceci est très important, il semble que la manière d'effectuer cette manœuvre ce jour-là ait été évaluée dangereuse par le 1er officier (second-capitaine en France) et peut-être pas que ce jour-là. Que n'a-t-il pas manifesté son doute ce jour-là à son capitaine et peut-être d'autres fois précédentes, que n'a-t-il pas sauté sur les commandes des hélices s'il estimait que ça n'allait pas le faire? … ca c'est du BRM !
    Et si ce n'était pas la première fois, que n'a-t-il pas informé la voie parallèle en la personne désignée qui n'est pas là que pour les situations d'urgence mais bien pour les éviter ? C'était peut-être la seule voix possible pour transmettre l'information s'il avait lui-même peur des réactions de SCHETTINO.
    Il s'agit donc ici du non-fonctionnement du système DPA. Il aurait suffit que, fort d'un doute acquis au cours de précédents "inchino", un officier de passerelle informe la personne désignée de la dangerosité, de la fébrilité et de la mauvaise préparation de SCHETTINO à l'effectuer pour que la compagnie délègue son capitaine d'armement pour vérifier la chose et à la limite l'interdire avant une meilleure analyse de risque.
En conclusion
Une telle manœuvre de rase-cailloux peut se faire avec des précautions classiques :
  • Formation obligatoire des capitaines de COSTA dans un centre comparable à PORT REVEL.
  • Passage en revue régulier par la compagnie des procédures dites critiques comme celle de "l'inchino".
  • Assurer l'analyse de risque qui à l'avantage de décrire en détail le déroulé d'une telle approche délicate et de mettre en avant les risques.
  • Mise en place de la procédure d'information mutuelle à la passerelle comme par exemple un lieutenant annonçant à courir la distance à la côte et le temps pour y arriver en fonction de la vitesse (comme dans les films : virage dans 3 minutes par exemple). Pour cela tous les officiers auraient dû être formés au BRM comme la compagnie avait déjà commencé sur d'autres navires. Un officier formateur compétent pour ces formations particulières aurait également pu être embarqué. C'est une solution pas chère et en général très efficace.
Mais où est donc la responsabilité de l'administration italienne et de son représentant la société de classification italienne RINA agissant en son nom. Encore une fois la carence du pavillon apparaît. En effet, pour assurer la conformité de la gestion de la sécurité, le pavillon certifie. Il est sensé être compétent pour le faire. Malheureusement, à part quelques exceptions, les officiers de l'administration n'ont pas cette compétence pour détecter la mauvaise qualité dans les procédures. Ils reportent donc allègrement la responsabilité vers la compagnie.

Enfin pour répondre à notre question initiale : oui la formation de SCHETTINO et la stricte application du code ISM auraient pu éviter l'accident du COSTA CONCORDIA :
  • d'une part, une formation spécifique de SCHETTINO à la charge de la compagnie COSTA aurait dû être effectuée, et d'autre part, un meilleur fonctionnement (insuffisant) du SMS, ce qui reste de la responsabilité de la compagnie COSTA
  • Tout cela a été allègrement « oublié » par l'administration italienne et le RINA

On voit donc que COSTA s'en tire assez bien mais pas tant que le RINA et l'administration italienne tandis que SCHETTINO prend le maximum.
Cdt Bertrand APPERRY
AFCAN AFEXMAR IIMS HSM
août 2015
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