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Criminalisation sur la passerelle
Plus qu'injuste, c'est dangereux.

 

  Traduction libre par le Cdt J.P. Dalby d'un article Robert Frump paru dans SIDELIGHTS vol 37  



       La sentence du Capitaine Wolfgang Schröder était en attente au moment de la mise sous presse. S'il reçoit la peine de prison la plus légère du juge, la signification pour la sécurité et la justice maritime ce n'est pas une situation "meilleure ou pire". C'est juste la question de savoir jusqu'où les deux s'enfoncent. Il en est ainsi pour une simple raison. La criminalisation des accidents maritimes et la poursuite des capitaines sont non seulement injustes, elles cachent les vraies raisons des problèmes de sécurité maritime et donnent au public une fausse impression de progrès et d'arriver à bonne fin.

       Les citoyens de Mobile sont peut-être satisfaits d'avoir le Capitaine Schröder en prison, les citoyens Espagnols sont peut-être satisfaits que le Capitaine Apostolos Mangouras du Prestige ait passé des mois en prison.

       Les deux sanctions aident aussi Mobile, l'Espagne et le "système" a éviter de se poser des questions. Si les propulseurs d'étrave tombent en panne, comme cela arrive parfois quelle que soit leur alimentation, des remorqueurs en attente pourraient être de rigueur à Mobile. Si autoriser le Prestige à trouver refuge avait réduit cette pollution tragique, peut être que l'Espagne l'aurait autorisé.

       Et si le monde en général demande plus de sécurité et moins de pollutions, il devrait peut être donner plus de pouvoir et de liberté aux capitaines – qui ont une tendance innée à la sécurité – et moins aux armateurs et aux chargeurs et aux procureurs trop zélés qui utilisent des lois obscures du 19° siècle pour étayer une affaire trop faible. Ce sont des développements constructifs qui auraient pu provenir de ces tragédies maritimes.

       A la place il n'y a ni justice ni amélioration, rien que le blâme et la "prise et la condamnation" des capitaines.

       Cela est une image de ce que, dans son livre "Normal Accidents", le Professeur Charles Perrow, de Yale, appelle "un système qui induit des erreurs". La plupart des autres grands systèmes de transport - transport aérien par exemple – ont des systèmes qui tendent à réduire l'erreur dans le temps ou à les aplanir. Ils étudient ce qui n'a pas marché dans le système et corrigent.

       Mais le système maritime, comme l'écrit le Dr. Perrow, a une tendance excessive à considérer "l'erreur humaine" comme la cause des accidents. Au même moment, les dépenses en capital dans les nouvelles technologies et des navires plus grands génère "une pression de productivité" sur les Capitaines qui peuvent être remplacés sur un coup de tête s'ils ne tiennent pas les promesses d'économies espérées à la suite des dépenses engagées. L'industrie a des règles qui semblent préférer évaluer la responsabilité après un accident plutôt que le prévenir. Les sanctions civiles et pénales sont relativement rares et modérées et ce système "basé sur la responsabilité" marche assez bien.

       Et il y a un nombre si important de lois et règlements que l'on peut faire porter la responsabilité de n'importe quoi par n'importe qui. Si, par exemple, le Capitaine Schröder avait utilisé le diesel alternateur pour alimenter le propulseur d'étrave, au lieu du générateur attelé, un avocat pointilleux aurait pu certainement le poursuivre pour cela si le diesel était tombé en avarie (comme cela aurait aussi certainement pu se produire)

       Dominic A. Calicchio, expert sécurité des Coast Guards et ancien Capitaine, a résumé les choses ainsi : " Ils essaient de rendre les choses si sûres que cela en est dangereux"

       Ce qu'il veut dire, c'est que ceux qui éditent les règles et font les lois ont créé tous ces règlements sans s'intéresser au système réel et le résultat est que l'officier du bord a très peu de chance de suivre tous les règlements.

       Cela n'est pas neuf dans le monde maritime. Plus de cent ans auparavant, C.M Norwood, membre du Parlement Britannique, avait dit très pince-sans-rire "Je peux vous assurer qu'à bord de nos navires, nous avons sûrement plus besoin d'un avocat que d'un médecin. Nous effectuons tant d'actes professionnels qu'il est impossible pour tout capitaine de savoir comment agir pour rester dans le cadre de la loi."

       Dominic Calicchio dirait simplement : " Ils essaient d'empêcher les gens de penser, de sorte que les gens ne peuvent faire leur travail en utilisant le simple bon sens"

       Arrive maintenant la criminalisation de ces règles et les choses se gâtent pour les Capitaines – et pour la sécurité de tous. Criminaliser les procédures opérationnelles peut paralyser une passerelle. Pire, cela peut amener des officiers compétents à quitter la navigation et décourager des jeunes d'entrer dans la marine marchande.

       La vérité est que les accidents maritimes se produisent souvent non à cause de capitaines criminels inconscients, mais parce que les navires modernes sont des machines extraordinairement complexes, qui voguent sur des océans avec leurs marées, leurs courants, leurs vagues et leur météo extrêmement compliqués. "La pression de productivité" signifie que les Capitaines doivent essayer de naviguer plus vite, plus directement, plus longtemps, afin de conserver leur travail. Les Capitaines de navires, dans le monde moderne, sont devenus des gestionnaires intermédiaires, et les opérateurs et les armateurs en sont arrivés à compter sur une gestion théorique et non sur la réalité.

       Les équations qui définissent le fonctionnement des choses sont gentiment expliquées sur les feuilles de calcul qui indiquent X dépenses en capital égalent Y rentrées et Z profits. Mais les marées, les vents, les vagues et les courants ne lisent pas les feuilles de calcul. Seuls les Capitaines expérimentés peuvent lire la marée, le vent et les vagues.

       Puis il y a la coupure. Poursuivre les capitaines pour les fautes (péchés) d'un mauvais système rend ce système pire. Une vraie réforme arrivera lorsque quelque procureur ou législateur mettra un frein aux feuilles de calcul, pas aux capitaines. A Mobile, la compagnie gérant le navire a payé une amende criminelle de 350.000$ - peut-être une semaine de coût opérationnel d'un navire moyen de nos jours. Sans aucun doute la compagnie a payé un règlement assez substantiel – à mon point de vue, pas énorme et aussi couvert par l'assurance responsabilité – à la famille de l'ouvrier qui a été tué.

       Ce que le public ne comprend pas est que ce ne sont que des frais opérationnels pour la compagnie, pas quelque chose qui modifie les feuilles de calcul, mais qui y est intégré. Cela ne change réellement rien, peut être que cela prouve que de tels risques sont acceptables. Je n'ai pas l'intention de diaboliser la compagnie qui parait avoir essayé de faire ce qu'il fallait dans l'affaire de Mobile, mais pour illustrer l'iniquité et l'efficacité du système actuel.

       Prendre un million de dollars ou presque à une compagnie lui fait se gratter la tête brièvement et ne change rien du tout au système.

       Prendre une année de la vie de Wolfgang Schröder? Ou dix ans ? Cela n'est pas "en l'air". C'est tout. C'est sa vie. Et cela ne change rien au système sauf à chasser de la passerelle des hommes et femmes compétents.


Robert Frump, qui a tenu la rubrique maritime au "Philadelphia Inquirer", est l'auteur de "Until the Seas Shall Free Them", l'histoire du naufrage du SS Marine Electric. On peut le joindre à rrfrump@aol.com



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