Retour au menu
Retour au menu

ERIKA, commentaires de l'arrêt de la Cour de cassation
 

       Le Cdt J. Portail nous fait le compte-rendu de l'intervention de M. Pierre Bonassies, professeur honoraire à la faculté de droit de l'université d'Aix-Marseille lors du colloque organisé en novembre 2012 par l'Institut Méditerranéen des Transports Maritimes.

Rappel des faits :

       L'Erika, pavillon maltais, propriétaire et armateur italien, société de classification RINA, commandant indien et affréteur TOTAL, coule le 12 décembre 1999 dans les eaux internationales à environ 30' au sud de la pointe de Penmarch (ZEE).

         Le 16 janvier 2008, la Chambre correctionnelle du TGI de Paris rend son jugement. Le groupe Total est reconnu coupable de pollution maritime par les magistrats et est condamné à verser 192 millions d'euros. L'armateur, le gestionnaire ainsi que l'organisme de certification du navire sont déclarés coupables de faute caractérisée. Le « préjudice écologique » est reconnu.

       Le 25 janvier 2008, Total fait appel de cette condamnation, tout en décidant le début du versement des dommages-intérêts.

       Le 30 mars 2010, la Cour d'appel de Paris confirme les condamnations pénales pour pollution du groupe Total, de la société de classification Rina, de l'armateur Giuseppe Savarese et du gestionnaire Antonio Pollara. Les parties civiles (État, collectivités locales, associations de protection de l'environnement) obtiennent 200,6 millions d'euros de dommages et intérêts, dont environ 13 millions au titre de « préjudice écologique ».
Cependant seuls le RINA, l'armateur et le gestionnaire sont condamnés. Total bénéficie de la protection de la couverture de la Convention CLC. Les quatre condamnés se pourvoient en cassation.

       Le 25 septembre 2012, La Cour de cassation, dans son arrêt, valide la condamnation pénale pour infraction de pollution maritime de Total qui a écopé de l'amende maximale, soit 375.000 euros. La Cour de cassation confirme la condamnation de Rina à 175.000 euros d'amende, de Giuseppe Savarese, ex-propriétaire italien du navire, et Antonio Pollara, ancien gestionnaire italien de l'Erika à 75.000 euros d'amende chacun.

       D'autre part la Cour confirme le volet civil de la procédure, en validant le principe du « préjudice écologique », reconnu en première instance et réaffirmé en appel. Enfin elle casse une partie de l'arrêt de la Cour d'appel qui avait exonéré Total de sa responsabilité civile.

Commentaires.

       Au printemps 2012, l'avocat général à la Cour de cassation, Didier Boccon-Gibod avait provoque un tollé en recommandant une "cassation sans renvoi de l'arrêt attaqué", c'est-à-dire une annulation définitive de la procédure, au motif que la justice française n'était pas compétente. Le navire a en effet sombré en dehors des eaux territoriales françaises, en zone économique exclusive (ZEE). Même si l'État du pavillon, Malte, ne s'est pas manifesté, la loi française du 5 juillet 1983, sur laquelle sont basées les poursuites, ne peut pas selon lui s'appliquer car elle n'est pas conforme aux Conventions internationales. L'avocat général remet par ailleurs en cause l'indemnisation du "préjudice écologique", accordé en première instance et en appel à plusieurs collectivités et associations (comme la Ligue de Protection des Oiseaux), indépendamment de tout dommage économique.

       La Cour de cassation ne suit pas l'avis de l'avocat général et valide dans son ensemble la décision de la Chambre correctionnelle qui avait appliqué la loi pénale française à ce naufrage.

       Le cadre juridique en cas de pollution maritime est effet complexe. La zone dans laquelle s'est déroulé le naufrage de l'Erika est une zone où les compétences juridiques sont régies par le droit international. La Convention de Montego Bay de 1982 établit le cadre général et la Convention Marpol de 1973 régit la prévention et la répression de la pollution.

       En France, la loi du 5 juillet 1983 régit les modalités de l'infraction de pollution maritime. La Cour de cassation établit que la loi française est conforme en zone économique exclusive puisque la Convention de Montego Bay prévoit que la souveraineté de l'État peut s'y exercer en matière de pollution, qu'elle peut être plus répressive que la Convention Marpol dans la mesure où le texte international incite les États l'ayant ratifiée à mettre en place un système répressif « conforme » aux objectifs de la Convention qui est la lutte contre la pollution et enfin, soutient le principe de la réparation civile qui doit s'appliquer également à un affréteur, Total en l'espèce, selon la Convention internationale CLC.(Civil Liability Convention for Oil pollution damage). La faute inexcusable est retenue.

       Le FIPOL, le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution et dont le financement provient d'une contribution assise sur le volume d'hydrocarbures importés par les États membres ne partage pas ces conclusions.

       M. Bonassies cite une affaire devant la Cour internationale de La Haye en 1927 dite « affaire du Lotus » qui oppose l'État français et l'État turc.

       Le 2 août 1926 vers minuit, le navire français "Lotus" des Messageries Maritimes aborde en haute mer le navire turc "Boz-Kourt". Ce dernier coule et il y eut des victimes turques. A l'occasion d'une escale du navire français à Constantinople, l'officier de quart fut arrêté, jugé et condamné par les autorités turques. Le différend fut soumis à la CPJI par un compromis franco-turc. La question était de savoir si les tribunaux nationaux étaient compétents pour juger un délit commis en haute mer par un étranger.
Thèse française : loi du pavillon (navire et équipage français).
Thèse turque: compétence universelle lorsque la victime est turque.

       C'est un droit entre entités autonomes dont aucune n'a juridiquement autorité sur l'autre. La Cour internationale de la Haye déclare dans l'affaire du "Lotus":
« Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des Conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l'indépendance des États ne se présument donc pas »

       M. Bonassies termine son exposé en rappelant le travail très sérieux de M Georges Touret, (dont il a été le professeur de droit en 1964), administrateur général des affaires maritimes et ancien directeur du BEA-mer, qui a remis avec M Jean Louis Guibert, secrétaire de l'IFN, un rapport très critique sur l'ERIKA. Ce rapport conclut à l'insuffisance d'entretien du navire Erika et donc au développement rapide de la corrosion.

Cdt Jacques Portail
Retour au menu
Retour au menu