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Amélioration de la formation des équipages des navires à passagers
ou
Recommandations après le naufrage du COSTA CONCORDIA.


Références :

Introduction

       Suite aux naufrages ou accidents spectaculaires de quelques navires à passagers (HOFE 1987 – SCANDINAVIAN STAR 1990 - ESTONIA 1994 - JOOLA 2002) et depuis les amendements 95 de STCW, des formations spéciales pour les équipages des navires à passagers ont été introduites dans la Convention et détaillées dans le Code STCW. Ces dispositions ont été reprises dans la réglementation Européenne.

       Il s'agit de former les membres d'équipage des navires à passagers (paquebots et ferries) à gérer les situations d'urgence et plus particulièrement à assister les passagers en cas de crise et notamment en cas d'évacuation du navire…sujet d'actualité n'est-ce-pas ? Tous les armateurs aujourd'hui s'assurent que leurs marins sont au minimum formés conformément à la Convention STCW et d'ailleurs, ils n'ont pas le choix !

       Ces formations sont cependant différentes selon la fonction du marin et ses responsabilités dans la gestion de la situation d'urgence. Il est prévu par exemple que le garçon de cuisine, le maître d'hôtel et l'officier pont ne recevront pas tous la même formation pour cause de responsabilités différentes dans le plan de secours.
Ce sont des formations dites «spéciales navires à passagers»
       L'OMI, toujours pleine de bon sens, se devait de considérer les différents types de navires car en situation d'urgence on ne gère pas les 500 passagers d'un catamaran de 50 mètres de la même manière que les 5000 passagers et 2000 membres d'équipage d'un paquebot de 360 mètres et plus.

La règle V/2 de STCW 2010 définit à présent 4 formations différentes :

Formation N° 1 :
Encadrement des passagers intitulée plus justement «Crowd Management» - gestion de la foule - dans le texte en anglais. Obligatoire pour «tous les officiers et autres membres d'équipage désignés sur les rôles d'appel pour aider les passagers dans des situations d'urgence».

Contenu de la formation :

       Il s'agit d'abord de connaître les engins de sauvetage et le plan de secours, ensuite de connaître la gestion des passagers (donner des ordres, maîtriser la circulation des passagers y compris les personnes à mobilité réduite et à assurer la recherche des passagers dans les cabines). Il s'agit aussi de donner des conseils aux passagers sur leur habillement en cas d'évacuation, de maintenir l'ordre et d'apprendre à éviter la panique ainsi que d'utiliser les listes de passagers et, évidemment, démontrer le capelage correct d'une brassière de sauvetage etc…

       Tout cela parait évident mais ce n'est pas en quelques minutes qu'on explique les méthodes connues pour éviter la panique d'une foule. Tandis que pour l'utilisation de la liste des passagers, il y aurait lieu de préparer ces listes pour chaque moyen d'évacuation. Avec l'informatique aujourd'hui cela est faisable mais évidemment consomme pas mal de papier lorsqu'on effectue 3 changements de passagers par jour. A quand la tablette pour chaque responsable de l'appel des passagers par engin avec en plus une liaison wi-fi permettant de communiquer le nombre de passagers à bord de l'embarcation ou du radeau, nombre que le capitaine se doit de connaître à tout moment dans le cadre des « aides à la décision ».

Durée de la formation N° 1 :

       Cette formation est prévue sur un peu plus de 2 heures dans les cours types de l'OMI et comprend une formation complémentaire à bord du navire au titre de la familiarisation au navire et à ses équipements.

Commentaire : Ceci est insuffisant tant du point de vue du cours théorique que des cours pratiques. Aujourd'hui la simulation se développant, on pourrait faire suffisamment détaillé et réaliste notamment lorsque le navire n'est pas droit. Avec vidéo de simulation et étude sur un plan de navire, cette formation ne peut être inférieure à 3 heures étant entendu que le nombre de stagiaires reste limité à 12. Un travail de simulation, de projection vidéo et l'utilisation d'hologrammes est nécessaire. D'autre part, c'est je crois une évidence, le ou les formateurs doivent être pointus et avoir une expérience suffisante des navires à passagers petits et grands.


       Qui sont ces « membres d'équipage désignés pour aider les passagers » ? Parlons clairement, dans tous les nombreux plans de secours que je connais (y compris les plus récents), les affectations des membres d'équipage pour aider les passagers ne sont pas si détaillées que cela et la notion d'aide aux passagers n'est souvent pas précisée.

       On peut donc penser qu'en plus des officiers/chefs d'équipes, des maîtres et matelots patrons et gabiers d'embarcations ou de MES (marine escape system) - toboggans et chutes - les membres de l'équipage hôtelier participant à l'organisation de l'évacuation sont concernés. A savoir : maîtres d'hôtel, chef de rang, garçons en charge de la gestion des passagers dans les lieux de rassemblement et chargés de les accompagner vers les moyens d'évacuation et ensuite de leur gestion dans les radeaux ou embarcations pendant les phases d'évacuation. C'est à peu près tout l'équipage…. à part peut-être les coiffeuses et le DJ …et encore !

Formation N° 2 :
Formation en matière de sécurité pour le personnel assurant directement un service aux passagers dans les locaux qui leur sont réservés.

       Apparemment il s'agit du personnel assurant les prestations de service comme bar, salon, restaurant, cabines, piscine, salles de jeux, boutiques. Ce personnel est destiné à aider les passagers, il est donc inclus dans le groupe précédent avec des responsabilités plus précises :
  1. Connaissance d'une langue de communication avec les passagers

  2. Commentaires: là, ce n'est pas gagné du tout, «langue de la majorité des passagers pour une traversée donnée». Pour une croisière avec une majorité d'Allemands… on va changer l'équipage et mettre des germanophones ? C'est bien sûr irréalisable en pratique.

  3. Utiliser un minimum de langue anglaise pour communiquer.

  4. Commentaires: Soyons clairs, un anglais minimum est acquis souvent par le personnel hôtelier mais il est souvent vraiment minimum et les mots concernant l'urgence n'étant pas souvent utilisés sont quasiment inconnus de ce personnel… et des passagers d'ailleurs. Beaucoup plus sensée est la formation sur le body-language («langage gestuel» officiellement) - gestes des bras et du corps - pour ne serait-ce que rectifier un capelage de brassière, indiquer la direction des points de rassemblement ou des moyens d'évacuation. C'est élémentaire, mais combien de centres de formation ont ce genre de formateurs qui jouent les «sémaphores» ?

  5. Possibilité de communiquer les consignes de sécurité complètes dans la langue du passager.

  6. Commentaires: Les petits dépliants utilisés sont en général très bien faits… lorsque le commercial ne prend pas le pas sur la sécurité. Il faut aussi avoir en réserve des langues inhabituelles et les tenir à disposition (inclure cela dans le plan de secours par exemple.)

           Evidemment l'idéal serait d'avoir suffisamment d'écrans diffusant en permanence dans tout le navire des consignes de sécurité qui ne concerneraient pas uniquement l'évacuation. On pourrait y adjoindre les consignes incendie ou la signalisation d'un MOB. Mais tout cela est-il commercialement raisonnable ?

  7. Prendre en compte les diffusions à bord.

  8. Commentaires: S'il est hors de question de diffuser des consignes en plus de trois langues, il faudrait que les membres d'équipage soient aptes à interpréter par gestes les consignes diffusées via la diffusion générale. Là encore je ne suis pas sûr que cela soit bien enseigné chez nous pas plus que du côté de Manille.

  9. Démonstration du capelage des brassières
  10. en n'oubliant pas de rappeler d'abord où elles sont placées et ensuite l'embarquement des passagers dans les engins de sauvetage.
    Commentaires: On pense que le capelage est élémentaire mais il faut quand même rappeler que la brassière de base la moins chère est vraiment nulle et que le capelage devrait à nouveau être montré au moins une fois sur les écrans comme on le fait dans l'aviation (même si personne ne regarde plus ces diffusions depuis longtemps.) Les hôtesses de l'air font toujours consciencieusement leur démonstration, même si à aucun moment l'avion ne traverse un océan ou un lac quelconque d'ailleurs. Le passager est captif, c'est donc plus facile et, nom d'un chien, leurs brassières sont quand même bien plus pratiques que les nôtres !

  11. Enfin, on leur apprend à aider les personnes à mobilité réduite !

  12. Commentaires : Bonjour les entraînements à accompagner des grands-mères vers les toboggans et les chutes ou même les embarcations.
En résumé sur cette formation :
       Pas facile tout cela et pour tout dire impossible à vraiment totalement maîtriser. L'aviation utilise beaucoup la simulation avec dessins animés et maintenant des hologrammes… c'est à mon avis la seule solution couplée avec une démonstration d'évacuation réelle pour tous les membres d'équipage …au moins une fois tous les 5 ans.

Formation N° 3 :
       Elle concerne les officiers et les autres membres d'équipage désignés sur le rôle d'appel «pour être responsable de la sécurité des passagers dans les situations d'urgence».

       Ici la traduction de l'anglais n'a pas été heureuse : le texte original précise «having responsibility for the safety of passengers in emergency situations on board» qu'on aurait pu traduire plus exactement par «ayant des responsabilités dans la sécurité des passagers…». Personnellement, je comprends mieux comme cela et cela va faciliter notre recherche. En effet depuis 1995, les armateurs avaient l'habitude de ne former que les officiers «responsables». Pour moi, la dernière traduction est plus explicite et moins restrictive. A peu près tous les maîtres et second-maîtres ou responsables de radeaux ou gabiers d'embarcations ont des responsabilités dans la sécurité des passagers qu'ils vont embarquer et sauver… mais de là en être responsable, il y a un pas quand même.

       Je ne sais pas ce qu'était l'intention de l'OMI à ce sujet, mais on est bien conscient que gérer les passagers et leur comportement en cas de crise n'est pas uniquement de la responsabilité des seuls officiers. En cas de crise tous les membres d'équipage sont concernés et participent à la gestion des conséquences de la crise sur les passagers. A savoir : bonne connaissance du plan de secours pour informer le passager et ainsi tenter de le calmer, donner l'exemple du calme et du professionnalisme, connaître les réactions humaines élémentaires pour aider à la prévention de la panique, utilisation de certains passagers dans la gestion des autres, les techniques de gestion du stress, assurer la communication même si elle est défaillante au niveau du commandement etc…

       Il ne faut pas se voiler la face, cette formation est indispensable pour tout membre d'équipage « utilisé » dans l'évacuation. La formation est pointue peut-être, mais les marins du monde entier sont capables de la suivre j'en suis sûr, et d'ailleurs il n'y a pas d'autre solution. Certains armateurs ont compris cela depuis longtemps et tout l'équipage est formé pour participer à une évacuation. Bravo !

NB : Les formations 2 et 3 doivent être revalidées au moins une fois tous les 5 ans sauf à prouver le maintien de la compétence. En général les administrations de pavillon acceptent qu'un temps de navigation d'au moins un an soit une preuve suffisante. Connaissez-vous beaucoup de garçons de paquebots qui ont sous la main un livret de formation avec le détail d'icelles ? Connaissez-vous beaucoup de compagnies où tout l'équipage repasse régulièrement devant les vidéos correspondantes ?

       Je pense que la revalidation ne doit pas se faire sans preuves formelles et il serait quand même plus simple d'exiger un « rafraîchissement quinquennal » d'une journée par exemple, pour assurer. La formation gestion de crise et comportement humain est une formation pointue et nécessite des formateurs hyper spécialisés, sinon ce n'est que blablabla et l'assoupissement assuré des stagiaires.

       Lorsque les feues ENMM ont lancé cette formation, elles avaient demandé à un psychologue de traiter la partie comportement humain et c'était on ne peut plus intelligent. Malheureusement, je ne suis pas sûr que cela continue et c'est dommage car l'association interactive de deux formateurs expérimentés dans la gestion et le comportement humain en situation de crise c'était presque parfait.

Formation N° 4 :

Cette dernière formation concerne les officiers et matelots des navires rouliers à passagers. Il faut se rappeler que STCW 95 exigeait une formation différente entre les paquebots (STCW V/3) et les ferries (STCW V/2). Aujourd'hui avec STCW 2010, retour à la case départ, la formation est unique avec une partie ne concernant que les équipages des rouliers à passagers.


LEGEND OF THE SEAS
Les paquebots ont aussi des ouvertures de coque de plus en plus nombreuses
         Au début je trouvais ce regroupement intelligent, à présent je trouve que cela a moins de sens et complique la tâche des centres de formation (attestation avec ou sans formation roro ?) les incitant peut-être à bâcler cette dernière formation spécifique. La formation « roro » concerne la gestion des ouvertures de coque à laquelle on a ajouté la manipulation des rampes et car-decks, le transport de marchandises dangereuses, l'assujettissement des véhicules, des notions et calculs de stabilité élémentaires et la gestion de l'atmosphère des garages lors de chargements de véhicules.

       Tout cela est bien mais ne concerne que la prévention. Il n'y a rien au sujet des effets des carènes liquides en cas par exemple d'envahissement et la fermeture des portes étanches.

       Nous venons de voir que la « formation spéciale personnel de navires à passagers » devrait être exigée pour tout l'équipage, mais de là former le barman à fermer les portes-lones, je ne suis pas sûr. Donc j'estime que la réunification des formations paquebots et roros n'a pas été heureuse.

       Finalement on aurait pu garder les formations N° 1, 2 et 3 pour tous et exiger une formation N° 4 pour les équipages de rouliers, et c'est finalement …ce qu'on fait.

En conclusion.

       Accoucher d'une règle qui convienne à tous (rappel: l'OMI est une assemblée de membres qui valident un consensus, souvent, mais le plus petit dénominateur commun, toujours) n'est pas facile mais malgré tout nous avons une formation qui se tient quant à son contenu. Par contre cette formation devrait être étendue à TOUS les membres d'équipage et cela nécessite un nouvel amendement à STCW… dans 5 ans à peu près.

       Je pense que le contenu est suffisant mais c'est la manière dont cette formation est dispensée qui reste à grandement améliorer. L'accident du CONCORDIA a déjà dirigé les spot-lights sur le comportement du personnel et ces formations vont obligatoirement revenir sur le devant de la scène. Les formations proposées sur le net sont parfois étonnantes (rappel : la durée formation préconisée par l'OMI, c'est 3 jours) : la formation passe de 1 jour à 2 jours et demi et la formation « formateur » monte à 1 300 € pour une journée.

       Il faudrait quand même rappeler ici que TOUTES les formations STCW doivent être «approuvées» y compris les familiarisations élémentaires, par l'administration du pavillon et la procédure française m'a toujours étonné : pourquoi cette approbation passe-t-elle par la DIRM alors que cela devrait être de la compétence exclusive de l'Inspection générale de l'enseignement maritime ?

       Pour nous faciliter la vie, il suffirait donc finalement que l'IGEM dans le cadre de son système qualité obligatoire, du Code STCW et de la Directive Européenne citée plus haut, approuve les centres de formation et fournisse la liste aux armateurs. Finalement, si un effort est décidé sur ces formations et que la croisière continue à se développer ainsi, nous avons du pain sur la planche.

Enfin, diminuer de près de moitié le temps imparti à la gestion de crise et comportement humain pour les navires à passagers autres que navires roros est particulièrement étrange. L'actualité du 13 janvier 2012 du côté de l'île GIGLIO nous le prouve.

NB1 : L'OMI nous a promis une révision des «cours types» correspondants. Une étude détaillée de ces documents (1.28 et 1.29) révèle d'une manière surprenante que la formation du personnel des navires roros est plus approfondie que celle du personnel des autres navires à passagers même pour la formation N°3. C'est étrange quand on pense au nombre de passagers impliqués ! D'autre part une partie pratique importante est prévue à bord ou à terre et qui peut atteindre 8 heures pour la formation N°3.

Mon opinion : Si la partie pratique de la formation N°3 est naturellement inclue dans le cours (jeux de rôle par exemple), pour la formation N°4 on ne peut se passer d'une formation à bord navire en exercice ou pas!
Pour la revalidation de cette formation on utilisera le « livret de formation » dont on a déjà parlé.

NB2 : Les premières recommandations provisoires de l'OMI sont vraiment des «mesurettes» indignes de cette prestigieuse organisation (ref : MSC.1 circular 1446 du 1er juin 2012). On espère beaucoup mieux bientôt.

NB3 : La formation STCW V/2 est donc finalement assurée :
  • Sur 3 jours pour le personnel des paquebots et autes navires à passagers (navires rapides non roro, surfeurs/crew boats)
  • Sur 4 jours pour le personnel des navires roros à passagers : ferries, NGV, roros rapides.
Cdt Bertrand APPERRY
AFEXMAR MIIMS
Juillet 2012

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