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Les 7èmes Assises de l'Économie maritime et du littoral

         Les Assises de la mer se sont déroulées à Dunkerque les 29 et 30 novembre 2011. Organisées par le Marin et les Échos, en collaboration avec le Cluster maritime français et l'Institut français de la mer (IFM), elles ont réuni plus de 1 200 personnes faisant partie de l'ensemble du milieu maritime français et environ 150 étudiants et étudiantes. La participation de plusieurs ministres avait été annoncée, mais seuls Madame Nathalie Kosciuko-Morizet, ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement et chargée de la mer, qui a clôt les débats, et Monsieur Thierry Mariani, secrétaire d'État aux Transports, qui est intervenu au début, nous ont fait l'honneur de leur présence. Monsieur Gérard Longuet, ministre de la Défense, et Monsieur Michel Rocard, ancien Premier ministre et Ambassadeur pour les Pôles, se sont excusés. On peut lire dans les colonnes du Marin un compte-rendu des nombreux thèmes qui ont été abordés, et sur internet l'intégralité des discours des 2 ministres. Pour autant, les enseignements tirés de cette importante manifestation des acteurs du monde maritime appellent quelques réflexions.

       Sous couvert de dresser le premier bilan des Assises de la mer, Madame Kosciusko-Morizet a fait l'éloge de la politique maritime menée pendant le quinquennat du Président de la République. Elle s'est félicitée de la «véritable politique maritime, ambitieuse, dont la France s'est dotée, portée par le Président de la République», et grâce à laquelle «la France regarde à nouveau vers la mer». Elle a remercié en premier lieu le Cluster Maritime, lien de mobilisation des professionnels de la mer, et salué son président Francis Valat en ajoutant que «la politique maritime sera bien au cœur de la prochaine campagne présidentielle». Elle a ajouté qu'elle était heureuse de constater que cela avait été bien compris par ceux qui appellent de leurs vœux la tenue d'«États généraux de la mer», et en cela elle faisait allusion à la demande du candidat du parti socialiste inscrite dans son document «Le défi maritime français», tout en faisant remarquer que le gouvernement l'avait déjà fait, il y a deux ans, et qu'il était en train de mettre en œuvre leurs conclusions.

       La ministre a ensuite félicité Jean-Marie Poimbeuf, président du Groupement des Industries de Construction et Activités navales (GICAN), pour avoir réalisé la structuration de la filière de construction navale – et Thierry Mariani, avec qui elle avait conduit «la réforme portuaire, courageuse et nécessaire». A ce sujet, on notera que Michel Delebarre, sénateur-maire et président de la Communauté urbaine de Dunkerque et ancien ministre de la Mer de 1988 à 1990, ne partage pas cette allégation. Interrogé par le journal «les Échos», il affirme que la gouvernance des ports a été mal repensée, les personnels de la manutention y étant peu associés, et que le problème des dessertes terrestres, pourtant capital pour la compétitivité des ports, a été insuffisamment pris en compte. De même, la régionalisation des anciens ports d'intérêt national a limité les synergies entre sites portuaires. De son côté, Jean-Yves Le Drian, qui succéda à Michel Delebarre comme secrétaire d'État à la Mer de 1991 à 1992, pense d'après le même journal que si le GICAN est une belle avancée, il est essentiel de préserver le savoir-faire naval français, de haut niveau, et pour cela trouver une alternative pour la mobilisation de fonds publics et privés et innover dans une nouvelle forme de partenariat pour préserver cette capacité et en faire un atout pour un renouveau de l'industrialisation de la France. Tous les deux, à l'instar de François Hollande, prônent d'ailleurs un retour à un ministère de la mer, «lieu d'impulsion indispensable» ajoutent-ils. En contrepartie, Madame Kosciusko-Morizet pense, avec raison semble-t-il, très mauvaise l'idée d'un ministère de la mer «isolé», arguant que «le fait d'avoir aujourd'hui en France un ministère de la mer capable de gagner des arbitrages interministériels et de conduire une politique ambitieuse, est précisément parce qu'il n'est pas seul, et qu'en l'adossant au grand ministère du Développement durable en 2007, on lui a donné les principaux leviers d'une politique maritime intégrée».

       La ministre a bâti son discours autour de quatre thèmes, axes de la construction de la politique maritime du gouvernement : le développement économique, la connaissance, la protection et la gouvernance. Il serait trop long d'énumérer les nombreuses actions entreprises qui ont été citées. On peut retenir tous les efforts menés dans le domaine des énergies marines renouvelables (EMR) avec l'appel à projet sur l'éolien offshore lancé en juillet dernier qui vise une puissance totale installée de 6 gigawatts (l'équivalent de 4 réacteurs nucléaires, la France en possède 58) à l'horizon 2020, soit environ 1 200 éoliennes produisant 3,5% de la consommation française d'électricité. Le lancement de cet appel d'offres était attendu depuis plus de 2 ans. Cependant, l'appel d'offres en cours ne couvre que la moitié de cette cible, soit 3 gigawatts sur 5 sites. Le deuxième appel d'offres est en préparation pour le printemps prochain sur de nouvelles zones propices. On est loin des ambitions britanniques qui portent sur 32 gigawatts. L'investissement est néanmoins colossal, près de 10 milliards d'euros au total. D'après Jean-Marie Poimbeuf, les EMR peuvent créer 10 000 emplois, une nouvelle filière industrielle française.

       Concernant la formation, la ministre a félicité Eudes Riblier, président de l'École Nationale Supérieure Maritime (ENSM), reconnue comme une grande école d'ingénieurs. Néanmoins la ministre a bien spécifié qu'il « faudra faire un choix entre les différents sites des écoles », ce qui laisse à envisager la disparition de l'une ou plusieurs de ces écoles. De son côté, le parti socialiste propose la création d'une université de la mer multipolaire, mais sera-t-elle propre à redonner de l'attractivité aux métiers de la mer et en particulier au métier de navigant, moins bien accepté aujourd'hui. En matière de gouvernance, la ministre s'est félicitée de la modernisation et de l'unification de l'administration maritime, mais elle n'a soufflé mot de la mauvaise idée de la délocalisation de l'ENIM, opération jugée dispendieuse et inutile par le monde maritime.

       Enfin, la ministre a insisté sur deux sujets à titre de perspectives. En premier lieu l'emploi maritime, sachant que la mer est une filière économique extrêmement importante avec plus de 600 000 personnes employées dans des secteurs aussi divers que la pêche, la marine marchande, la construction navale, le nautisme…ce simple fait étant encore aujourd'hui peu connu. Deuxième orientation pour l'avenir, l'exploration des grands fonds marins. Le potentiel de ces grands fonds, en terres rares et en métaux divers, a été révélé lors de la campagne conduite dans les eaux de Wallis et Futuna fin 2010. La France se doit de valoriser ces grands fonds, ainsi l'a décidé le dernier Comité interministériel de la Mer. Aussi une demande de permis d'exploration auprès de l'autorité des grands fonds marins dans l'Atlantique a-t-elle été déposée, et la mise en œuvre de cette exploration a-t-elle été confiée au président de l'IFREMER, Jean-Yves Perrot.

       Enfin la ministre, forte de l'avance et de l'exemplarité de la France sur le terrain de la politique maritime, nous a appris que la commissaire européenne chargée des affaires maritimes et de la pêche, Maria Damanaki, lui avait confié récemment que « la Commission européenne avait besoin de la France pour continuer à construire sa politique ».

       Il resterait beaucoup à ajouter, tellement les intervenants ont été nombreux et leurs discours chargés d'enseignements. On retiendra la brillante allocution d'ouverture de Michel Delebarre au cours de laquelle il a annoncé la candidature de Dunkerque pour le second appel d'offres pour les éoliennes ou celle toujours attendue de Pierre-Georges Dachicourt, président du Comité national des pêches maritimes, qui, au sujet de la réforme de la politique commune de la pêche, a déclaré que la même Maria Damanaki ne tenait pas ses engagements et qu'elle n'avait pas changé depuis l'an dernier. On notera aussi le long discours de Thierry Mariani faisant état du bilan de la réforme portuaire, et faisant part de son désaccord sur la teneur du texte du Parlement européen concernant les émissions de souffre par les navires, et de sa détermination à la défense du pavillon français dans toutes ses composantes. Les autres très vastes sujets abordés ont concerné la mise en valeur des fonds marins, les routes maritimes de l'Arctique, l'Outre-mer, les Aires marines protégées, les EMR, l'Offshore pétrolier et gazier et la valorisation des algues.

       La situation de la piraterie en océan Indien a donné lieu à un échange de points de vue entre le nouveau chef d'état-major de la Marine, l'amiral Rogel, et le général Pierre Saqui de Sannes, conseiller du président de CMA-CGM. Si la Marine met des fusiliers marins à bord des navires déclarés d'intérêt stratégique, des navires câbliers ou des navires d'IFREMER, ou des navires français jugés vulnérables comme les thoniers, les équipages des autres navires détenus par des intérêts français, et ne battant pas pavillon français, ne peuvent pas bénéficier de la présence de militaires à bord. Aussi, la CMA-CGM, soucieuse de protéger ses marins, a-t-elle conclu des accords avec une société britannique sur la présence à bord de quatre hommes armés sur ses porte-conteneurs de 2000 EVP fréquentant la côte est-africaine, qui sont régulièrement attaqués, avec l'autorisation des États des pavillons et après avoir prévenu les autorités françaises. La législation française sur les sociétés de surveillance ne s'appliquant qu'à terre, et pas en mer, une solution serait d'autoriser des sociétés privées françaises validées par la Marine nationale à embarquer sur des navires français. Pour l'amiral Rogel, l'armée n'est en effet pas au format pour protéger tous les intérêts dans le monde, y compris les croisières de luxe, faisant référence au Ponant qui bénéficie d'une protection lors de son changement d'affectation entre les Maldives et la Méditerranée. Ce à quoi, le général a répondu que le tourisme était un métier comme un autre, qui génère de l'emploi.

       En guise de conclusion, on notera l'ambition du gouvernement de faire recouvrer à la France son rôle de grande nation maritime. Mais, comme en est convaincu le secrétaire d'État aux Transports, « elle ne reviendra une véritable puissance maritime qu'à l'aide de la mobilisation de l'ensemble des acteurs concernés ». Toutefois, il reste à convaincre ceux-ci, car les résultats de l'enquête d'opinion menée par le célèbre cabinet d'audit PriceWaterHouseCoopers(PwC) présentés aux Assises maritimes de Dunkerque sont révélateurs de l'érosion de la confiance des acteurs du secteur maritime représentant le transport, la construction navale, l'offshore, les ports, la plaisance ou la pêche, dans l'activité de leurs secteurs respectifs.

René TYL
Membre de l'AFCAN


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