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La nationalité du Capitaine : un enjeu pour le R.I.F.
 
Merci à madame Françoise Odier de nous permettre de publier son point de vue sur la nationalité du Capitaine.



       Des arrêts de 2003 de la cour de justice des Communautés Européennes et la loi de 2005 relative au registre international français divergent sur un point essentiel : la nationalité du capitaine, commandant de navires battant pavillon d'un État européen. Celui d'un navire sous pavillon français pourrait-il être d'une nationalité différente ? Les conséquences d'une telle position méritent d'être analysées pour dégager les éléments d'une politique moins contraignante.


       La cour de justice des communautés européennes a rendu le 30 septembre 2003 deux arrêts relatifs à la nationalité du capitaine commandant des navires battant pavillon d'un État européen. Ces arrêts adoptent une position très claire déclarant que le commandant d'un navire immatriculé dans un des États de l'Union doit avoir la nationalité d'un de ces États mais pas nécessairement la nationalité de l'État du pavillon.

       La loi du 3 mai 2005 relative au registre international français prend une position totalement différente en imposant à tout navire inscrit au RIF d'avoir un commandant et son substitut de nationalité française.

       Ces deux positions sont antinomiques et symbolisent parfaitement les oppositions qui peuvent résulter du partage des compétences entre les États membres et les institutions européennes.

       La cour de justice s'est fondée sur des considérations pratiques, résultant de circonstances de fait liées aux cas qui lui étaient soumis, elle a estimé que les fonctions d'officier d'état civil, dont est investi le capitaine, ne justifient plus un privilège de nationalité lorsque les navires reviennent au port, soit tous les jours soit très fréquemment et sont susceptibles de faire enregistrer à terre les actes authentiques autrefois faits à bord. Elle a par ailleurs raisonné en fonction d'un principe de droit communautaire et estimé que le commandant d'un navire n'ayant aucune raison de disposer d'un régime différent de celui des autres membres de l'équipage devait comme eux se voir appliquer la règle de la libre circulation des travailleurs.

       La cour de justice fait alors totalement abstraction des pouvoirs particuliers du capitaine pour se préoccuper uniquement de l'application du droit européen. Or, les pouvoirs du capitaine entrent dans la sphère des droits souverains pour lesquels chaque État membre conserve son autonomie. La question telle qu'elle a été tranchée aurait donc dû être appréciée en fonction de la hiérarchie des normes juridiques et non pas sur la base de considérations de faits comme l'a fait la cour de justice des communautés européennes.

       La loi du 3 mai 2005 s'inscrivant dans une tradition fort ancienne exige que le capitaine et son suppléant soient français en se fondant, non sur un droit national ou international relatif au statut du capitaine qui n'existe pas, mais sur les fonctions assumées telles qu'elles ressortent du code disciplinaire et pénal ou de la loi du 3 janvier 1969 sur l'Armement. La description de ces fonctions fait du commandant un représentant de l'État à bord. A ce titre le capitaine est non seulement officier d'état civil mais il est aussi officier de police judiciaire. Les fonctions traditionnelles dont certaines sont de toute évidence privées de contenu par les conditions actuelles de navigation ne sont cependant pas les seules qui incombent au commandant, responsable également de la sécurité et de la sûreté.

       Ces deux dernières fonctions prennent dans le contexte actuel une importance accrue et ne peuvent pas être confiées à des commandants qui pourraient se dissocier des intérêts du pavillon en raison de leur nationalité. Ce sont ces aspects qui justifient le texte de la loi RIF.

       La nationalité du commandant, associée à la loi du pavillon, contribue à donner un contenu au lien unissant le navire à l'État dont il relève. Envisagée sous cet angle la nationalité du commandant n'est plus un aspect dépassé de l'exploitation des navires mais une condition nouvelle de leur sécurité entendue au sens le plus large du terme.

       Et pourtant les instances européennes exigent du gouvernement français qu'il modifie la loi du 3 mai 2005, sous peine de sanctions, afin de se mettre en conformité avec la pratique des autres États de l'Union et faire triompher le principe de libre circulation ces travailleurs applicable, sans distinction, au commandant et à son substitut aussi bien qu'à l'ensemble de l'équipage. Le gouvernement français a donc préparé un projet de loi en ce sens qui devrait être voté dès que le parlement sera à nouveau réuni.

       Une telle évolution est tout à fait représentative de l'influence que le droit européen prend progressivement en matière maritime sans pour autant se fonder sur une véritable connaissance du fonctionnement des navires. Elle risque à terme d'être très négative. D'abord de rendre très difficile l'application des normes de sûreté et l'application du Code ISPS, ensuite de mettre un frein à la collaboration entre marins marchande et marine nationale, qui se justifie de plus en plus, aussi bien pour des raisons budgétaires que de développement de la logistique et pourrait être freinée par la présence en tant que commandant d'un navire marchand battant pavillon français d'un capitaine d'une quelconque nationalité européenne.

       En ce qui concerne les Codes ISM et ISPS respectivement chapitres IX et XI de la convention Solas, ils ont renforcé les pouvoirs du capitaine et lui assignent un rôle clef dans la mise en œuvre des normes de sécurité et de sûreté; ainsi, la règle 6-1 du Code ISPS prévoit que " la compagnie doit veiller à ce que le plan de sûreté du navire contienne un énoncé clair mettant l'accent sur l'autorité du capitaine". Les textes internationaux et plus précisément ceux relatifs au Code ISPS se traduisent par des dispositions nationales (Décret du 28 mars 2007) prévoyant ces sanctions pénales qui devront âtre mises en œuvre par une personne chargée de certaines fonctions de police Judiciaire ou mieux encore par un officier de police judiciaire, tel que le capitaine dans le rôle prévu par l'article 28 du code disciplinaire et pénal.

       Si le capitaine est un étranger, au surplus ressortissant d'un État qui n'appartiendrait pas à l'espace Schengen, les compétences pour ouvrir toute information à l'égard de crime ou délit commis à bord pourraient être discutables. La désignation d'un capitaine de nationalité européenne à bord d'un navire battant pavillon français poserait donc des problèmes graves mettant en évidence les contradictions entre deux textes : la loi RIF modifiée, et les textes d'application du Code ISPS.

       En ce qui concerne les relations avec la marine nationale, d'autres inconvénients sont à prévoir. La marine nationale cherche à utiliser dans les meilleures conditions les navires marchands pour accomplir certaines de ses tâches logistiques. Qu'il s'agisse d'affrètement de plus ou moins longue durées ou d'autres types de contrat, la marine nationale ne pourra pas - pour des raisons de sécurité évidente - utiliser des navires marchands dont le commandant serait étranger. La mise à disposition de navires qui pourrait s'inscrire facilement dans certaines modalités d'exploitation deviendrait probablement difficile à mettre en œuvre avec les armateurs ayant de nombreux commandants étrangers.

       Il apparaît donc que, quoi qu'en ait pensé la cour de justice des communautés européennes, les prérogatives du capitaine justifiant le privilège de nationalité ne sont ni "sporadique, voire exceptionnelles" mais correspondent toujours aux réalités actuelles de la navigation.

       Il serait judicieux dans ces conditions que le projet de loi modifiant la loi du 3 mai 2005 puisse, sans contredire le principe de libre circulation des travailleurs, rappeler les pouvoirs du commandant à bord d'un navire.

       Il appartiendra alors aux armateurs de gérer le recrutement de leur personnel de telle sorte qu'une filière française d'officiers de qualité soit entretenue et fournisse les commandants dont la flotte française a besoin.

  Françoise Odier,
Présidente de l'association française du droit maritime


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