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Manche et mer du Nord : de nouvelles missions pour un espace en évolution
L'AFCAN remercie l'amiral préfet maritime de Cherbourg de lui avoir communiqué pour publication ce document détaillé.



  Ce sont les mers métropolitaines les plus méconnues. Et bien souvent associées, dans l'imaginaire collectif, à des catastrophes maritimes, à des naufrages, à des marées noires. C'est un fait : la Manche et la mer du Nord évoquent davantage le tumulte de mers difficiles et piégeuses que le charme des eaux chaudes méditerranéennes. Pourtant, cet espace maritime concentre des activités et des enjeux uniques, tant sur le plan économique, environnemental, commercial que sécuritaire. Des activités et des enjeux de premier plan.

A la tête de cette zone complexe, en évolution constante, le vice-amiral d'escadre Pascal Ausseur, préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord, est à la fois acteur et observateur de ces changements. Ses missions prennent de nouvelles formes au moment où l' «action de l'Etat en mer» s'élargit dans de nombreux champs : «préfet de la gouvernance», pour l'organisation spatiale des usages en mer et l'accompagnement du développement des activités économiques, il reste toujours le « préfet de l'urgence » pour le sauvetage et la préservation de la vie humaine et des biens en mer. Mais il devient aussi, de manière de plus en plus marquée, le « préfet de la défense » face à une menace terroriste forte et à des problématiques sécuritaires réelles. Un préfet maritime sur de multiples fronts. Explications.

Zone de transits et d'échanges commerciaux entre l'Europe et le reste du Monde, la Manche et la mer du Nord représentent l'espace maritime le plus fréquenté de la planète avec le détroit de Malacca, en concentrant 20 à 25% du trafic maritime mondial. Une densité qui s'accentue par l'exiguïté des lieux, particulièrement en Manche et dans le détroit du Pas-de-Calais où le chenal navigable, dans sa partie la plus étroite, n'excède pas les 28 kilomètres. Avec plus de 60 000 reports par an de navires de charge au sein des deux dispositifs de séparation du trafic (DST) des Casquets et du pas de Calais, les opérateurs des CROSS Jobourg et Gris-Nez ont la délicate mission de surveiller en permanence, avec la plus grande attention, cette zone de navigation très encombrée, qui cumule de surcroît de nombreux pièges naturels : hauts-fonds, bancs de sable, courants et vents puissants, marnages importants, météo changeante… Un espace dangereux, qui ne donne pas droit à l'erreur : les vents et les courants dominants portent, la majeure partie du temps, vers les côtes françaises. Dans ces mers, un cargo en avarie de propulsion peut se retrouver très rapidement sur la côte et une pollution pourrait arriver en quelques heures sur le littoral.


Le CROSS Jobourg (50).
 
Assistance du Flinter America par l'Abeille Liberté.

Les administrations et services placés sous la responsabilité du préfet maritime en ont conscience et sont sur la brèche en permanence : en 2016, 13 accidents majeurs ou graves ont été évités de justesse en Manche-mer du Nord. 7 remorquages et 16 escortes de navires de charge ont été opérés par les Abeilles Liberté et Languedoc, affrétées par la Marine nationale. Des événements qui sont passés inaperçus, précisément parce qu'ils ont été bien gérés.

Si le préfet maritime est «préfet de l'urgence» pour l'assistance à la navigation, il l'est également pour le secours en mer.
Avec le développement constant des loisirs nautiques, dans une région favorable aux sports de voile, une activité de plaisance bien portante et près de 700 manifestations en mer, les opérations de sauvetage sont quotidiennes et mobilisent toujours de nombreux moyens.
En 2016, 1219 opérations de secours ou d'assistance ont été coordonnées en Manche-mer du Nord, dont 54 % concernant du sauvetage. Soit, en moyenne, plus de 2 opérations par jour pour secourir des vies humaines en mer. Des opérations qui, malheureusement, ne permettent pas, parfois, d'éviter le pire : 26 décès (dont 3 suicides) ont été à
   
Evacuation par le Caïman Marine de Maupertus d'une personne blessée à bord d'un gazier, en Manche.
déplorer en mer cette même année.
C'est dire combien le travail des CROSS et de l'ensemble de la chaine de sauvetage est précieux dans cette zone, propice aux accidents et aux fortunes de mer.

La Manche-mer du Nord est également un espace maritime qui connaît un développement constant de ses activités économiques. Entre un transit commercial France-Angleterre représentant 17 millions de passagers par an, les travaux d'extension de plusieurs grands ports et de leurs sites industriels, l'exploitation de ressources naturelles comme l'extraction de granulats, la pêche, le tourisme balnéaire, ou bien encore les projets  
Exercice de sauvetage maritime de grande ampleur avec le PSP Pluvier et la SNSM, au large de Ouistreham.
 
Vue numérique d'un champ éolien.
d'installation de parc éoliens et hydroliens off-shore, cette zone constitue de nombreuses opportunités pour l'économie maritime, la création d'emplois et la prospérité de filières locales.
Le préfet maritime, aux côtés de son homologue préfet de Normandie (préfet coordonnateur de façade), accompagne ce développement économique, notamment par une gestion spatiale cohérente des différents usages, permettant l'épanouissement de chaque activité, dans le respect de la sécurité en mer. En «préfet de la gouvernance», acteur de l'économie en mer, le préfet maritime veille également à la préservation de l'environnement en favorisant la mise en place de parcs naturels marins et Natura 2000, en parfaite co-existence avec les autres activités.

Enfin, le contexte sécuritaire de ces dernières années a fait évoluer les missions du préfet maritime. Le terrorisme, qui a frappé notre territoire national, constitue toujours une réelle menace pour les Français et leurs intérêts. Mais cette menace ne pèse pas qu'à terre : elle est également présente en mer. D'abord parce que des terroristes pourraient tenter des actions spectaculaires sur un ferry : lieux clos où se concentrent de nombreuses personnes à chaque traversée, isolés une fois en mer, les navires à passagers sont de vraies cibles potentielles. Mais aussi parce que le littoral de la Manche et de la mer du Nord compte de nombreux sites sensibles, dont certains sont d'intérêt vital pour la France : 4 centrales nucléaires de production d'électricité (CNPE), des grands ports qui assurent plus de 50 % de l'activité de fret de la métropole (Le Havre, Rouen, Dunkerque, Calais), 55 sites SEVESO et de nombreuses zones industrialo-portuaires, le port militaire de Cherbourg, pour ne citer qu'eux.

A cette menace terroriste s'ajoute une menace stratégique : celle du retour des Etats-puissances. Et cette menace s'exprime aussi en Manche-mer du Nord, par le passage fréquent de navires de guerre étrangers, notamment russes, et par une activité navale permanente.
 
Exercice de contre-terrorisme maritime en Manche, 2016.

L'enjeu est donc de mieux sécuriser les approches maritimes à la fois par une meilleure anticipation de la menace et une détection préventive de toute action hostile, mais aussi par une capacité de réaction immédiate en cas d'alerte. Le préfet maritime – également commandant de zone militaire – est devenu, en quelques années, un véritable «préfet de la défense» : défense de la population et défense de nos intérêts par la défense l'espace maritime.

En Manche-mer du Nord, il développe ainsi, au quotidien, la coopération avec les services de l'Etat à terre et les autorités britanniques et belges, notamment dans l'échange du renseignement. Il intensifie également la présence de ses moyens en mer et les concentre sur la surveillance de la migration et des sites sensibles, dans le cadre de la «défense maritime du territoire». Les contrôles de navires sont aussi plus importants : 822 inspections en 2016 réalisées par la Douane et la Gendarmerie maritime dans la zone. Pour la protection des navires à passagers, des équipes militaires embarquées (EPNAP), qui assurent la protection des ferries durant leurs traversées entre la France et l'Angleterre, sont mise en place depuis le 1er août 2016. Gendarmerie maritime en démonstration d'intervention. Le préfet maritime a aussi adopté des dispositifs et une organisation permettant de mieux faire face à un événement de nature terroriste : mise en place d'un plan d'action immédiat, offrant une capacité d'intervention en mer de quelques minutes, d'entraînements réguliers des unités projetables, y compris les équipes médicales, et renforcement du Centre des opérations maritimes (COM) de Cherbourg. Résolument tourné vers ces enjeux, sur une façade maritime concentrant de nombreuses vulnérabilités, le vice-amiral d'escadre Ausseur développe donc au sein de ses services cette même culture d'anticipation-réaction – déjà largement partagée dans le domaine de l'assistance et du secours en mer – dans le champ sécuritaire.

Conclusion

La Manche-mer du Nord est une zone maritime qui vit au rythme des évolutions de notre temps. Loin de l'image d'Epinal d'une façade sans attrait, qui ne connaît que des marées noires ou des catastrophes maritimes, c'est en réalité un « poumon bleu », une zone particulièrement dynamique, représentant de nombreuses opportunités de développement économique en mer et un laboratoire d'expérimentation pour les énergies marines renouvelables. C'est aussi une région directement concernée et touchée par les problématiques sécuritaires du moment, nécessitant à l'Etat de s'adapter et de faire évoluer ses missions en mer et sur le littoral pour mieux prévenir et réagir face à l'action de réseaux criminels, particulièrement en cas d'événement terroriste. C'est enfin un espace qui nécessite, en termes de secours en mer et de surveillance de la navigation, de maintenir une vigilance de tous les instants grâce à un dispositif éprouvé (trinômes CROSS, remorqueurs, hélicoptères) et à des compétences humaines uniques, dans un environnement dangereux et propice aux accidents.
Ces caractéristiques et ces évolutions s'accompagnent nécessairement de nombreuses réflexions, pour lesquelles toutes les réponses ne sont pas encore apportées : quels seront les impacts dans cette zone, à terme, de la tendance au gigantisme des navires ? Quelles conséquences sur l'organisation et les moyens de secours ? Comment envisager les opérations de sauvetage au milieu d'un champ éolien ? Quelle meilleure répartition spatiale des usages peut-on faire dans un espace saturé et géographiquement limité ? Ces questions font aussi partie du travail quotidien du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord. Son action s'inscrit à la fois dans le temps immédiat et dans le temps long, dans la gestion de crise et dans la prospective, dans la manœuvre tactique et la vision stratégique. La Manche et la mer du Nord sont des espaces qui évoluent. Et ces évolutions, qui sont des atouts indéniables pour notre pays, placent ces mers au cœur des enjeux maritimes de notre époque.

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