par Gwenaële PROUTIÈRE-MAULION, Maître de Conférences à l'université de Nantes, Directrice du Centre de Droit Maritime et Océanique, EA n° 1165 |
En droit français, la notion de harcèlement sexuel a été la première à intégrer le code du travail en 1992. La notion de harcèlement moral, elle, n'est apparue qu'à la fin des années 90, et en 2002 dans le code du travail. C'est à partir du succès qu'a rencontré dans les milieux professionnels le livre de Madame Marie-France Hirigoyen «Le harcèlement moral, la violence au quotidien» paru en 1998(1), que les pouvoirs publics ont pris conscience, en France, que l'accroissement général des contraintes pesant sur le travailleur, lié à l'intensification du travail, la dégradation des conditions de travail et la précarisation de l'emploi, pouvait aller jusqu'à générer une forme de violence, véritable cause de souffrance pour celui-ci. Il faudra cependant attendre la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002(2), pour que cette notion fasse enfin son entrée dans le code du travail et que les deux notions, harcèlement sexuel et harcèlement moral soient fédérées. Cette loi ne s'est d'ailleurs pas contentée de la reconnaissance du harcèlement moral, elle est également allée plus loin en détachant le harcèlement de tout rapport d'autorité, ouvrant ainsi la voie à la répression du harcèlement entre salariés. Par ailleurs, elle apporte une innovation majeure en instaurant, en droit du travail et en droit pénal, la répression du harcèlement moral au nom de la dignité de la personne. |
Le harcèlement moral et le harcèlement sexuel sont également considérés comme une forme de discrimination par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations(4). Le fait de considérer le harcèlement comme une discrimination entraîne des conséquences en matière de charge de la preuve. En effet, s'agissant des discriminations, la victime doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte (art. L. 1134-1). En revanche, en matière de harcèlement, les règles de preuve sont peut-être un peu plus contraignantes, car la victime doit établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement, ce qui nécessite des faits répétés (art. L. 1154-1). |
En droit français, la lutte contre le harcèlement entre, en effet, dans le champ de l'obligation patronale de prévention. Le chef d'entreprise a donc dans ce domaine, un rôle primordial puisqu'il lui appartient de prendre les mesures de prévention nécessaires pour prévenir de tels agissements (art L 1153-5 et L 4121-1 du code du travail). Il lui incombe ainsi «d'assurer la sécurité, protéger la santé physique et mentale des travailleurs… Ces mesures doivent comprendre des actions de prévention des risques professionnels (ancien art. L. 122-51), d'information et de formation, ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés». Sur cette base, son action de prévention doit ainsi consister par exemple en des réunions d'informations et de formation de chefs de service, la mention de la prohibition ainsi que, des sanctions encourues dans le règlement intérieur (article L. 1321-2). Le règlement intérieur devrait aussi comporter la procédure interne de dépôt des plaintes, de leur traitement confidentiel, à terre comme à bord. Tous les salariés ont l'obligation générale de se conformer aux mesures de protection déterminées par l'employeur. Mais là ne s'arrête pas la mission du chef d'entreprise qui doit également sanctionner les agissements répréhensibles (article L. 1152-5).
L'employeur joue ainsi un rôle essentiel en matière de protection des droits de la personne dans l'entreprise. Il doit, en effet, garantir à ses salariés des conditions de travail excluant qu'ils puissent être victimes de harcèlement. Les agissements de harcèlement constituent d'ailleurs une faute grave, qui justifie le licenciement immédiat du salarié qui en est l'auteur(6), ce que doit d'ailleurs rappeler le règlement intérieur (art L 1321-2). Le ou la salarié(e) auteur du harcèlement, engage sa responsabilité personnelle vis-à-vis des victimes, le harcèlement étant une faute intentionnelle. Les faits de harcèlement sont de la nature de ceux qui, fussent-ils commis dans l'intérêt, voire même sur les ordres de l'employeur, engagent la responsabilité personnelle du salarié qui s'en rend coupable à l'égard de ses collègues de travail.
L'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur n'est plus ici un droit, mais devient également un devoir(7), justifiant d'ailleurs que lui soit imputée la rupture du contrat de travail en cas de départ du salarié, victime d'un harcèlement(8). Le salarié victime prend acte de la rupture de son contrat de travail et impute la responsabilité de la rupture à l'employeur négligent, en saisissant le tribunal compétent. Si tel est le cas, la rupture du contrat de travail, qui semblait être une démission, sera traitée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison de la faute de l'employeur et de son défaut de prévention.
Autres acteurs de la lutte contre le harcèlement moral ou sexuel, les institutions représentatives du personnel peuvent également jouer un rôle fondamental grâce au droit d'alerte qui leur a été reconnu par l'article L 2313-2 du code du travail. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dispose de compétences particulières en matière d'analyse des conditions de travail, de prévention des risques professionnels, d'enquête à la suite d'accident du travail ou de maladie professionnelle (art. L. 4612-1). Il peut notamment proposer des actions de prévention du harcèlement (art. L. 4612-3). Le CHSCT peut recourir à un expert aux frais de l'employeur en cas de risque grave constaté dans l'établissement (art. L. 4614-12). Constitue un risque grave pour la santé et la sécurité des salariés d'un établissement une situation de tension chronique extrême et persistante constatée par l'inspecteur du travail et le médecin du travail, en dépit du plan d'action mis en œuvre par la direction, qui n'a pu mettre fin à des ingérences dans la vie privée des salariés et à des comportements proches du harcèlement moral (CA Versailles, 14e ch., 24 nov. 2004, n°07/486, SA MAIF c/ CHSCT de l'établissement de Malakoff). Le risque grave est également constitué en cas de souffrance au travail liée à des mesures de réorganisation au sein d'un service de vente à distance et s'analysant en un harcèlement moral (CA Paris, 18e ch., 23 mars 2006, n°06/00021). Il en est de même d'une situation de souffrance au travail, liée au comportement méprisant du directeur général et s'analysant en un harcèlement moral (CA Paris, 18e ch., 31 mars 2006, n°05/19203, CHSCT du GIE Domaxis c/ GIE Domaxis).
Après avoir identifié les facteurs de stress au travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette action de prévention du stress s'inscrit dans la démarche globale de prévention des risques professionnels et nécessite la consultation du CHSCT (art. L. 4121-1 et L. 4121-2). L'employeur transcrit et met donc à jour dans un document unique, les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des risques, à laquelle il a procédé (art. R. 4121-1). A cet égard, la lutte contre le stress au travail doit être bien prise en compte dans le cadre du document unique d'évaluation des risques professionnels. En effet, la combinaison de facteurs liés à l'organisation du travail dans l'entreprise est susceptible de porter atteinte à la santé et la sécurité des travailleurs, bien qu'ils ne puissent être nécessairement identifiés comme étant des dangers.
La lutte contre le harcèlement sexuel et moral ne peut être efficace qu'avec la participation de tous les acteurs impliqués par les textes, employeur, institutions représentatives du personnel, médecine du travail. Mais quel peut être le recours d'une victime de harcèlement se trouvant à bord d'un navire en pleine mer, dès lors que les délégués de bord ferment les yeux et que l'employeur reste sourd à toute demande ? Le Code du travail n'identifie pas d'autres interlocuteurs à terre, mais la spécificité de la relation de travail maritime fait, elle, intervenir une autre personne, le capitaine, dont le statut particulier conduit à s'interroger sur les attributions et les responsabilités qui pourraient être les siennes en cas d'inaction face à un cas avéré de harcèlement.
Le capitaine du navire répond de l'exploitation du navire, de la navigation, des évènements de mer, mais aussi des humains à bord, équipages et le cas échéant passagers, officiels ou clandestins(9). Il est, aux termes de l'article 1 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, l'autorité de bord vis-à-vis de l'équipage, ce qui a longtemps justifié que cette fonction bénéficie d'un privilège de nationalité(10). Mais dans le même temps, le capitaine est également le préposé de l'armateur. A ce titre, au regard du droit du travail, il bénéficie d'une immunité civile qui le met à l'abri de toute action directe des victimes et de toute action récursoire de son commettant. Peut-il dès lors être mis en cause si des faits de harcèlement se déroulent au sein de son équipage, nonobstant bien évidemment d'éventuelles sanctions disciplinaires de son employeur(11)?
Le capitaine «harceleur» ne présente guère de particularités.
En droit français, la réponse est manifestement sur le terrain du droit pénal et de la répression des infractions pénales et des fautes intentionnelles. Ainsi en est-il du harcèlement moral ou sexuel qui est une faute intentionnelle engageant la responsabilité personnelle de son auteur(12). Dès lors, le capitaine se rendant coupable de harcèlement moral ou sexuel, engage nécessairement sa responsabilité personnelle et peut-être condamné à payer à sa victime des dommages et intérêts, sans qu'il soit pour autant nécessaire de passer par la voie pénale.
Mais qu'en est-il d'un capitaine fermant volontairement les yeux sur des actes de harcèlement commis par l'un des membres de l'équipage, ou simplement sourd aux informations disponibles, pouvant laisser croire à des actes répétés, des brimades ?
A priori, le code du travail ne fait peser sur lui aucune obligation particulière en matière de lutte contre le harcèlement, puisque les articles ne font référence qu'à l'employeur et aux institutions représentatives du personnel. Il en va tout à fait différemment si l'on croise leur lecture avec celle de l'article 1 précité du code disciplinaire et pénal de la marine marchande. Autorité de bord, il est, en effet, responsable du comportement des membres de l'équipage a bord du navire et doit à ce titre faire cesser tout comportement illicite. Dès lors que son inaction porte préjudice à la victime, il y a là indubitablement délit de non-assistance à personne en danger tel que réprimé par l'article 223-6 du Code pénal(13), justifiant que soient engagées à l'encontre du capitaine des poursuites pénales. Par ailleurs, le capitaine, représentant de l'armement à bord est également investi d'une délégation générale en matière de sécurité. Il lui appartient donc à ce titre, non seulement d'informer l'employeur de l'existence de pratiques de harcèlement mais, également de prendre toute mesure de nature à faire cesser le risque(14). Dès lors, une inaction intentionnelle doit ici conduire à engager sa responsabilité et autoriser l'action de la partie civile devant le juge pénal. Au-delà des aspects réglementaires, il convient également d'insister ici sur le rôle pédagogique qui incombe au capitaine. Dans un milieu de travail dominé par les pratiques masculines pluriséculaires, il lui revient, en effet, d'éveiller les consciences à la nécessaire évolution des rapports sociaux au travail. La féminisation des activités maritimes ne s'inscrit pas uniquement dans un contexte de promotion de l'égalité des chances hommes-femmes, elle répond également à un besoin de main-d'œuvre et à une évolution sociologique réelle.
Il faut donc envisager l'équivalent d'un règlement intérieur du bord, sans doute en sus du règlement intérieur de l'armement. En cas de faits répétés pouvant laisser croire à des pratiques de harcèlement, auprès de qui la personne qui s'en estime victime, peut-elle se plaindre ? A quelle obligation de confidentialité, le réceptionnaire de la plainte est-il tenu, avant d'entamer une enquête tout aussi confidentielle que contradictoire. Comment croiser procédure à terre et procédure à bord ? Comment établir un diagnostic le plus objectif possible, démêler les versions, rappeler chacun au respect de ses obligations, rappeler les sanctions éventuelles encourues, établir les causalités et responsabilités ? Comment suivre l'évolution de la situation dans une démarche préventive, obtenir les mesures d'aménagement, de mutation nécessaires ?
La prévention permet heureusement d'échapper à la question des responsabilités qui n'intervient qu'une fois les dommages causés.
- La prévention
- Il s'agit d'une obligation du chef d'entreprise (art. L 1153-5 et L 4121-1 du code du travail) qui doit prendre la forme :
- de réunions d'informations et de formation de chefs de service (ces réunions doivent permettre notamment de développer le rôle pédagogique du capitaine et de susciter une prise de conscience chez les travailleurs),
- du rappel dans le règlement intérieur de la prohibition de ces comportements de harcèlement ainsi que, des sanctions encourues (article L. 1321-2),
- de l'affichage du règlement intérieur sur le lieu de travail.
A cet égard, le règlement intérieur devrait comporter une procédure interne de dépôt des plaintes, de leur traitement confidentiel, à terre comme à bord,
- de la prise en compte de la lutte contre le stress au travail dans le cadre du document unique d'évaluation des risques professionnels.
A noter : toute action de prévention du stress s'inscrit dans la démarche globale de prévention des risques professionnels et nécessite la consultation du CHSCT (art. L. 4121-1 et L. 4121-2)
- L'alerte
- Ce rôle revient en priorité aux institutions représentatives du personnel et est garanti par :
- le droit d'alerte reconnu aux délégués du personnel par l'article L 2313-2 du code du travail,
- le pouvoir d'initiative du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui dispose de compétences particulières en matière d'analyse des conditions de travail, de prévention des risques professionnels, d'enquête à la suite d'accident du travail ou de maladie professionnelle (art. L. 4612-1). Il peut notamment proposer des actions de prévention du harcèlement (art. L. 4612-3),
- Le médecin du travail.
- Le traitement
Attention : l'inaction du capitaine qui porte préjudice à la victime constitue un délit de non-assistance à personne en danger tel que réprimé par l'article 223-6 du Code pénal, justifiant que soient engagées à l'encontre de celui-ci des poursuites pénales.
- identifier la personne ressource auprès de qui déposer plainte à bord ou à terre,
- garantir la confidentialité de la démarche,
- faire procéder à une enquête interne,
- engager une médiation,
- aménager les postes de travail de façon à faire cesser tout danger immédiat,
- prendre les sanctions qui s'imposent à l'égard du harceleur (les agissements de harcèlement constituent une faute grave, qui justifie le licenciement immédiat du salarié qui en est l'auteur y compris si le salarié harceleur est le capitaine, art L 1152-5.