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Pertes de conteneurs.


         Il a été fait état dans la presse spécialisée que l'administration française s'inquiétant à juste titre des pertes de conteneurs à la mer subies par plusieurs navires, lors des mauvais temps de cet hiver, allait en appeler à l'OMI pour essayer de remédier à de telles pertes (certaines massives).

       Cependant, les commentaires publiés à cette occasion, citant principalement le matériel/système de saisissage du bord et son utilisation, semblent totalement occulter des faits, à mon avis, majeurs: d'une part l'état et le maintien de l'intégrité de la structure des conteneurs dans le mauvais temps, et d'autre part l'utilisation de twistlocks full automatic (FAT), qui aggravent un début de désarrimage en perte massive.

 

       Le système de saisissage (approuvé par la société de classification et l'administration nationale) dépend d'une part du matériel du bord, et d'autre part de l'état et la tenue de la structure des conteneurs. Les calculs reposent sur le fait que les conteneurs sont parfaits (état quasiment neuf). Des commentaires indiquent que le matériel du bord peut être usé. Mais les conteneurs le sont plus encore, les «trous» des pièces de coin le sont très souvent (détail pratiquement jamais vérifié lors des (re)délivraisons de location de conteneurs) engageant la tenue des twistlocks. De plus, ces pièces de coin, pour cause de vétusté, peuvent se désolidariser de la structure (plusieurs cas cités dans des rapports d'enquête) entrainant immédiatement un jeu anormal dans le saisissage, ce qui constitue une amorce d'avarie. Des indications peu fiables des poids de conteneurs peuvent aggraver les efforts importants sur la structure verticale des premiers plans, efforts augmentés par le roulis et la composante verticale du rappel des barres de saisissage (au moins égale à l'horizontale). Or cette tenue «verticale», considérée comme parfaite dans les calculs, est, par vétusté ou charge trop importante, le plus souvent, à l'origine d'un désarrimage. Lors de l'accostage de navires ayant eu des piles de conteneurs écroulées, on voit toujours le premier ou deuxième container écrasé (origine de l'avarie).

 

       Les commentaires rapportés occultent complètement le fait que les navires ayant eu des pertes massives étaient équipés de FAT. Ces twistlocks se verrouillent à la mise en place, puis se déverrouillent seuls lors de la levée du container au déchargement. Il est évident qu'un mouvement ou secousse un peu forts, ou un basculement, va entrainer le déverrouillage. Si une pile s'écroule, les conteneurs ainsi «saisis» vont partir. Ce système évite aux dockers d'avoir à travailler au-dessus des plans où l'on met des barres, et permet le début du déchargement dès le navire le long du quai (avant même la mise en place de la coupée) comme le signale MacGregor dans sa communication, faisant gagner 20 à 50 minutes d'escale, comme l'a communiqué un armateur. Ces problèmes avec les FAT ne sont pas nouveaux. Déjà, après des pertes importantes en 2006 sur divers navires, avec divers modèles de FAT, MacGregor (avant même les conclusions des enquêtes) avait retiré ses FAT (y compris destruction de neufs non livrés et changement proposé à tous les navires équipés pour les remplacer par des semi-automatiques) et annoncé des recherches pour un nouveau modèle plus perfectionné et pouvant aussi être utilisé en semi-automatique avec déverrouillage manuel: le C8A. Ce dernier modèle équipait le Svendborg Maersk et était en full-automatic au-dessus de la tire 88 (4ème plan). On peut lire dans les mesures prises par Maersk : « …lashing equipment is dimensioned with minimum breaking load double of SWL –except for the FAT, which have a considerably lower safety factor when in automatic mode. The recent container losses prompted Maersk Line to initiate final element calculations of the captioned twistlocks and their influence on the whole stowage behaviour during various scenarios » (extrait rapport DMaib). Les renseignements indiquent que sur les 517 conteneurs perdus, 442 étaient vides, donc légers, ce qui montre bien qu'il y a eu déverrouillage et non casse des twistlocks. On remarquera que l'initiative des retraits de matériel en 2006, ou des mesures de re-calcul immédiatement prises ne vient pas de la société de classification ou de l'administration (ni de l'OMI).

       Maersk utilise un système sophistiqué de prévision de comportement du navire, mais malgré cela, le rapport indique que le Svendborg Maersk a subi, dans la tempête, des coups de roulis d'environ 40°. On a constaté, spécialement sur les grands navires, le roulis paramétrique, phénomène redoutable avec des inclinaisons très fortes, dû à une résonnance se produisant lorsque la période du roulis est égale (ou multiple, ou diviseur) de la période de poussée des vagues. Une variation de la route et/ou de la vitesse est alors impérative.

       Ne pas perdre de vue que de telles pertes peuvent être dangereuses pour le navire par déplacement brusque de poids dans le mauvais temps. Dans le cas du Svendborg Maersk, la précaution de rassemblement de l'équipage avec ses combinaisons a été prise.

       Je reviens sur le poids des conteneurs, indiqué plus haut comme «peu fiable». Des différences sont constatées lors d'expertises après accident, on cite les conteneurs du MSC Napoli et bien d'autres ayant, par ex., entrainé des naufrages (stabilité), des différences de 6 t et plus ont été constatées sur 18% des conteneurs d'un chargement. Un sondage, il y a quelques années, à Felixstowe a montré des conteneurs déclarés vides, en fait chargés (on peut se demander à qui était payé le fret de ces marchandises). Tout cela est dangereux mais diverses actions n'ont eu que peu ou pas d'effet, le plus souvent pour une question de retard de manutention, une pesée au portique est trop tardive et la manutention ignore le poids déclaré, ou pour des raisons de bons rapports avec les chargeurs. On peut signaler aussi les « arrangements » aux emplacements désignés pour conteneurs vides, les conteneurs frigo ou spéciaux peuvent être vides mais peser beaucoup plus que 2/4 t (20'/40'), cela peut faire une différence s'ils sont nombreux. Pour l'anecdote (si l'on peut dire) on a vu des poids corrigés à la main sur le bay plan communiqué au bord (qui veut-on tromper ?).

       L'OMI a publié une règle rendant obligatoire la pesée effective avant chargement (en 2016), mais il est, en fait, laissé le choix aux gouvernements de choisir la déclaration du chargeur (le statu quo en fait), et il y a une très forte pression des ports pour ne pas en être chargé ; quelle sera l'application effective de cette règle ?

       Dans le cas du Svendborg Maersk, on peut signaler qu'en 2012, la compagnie avait augmenté la capacité de chargement avec changement des règles de classe. Dans cet ordre d'idée, le Bureau Veritas indique de nouveaux calculs (Lashing WW) permettant une meilleure souplesse de l'arrimage, en particulier une augmentation de 22 tonnes des piles milieu sur un grand PC, en utilisant un logiciel dédié et en tenant compte, éventuellement du voyage effectué (! – rappel de la remarque précédente sur la structure des conteneurs). Le gigantisme atteint par certains de ces navires n'améliore sans doute pas la sécurité.

       Par ailleurs, comme on y fait allusion dans certains commentaires, on peut préciser qu'au moins un armateur avait équipé des PC avec des stabilisateurs, mais le système a été abandonné pour augmentation de la consommation, avec non-réparation des appareils installés endommagés.

       Enfin, ne pas perdre de vue que la surveillance du travail au port, avec plusieurs équipes/portiques au travail est très difficile et ne peut pas être pleinement assurée avec un équipage réduit. On compte sur la conscience de la manutention. Une surveillance sur les premiers plans sera possible a posteriori (contrôle toujours assez long). En cas d'accident, il est quand même rare de constater une casse significative du matériel du bord. En revanche, il y a toujours des faiblesses, de la casse ou des écroulement de conteneurs (on ajoute les mauvaises déclarations de poids) et tant que cela sera ainsi, il y aura des désarrimages.

Cdt Ph. SUSSAC


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