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A propos de l'article du professeur JM AUZON
«Faut-il changer la règle 19 ?»


 

Le commandant J-F. Le Gall, pilote hauturier, nous fait part de ses réflexions sur la règle 19 du Règlement pour prévenir les abordages en mer.


         La définition de la « faible visibilité » de la règle 3.1 ne couvre pas tous les cas où la visibilité est réduite. La démonstration est très claire. Cette notion de visibilité réduite a t'elle encore un intérêt.

       La puissance lumineuse règlementaire et la taille des marques de jour sont manifestement trop faibles. Comment distinguer des feux avec un arrière-plan lumineux, ce qui est largement le cas à l'approche des ports.

       La règle 17 n'est pas assez précise. Elle donne trop de place à l'appréciation du chef de quart. De nombreux pilotes hauturiers, dont je fais partie, développent une stratégie pour éviter les situations rapprochées bien en amont de la visibilité oculaire.

       La veille auditive comme la diffusion des signaux phoniques n'ont plus beaucoup de réalité sur de nombreux navires. Toutes les passerelles des gros PC de la société Evergreen, pour ne citer qu'elle, sont fermées. L'armement des gros navires ainsi que la gestion des temps de repos ne permettent pas la mise en place d'une veille auditive effective.

       La proposition du professeur Auzon d'étendre le champ d'application de la règle 19, modifiée pour la rendre moins elliptique et plus actuelle à tous les cas de visibilité et à tous les navires, est tout à fait intéressante, elle a le mérite de rapprocher les règles avec visibilité et les règles sans visibilité. Mes nombreuses traversées en Manche et mer du Nord ne m'ont pas permis de distinguer une « attitude » différente des navires avec ou sans visibilité.

       Cette défiance dans les règles au sujet des moyens radar, et par extension à l'AIS et la carte électronique qui sont de plus en plus fiables et performants, est tout à fait anachronique. Ces outils sont absolument indispensables quelles que soient les conditions de visibilité.

       Les avions de ligne atterrissent aux instruments depuis longtemps en toute sécurité (ILS). En 2006 le Jean LD que je commandais a été piégé par une nappe de brouillard épais peu avant le passage des jetées du port de Rotterdam. Nous avions dépassé le point de non-retour. Nous avons donc décidé avec le pilote de progresser et d'accoster « aux instruments ». Nous avions à notre disposition la cartographie et le système DGPS du pilotage de Rotterdam parfaitement initialisé ainsi que de 2 radars en parfait état de marche. Les manœuvres d'accostage ont commencé « aux instruments » et nous n'avons aperçu nettement le quai qu'à 5/10 mètres de celui-ci.

       Je trouve que la proposition du professeur est extrêmement séduisante. A priori j'y adhère complètement. Je n'ai pas encore trouvé les situations où elle serait inopérante.

       Les voiliers actuels sont très manœuvrants. Quant à ceux du passé, les quelques navires école restant, ils pourraient avoir la marque navire à capacité de manœuvre restreinte. A propos des voiliers, même si l'installation d'un radar est hors de proportion, un équipement AIS leurs permet de voir et d'être vus, même par mauvais temps, quand les retours de mer saturent les écrans. Le prix d'un équipement AIS est tout à fait raisonnable.

       Concernant les navires en train de pêcher : il est vrai qu'il y a un manque de sérieux manifeste de la part de certains pêcheurs concernant l'utilisation de leurs feux et marques de pêche. Heureusement nous avons l'AIS qui nous permet de les identifier. Les navires de pêche sont un vrai souci pour tous les officiers de quart. Notre principale difficulté est de ne pas pouvoir prévoir leurs route et vitesse. Le seul moyen que nous ayons trouvé est de les contacter pour avoir une confirmation de leurs intentions. La langue française doit être utilisée avec les pêcheurs français tandis que les Néerlandais, les Belges, et les Allemands peuvent être contactés en anglais. Le fait que les pêcheurs français ne comprennent pas l'anglais donne la limite du concept.

       Les communications VHF ne sont pas encore, selon les règles, un moyen d'éviter une collision.

       L'interdiction de pêcher dans les voies d'un dispositif de séparation de trafic ne me semble pas être la solution. Il y a beaucoup trop d'emplois liés à la pêche. Selon une étude récente un emploi sur un chalutier génère 4/5 emplois à terre.

      
Ma suggestion :
       La pêche et le chalutage sont possibles dans les voies de circulation à condition de suivre la direction générale du trafic en gardant autant que possible son cap et sa vitesse. L'utilisation d'un flash sur tout l'horizon permettra au navire de pêche de signaler un relevage de chalut et/ou une variation de cap et/ou de vitesse. Il pourrait être possible de déclencher un signal visible sur les radars des navires à proximité (un signal du genre SART). Pour les navires de pêche traversant en train de pêcher, ils doivent le faire sans changer de cap et de vitesse avec un angle aussi proche que possible de 90° tant qu'ils sont dans la voie. Les changements de direction et de vitesse doivent avoir lieu dans la zone de séparation.

       Nous aimons beaucoup les patrons qui font précéder le nom de leur navire sur l'AIS du suffixe F/V, exemple : F/V Bara Pemdez.

       Quand vous conduisez un porte-conteneurs de plus de 10 000 EVP à 23 ou 25 nœuds il est indispensable de « pré-voir » au sens littéral du terme. Tous les « targets » doivent être analysés pour manœuvrer le plus tôt possible et éviter toutes les situations rapprochées. Dans ce cadre il n'y a pas de différence entre une situation avec visibilité et une situation sans visibilité. Dans la plupart des cas, les manœuvres sont décidées bien avant que nous ayons distingué avec les yeux le navire qui nous préoccupe.

       En tout état de cause il est important de mettre les nouveaux règlements en rapport avec les moyens de détection (de pré-vision) à notre disposition. Tâche ardue surtout pour une génération qui a transformé les passerelles en fabrique d'évidences (il y a des boites noires sur les navires qui font très bien le boulot) avec remplissage de « check-lists » de tout ordre transformant nos officiers en paperassiers. J'ai même vu à bord d'un navire une check-list de check-lists. Les check-lists liées strictement à la conduite du navire ont leur place en passerelle pendant la navigation à l'exception de toutes les autres.

       Vous savez tous que le pilotage d'un gros navire en Manche demande une attention constante pour interpréter les renseignements du radar, de l'AIS, et de votre position sur la carte électronique sans oublier votre vision oculaire de la situation. Je trouve notamment inutile voire dangereux de reporter sur une carte papier un point tous les quarts d'heure à l'approche des ports. Nous avons assez de moyens fiables pour vérifier notre position sans quitter notre poste de travail.

Cdt J-F Le Gall


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