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Naufrage du COSTA CONCORDIA :
encore une communication de crise du type «tour de Babel».


Introduction

Bibliquement parlant, même si la tour de Babel ou la confusion des langages aurait été un épisode voulu par Dieu pour abaisser l'orgueil des hommes, la gestion de la situation d'urgence lors du naufrage du COSTA CONCORDIA nous a ramené brutalement «sur terre» si je puis m'exprimer ainsi pour un gros navire sur un rocher.

Le problème des langues de l'équipage

Même sur un cargo à équipage réduit et à plus forte raison sur un paquebot avec plus de 1000 personnes à l'équipage, on ne trouve plus que très rarement une langue maternelle commune parmi les membres d'équipage.
Pour y remédier, on a inventé «la langue de travail» et pris des mesures prétendument draconiennes pour que tous les membres d'équipage la parlent suffisamment pour communiquer entre eux et avec les opérateurs transversaux : autorités du pavillon et des ports, affréteurs et clients y compris les passagers et accessoirement en situation d'urgence.

Quelle langue ? Aujourd'hui même chez les Chinois et les Russes, on estime que dans ce métier ô combien international, la langue de travail doit être l'anglais. Nos amis Anglo-saxons ont gagné et c'est irréversible.
Mais où en est-on du niveau d'anglais des marins ? De gros efforts ont été faits pour l'anglais, maritime ou non, de nos équipages et la situation s'améliore doucement mais vraiment doucement. En effet à force de rechercher le moins cher de chez moins cher on ne trouve pas le meilleur de chez meilleur y compris en langue de Shakespeare.
Lors de l'accident du COSTA CONCORDIA, nonobstant les défaillances professionnelles du commandant Francesco SCHETTINO et de ses officiers, le moins qu'on puisse dire est que la gestion des passagers dans la situation d'urgence était proche de la situation des ouvriers de la tour de Babel.
En situation d'urgence, c'est-à-dire en situation de stress, que ce soit pour les membres d'équipage eux-mêmes désignés ou non pour aider les passagers ou les passagers eux-mêmes occupés à sauver leur vie, c'est la langue maternelle qui vient la première, ensuite on traduit !
 
Aussi on voit le problème, lorsque sur un navire à passagers, il y au moins 7 langues maternelles différentes parmi les personnes embarquées (c'est le nombre de langues parlées par les victimes du naufrage).

Nos gros efforts : quels sont ils ?

Cours en anglais dans les écoles marine marchande ou hôtelières, exigences de TOEIC d'un niveau raisonnable, utilisation du SMCP (Standard Maritime Communication Phrases) de l'OMI sont à présent courants et c'est heureux. En effet cela arrive bien tard et nous sommes nombreux depuis bien longtemps à rappeler qu'à part le stage pratique d'anglais de l'autre côté de la Manche, les résultats restent moyens et même trop souvent très moyens à tous les niveaux d'un équipage. En stigmatisant à nouveau la communication avec les passagers durant la crise, la «tour de Babel» du vendredi 13 janvier 2012 du côté de l'île de Giglio a encore une fois amené l'OMI à s'inquiéter du niveau d'anglais du personnel des navires à passagers et pas uniquement pour servir ou vendre quelque chose à bord même si cela fait partie du jeu.
Dans le réagencement des formations de ce personnel, nous avons détecté des exigences qui pourraient, si elles étaient vraiment observées par la CLIA, améliorer grandement ce «service plus» aux passagers en cas de situation d'urgence.

Anciennes et nouvelles exigences subtiles de STCW V/2

Ces formations spéciales sont comme vous le savez des compléments aux connaissances «sécurité et sûreté» classiques. Dans la connaissance des langues utilisées à bord (langue de travail et langue de la majorité des passagers) il y a quelques subtilités qui ne vont pas être très faciles à combler.
Vous avez ci-dessus le contenu des différentes formations minimum obligatoires avant le 1er juillet 2018. Certaines exigences nouvelles et anciennes devraient vous interpeler dès à présent sur la communication en cas d'urgence à bord

Textes nouveaux et anciens

STCW 2-1 Pour tous les membres du personnel (capitaines, officiers, matelots et autre personnel) servant à bord des navires à passagers: familiarisation aux situations d'urgence à bord des navires à passagers.
Contribuer à l'efficacité de la communication avec les passagers dans une situation d'urgence :
  • Communiquer dans la langue de travail du navire
  • Comprendre l'une des langues dans lesquelles les annonces d'urgence peuvent être diffusées à bord du navire lors d'une situation d'urgence ou d'un exercice
STCW V/2-2 Personnel servant dans les locaux passagers (i.e. personnel hôtelier): Aptitude à communiquer avec les passagers dans une situation d'urgence compte tenu des considérations suivantes :
  • 1.1- la ou les langues utilisées devraient être celles de la majorité des passagers transportés pour une traversée donnée
  • 1.4- La mesure dans laquelle des consignes de sécurité complètes ont été fournies aux passagers dans leur langue maternelle
  • 1.5- Les langues dans lesquelles les annonces d'urgence peuvent être diffusées lors des situations d'urgence ou d'un exercice pour donner des directives essentielles aux passagers et faciliter l'assistance prêtée aux passagers par les membres d'équipage

Bilan actuel de ces modifications

Si tout cela est très sensé, la réalisation est finalement très difficile. En effet, pour un équipage entièrement bilingue sur une route anglais - «autre langue unique» cela devrait convenir. Pour les autres cela est beaucoup plus aléatoire.
Après les nombreux accidents de navires à passagers, les formations nouvelles ou anciennes (STCW 2010) se sont adaptées. Reste comme toujours à assurer les formations et surtout à s'assurer que les compétences requises sont acquises, et là, ce n'est pas évident surtout que la formation continue, spécificité des amendements de Manille de 2010, se rappelle à nous et particulièrement en ce moment. (Date limite d'application de ces amendements.)

Revalidation des formations spéciales navires à passagers

Si on peut admettre que certaines formations et notamment celles de familiarisation restent valables pendant toute la vie du marin, pour certaines d'entre elles plus pointues cela n'est plus pareil.
Pour le marin «spécialisé navires à passagers», la revalidation quinquennale est nécessaire pour 3 des 5 formations dont nous parlons : encadrement de passagers, gestion de crise et facteur humain, formation rouliers à passagers.
Beaucoup plus facile à dire qu'à faire lorsque l'on sait que même les grands groupes de croisières ne s'en soucient guère en prétextant que la pratique est suffisante pour maintenir les compétences. Et pour le niveau d'anglais, même chez les officiers, je préfère ne pas en parler car on risquerait de se mettre à pleurer ensemble.

Vous avez deviné : exercices et anglais en situation d'urgence sont le talon d'Achille de la formation continue.

Tous les marins «navires à passagers» du monde connaissent les exercices hebdomadaires mais combien y apprennent quelque chose et surtout y entretiennent leurs connaissances ?
Depuis longtemps sous certains pavillons les «passeports de formation sécurité et sûreté» prouvent cette formation continue du marin sans pour autant garantir le niveau de connaissance. En effet il n'y a jamais d'évaluation individuelle et la vérification des connaissances de la langue de travail n'y figure jamais.
Quelles solutions alors ?

Propositions

Conclusion

Si vous estimez que c'est trop et que finalement il n'y a pas de solution à la tour de Babel, je vous conseille d'en informer vos passagers potentiels en vous basant sur le syndrome des «Shadoks» : "S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème"...
Ensuite, si vous le pouvez, insistez sur des informations avec des petits dépliants simples que vous remettrez à chaque passager (attention pas trop de publicité, sinon le dépliant ira directement à la poubelle). Plus cher mais bien fait souvent.
Utilisez au maximum internet lorsque vous confirmerez au passager son voyage pour lui transmettre aussi les consignes d'urgence et ne me dites pas que c'est anti-commercial, les 27 victimes du CONCORDIA se retourneront dans leur tombe.
Mai 2017
Cdt Bertrand APPERRY
AFEXMAR, AFCAN
Ancien capitaine de navires à passagers.


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