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Le "near-miss" du Viking Sky


Photo prise depuis la terre proche (capture d'écran)

Les faits :

Le 23 mars 2019, à 14 h, heure locale, le centre de sauvetage côtier norvégien a reçu un appel de détresse par le Service national de secours (HRS) de Norvège. Le paquebot Viking Sky était sur le point de s'échouer sur la côte rocheuse près de Hustadvika après l'arrêt intempestif quasiment simultané de ses 4 générateurs électriques principaux. Le navire était en route de Tromsø à Stavanger pour une croisière de 12 jours qui a débuté à Bergen et devait se terminer à Tilbury, au Royaume-Uni. Il y a un total de 1 373 passagers et membres d'équipage à bord.
Le centre de sauvetage norvégien a répondu en envoyant six équipages d'hélicoptères depuis ses bases de Florø, Heidrun, Statfjord et Sola et le centre d'opérations de Stavanger. Les équipages comprenaient 12 pilotes, six opérateurs de treuils, sept nageurs sauveteurs, un opérateur de systèmes et deux mécaniciens d'assistance au sol.
Quatre hélicoptères du CCH vont donc se diriger vers le navire : deux S-92 tout temps configurés pour SAR et deux AS 332. Deux autres S-92 ont également été utilisés, l'un pour le transport des équipages, l'autre à Brønnøysund pour couvrir un S-92 expédié de Heidrun. À 14 h 30, le premier hélicoptère du CCH, un AS332L1 sous contrat avec le ministère norvégien de la Justice, a commencé à hélitreuiller les blessés. Un deuxième AS322L de Heidrun est arrivé sur les lieux peu après. Quelques 15 à 20 passagers ont été évacués du navire à chaque rotation. Il est rapidement devenu évident que davantage d'hélicoptères pourraient être nécessaires et le centre d'opérations du CHC a lancé un appel pour que deux autres hélicoptères SAR soient envoyés de Kristiansund. Depuis le rivage, un Airbus EC145 Norsk Luftambulanse a transporté les blessés vers des hôpitaux de la région.

Les hélicoptères ont donc hélitreuillé du Viking Sky au total 479 passagers en 18 heures, dans des conditions difficiles : navire mouillé, vent debout, roulant bord sur bord avec des vents jusqu'à 45 nœuds et des vagues de plus de 50 pieds.

L'opération de sauvetage du Viking Sky rappelle celle du navire à passagers grec Oceanos qui avait perdu sa propulsion dans des vents de 40 nœuds et une mer de 30 pieds au large de Coffee Bay, le long des côtes sud-africaines en août 1991. Des hélicoptères, dont 13 Pumas des forces de défense sud-africaines, avaient hélitreuillé 225 passagers après que le commandant et la plupart des membres d'équipage aient abandonné le navire.

Hélitreuillage sur Viking Sky (capture d'écran)

Le Viking Sky

Construit en 2017, ce navire de croisière est conforme aux dernières réglementations de la SOLAS, il est conforme au "Safe return to port". Cependant, incapable de remettre ses moteurs en route et dérivant vers la côte malgré le mouillage d'une ancre, une évacuation par hélicoptère est décidée par le capitaine et les secours, faute de pouvoir utiliser les embarcations du fait du trop mauvais temps. Au bout de 24 heures seulement, le navire reprend partiellement le contrôle de ses moteurs et rejoint un port refuge sous la surveillance d'un (petit) remorqueur. Les hélitreuillages sont alors stoppés.

Presqu'un an après, le rapport de l'enquête sur ce near-miss n'est pas encore publié sur le site de l'OMI. Quelques questions se posent déjà:
  • Est-ce un échec du dispositif "Safe return to port" ?
  • La maintenance était apparemment sous-traitée, pourquoi le niveau d'huile des carters des 4 groupes diesels était-il largement en dessous du minimum requis. Serait-ce un défaut de maintenance ?
  • C'est un navire neuf, sans plateforme d'appontage. Seul l'hélitreuillage était prévu.
  • Malgré tout, c'est un exploit pour les 6 hélicoptères. Evacuer près de 500 personnes une à une dans ces conditions, c'est exceptionnel, il faut le reconnaître.
  • Peut-on envisager cela dans les études de risques et revoir en conséquence les aires d'appontage ou hélitreuillage ?
  • On attend des recommandations qui ne vont pas être faciles à formuler selon la méthode classique du consensus.
Ce genre d'évacuation des passagers, un à un, peut-il raisonnablement être envisagé dans les procédures pour les capitaines de navires à passagers?

Il a donc fallu 20 heures pour hélitreuiller près de 500 personnes en commençant par les blessés et il restait encore 800 personnes à bord ! 48 heures auraient donc été nécessaires pour évacuer la totalité d'un navire de taille moyenne. C'est déjà long, très long même. Combien de temps faudrait-il pour évacuer les 9 000 personnes (passagers et équipage) d'Oasis of the Seas ?
Dans un système de management moderne, il semblerait que l'on doive analyser tous les risques et tenter de les diminuer autant que possible (ALARP : as low as reasonably possible). A bord d'un navire à passagers confronté à un péril imminent, le capitaine, après concertation avec les autorités de sauvetage (le SAR est depuis peu en place partout dans le monde) peut décider d'évacuer les passagers par hélitreuillage et ensuite les membres d'équipage pour les aider à sauver leur vie : évacuer d'accord mais comment ? En abandonnant le navire ensuite ?

Utiliser les embarcations classiques ?

Faire embarquer en pleine tempête des centaines de passagers majoritairement du 3e âge sur des embarcations si petites, c'est ridicule. vous allez avoir beaucoup de mal à le faire admettre aux passagers et ensuite à les pousser vers les embarcations de sauvetage. Seront-ils sauvés pour autant ?
Tous les autres navires à passagers dans la zone, ferries et paquebots, étaient restés à quai ce jour-là. Malgré l'erreur apparente d'appareiller par ce temps-là, le capitaine du Viking Sky a certainement bien fait de choisir l'évacuation de ses passagers par des hélicoptères. Il a eu de la chance. Il y en a de nombreux dans la région (champs pétroliers/gaziers), et par la suite il a eu à nouveau beaucoup de chance de pouvoir retrouver ses moteurs suite à un appoint d'huile tout simplement.
 


Les dispositions possibles pour une évacuation par hélicoptères

SOLAS exige une zone d'hélitreuillage au minimum pour chaque navire à passagers, et si possible une zone d'appontage pour évacuation sanitaire. Des zones d'hélitreuillage sont visibles mais pas de plateforme d'appontage pour hélicoptères.
La zone d'hélitreuillage est placée parfois sur l'avant comme sur le Viking Sky. Mais étant donné que ce jour-là le navire était mouillé et le nez au vent, les hélitreuillages ont été effectués à partir du pont passerelle bâbord et tribord, beaucoup plus à l'abri, mais dans un espace pas très bien adapté.
 


A bord des navires à passagers, on fait des exercices
  1. Présentation presque classique comme celle-ci :
    Le navire est à 20 nds par beau temps et tient son cap (demande expresse du pilote de l'hélicoptère). L'équipage de l'hélicoptère et parfois des volontaires du bord sont treuillés rapidement. Cet exercice était consenti par la compagnie pour, à l'origine, entraîner les sauveteurs et en même temps entraîner les équipages à une EVASAN. On enregistrait normalement cet exercice dans le cadre de la formation continue du SMS.
    Nota : l'hélideck supporte 4 tonnes maximum (petit hélicoptère seulement) car le pont est en aluminium et en dessous, c'est le BAR.

  1. Un jour, après entente directe entre le commandant et le pilote de l'hélico, un autre essai remarquable a été effectué en vue de prouver l'utilité de la plateforme d'appontage :



les roues touchent
    Le gros hélicoptère SS90, du même type que ceux utilisés pour le Viking Sky, reste en sustentation au plus près du pont. Les roues affleurent le pont en aluminium permettant à une douzaine de personnes bien portantes, aidés du treuilliste, de monter à bord en moins d'une minute. Un pilote de grande classe qui va les déposer ensuite sur un autre ferry proche, envoyé en secours et disposant d'une plateforme équivalente par exemple. Tout le monde sera peut-être évacué en peu de temps en cas d'accords locaux de sauvetage.
    S'il fait mauvais temps et que le navire roule bord sur bord, cette manœuvre sera beaucoup plus difficile, sans pour autant peut-être devoir hélitreuiller sur une altitude de 50 mètres environ comme pour le Viking Sky. Les conditions de vent et la stabilité de plateforme sont extrêmement importantes. Pour l'hélicoptère, le positionnement idéal du navire est le nez dans le vent. En ce qui concerne le Viking Sky qui était mouillé et sans moyen de manœuvre, cela a été sa position naturelle pendant les 20 heures d'hélitreuillage.

  1. Evolution
    Les plateformes aptes à recevoir de tels gros hélicoptères commencent à être installées sur les navires à passagers : le M/V Color Hybrid, qui vient d'être livré par le chantier ULSTEIN en 2019, possède une plateforme pour 15,6 tonnes.
    Pour les futurs paquebots on pourrait imaginer une aire de jeux facilement démontable ou escamotable qui deviendrait une plateforme hélicoptère réglementaire.

Rapport provisoire publié le 12 novembre 2019

Les Norvégiens ont publié un rapport provisoire qui confirme les premiers doutes : les niveaux d'huile des groupes électrogènes principaux n'étaient qu'à 28 et 40% au lieu des 70% recommandés par le constructeur des moteurs MAN, ce qui est impensable.
Ce rapport provisoire fait mention du Technical Manager (Wilhelmsen Ship Management NORWAY AS) qui semblait donc être par délégation responsable de la conduite et de la maintenance de la propulsion (tel que prévu dans le chapitre correspondant du SMS de la compagnie). La responsabilité du contrôle de cette délégation technique restant dans les mains de la compagnie opératrice Viking Ocean Cruises AS (ISM code §12.2).
On ne sait malheureusement pas qui a délivré le DOC à cette compagnie et encore moins le SMC du Viking Sky : l'administration norvégienne ou la classe ? (Lloyd's Register en l'occurrence) mais visiblement la partie maintenance et détection des éléments ou systèmes critiques et les mesures correspondantes de diminution des risques n'ont pas été suffisantes.
La remise en route des groupes électrogènes principaux a été assez rapide, en revanche, l'équilibrage manuel des charges a été très laborieux. C'est certainement un problème à résoudre sur les autres navires de ce type déjà construits ou en cours de construction chez Fincantieri.
En ce qui concerne l'application effective du code ISM, en raison de la cause principale du near-miss, le pavillon aurait déjà dû réagir avec une suspension du DOC pour la compagnie, car le SMS approuvé est certainement insuffisant. Donc suspension de tous les paquebots en service de cette compagnie et ce navire est le 3e de sa classe.
Même intérimaire, le rapport fait de sérieuses recommandations : suivre les recommandations du constructeur des moteurs et prendre en compte le roulis possible dans de telles eaux .
Il y a peu d'informations sur le comportement du capitaine, traditionnel bouc émissaire :
  • il a appareillé alors que les autres paquebots ou ferries dans la région sont restés à quai.
  • il a eu raison de lancer le « may day » et de rassembler les passagers en ce sens.
  • il a eu raison d'accepter de commencer l'évacuation des passagers par hélitreuillage en maintenant autant que possible son navire le nez dans le vent.
Il est étonnant de voir un tel laxisme dans la maintenance en 2019.

Cependant, les mesures déjà proposées pourraient être listées différemment, peut-être par ordre d'urgence :
  • Suspension du DOC de la compagnie depuis l'incident, beaucoup de pavillons n'hésitent pas à suspendre un DOC aujourd'hui, pour beaucoup moins que cela.
  • Revue générale de la compétence ISM des certificateurs tous pavillons confondus. Il ne s'est pas passé grand-chose après le naufrage du Costa Concordia, uniquement la formation élémentaire de gestion de crise de tous les membres de l'équipage et des nouvelles normes de stabilité et de compartimentage qui viendront en application en 2020 (soit 8 ans après l'accident).
  • Révision sérieuse du SMS de « Viking Cruises » et nouvel audit de certification par un personnel compétent de l'administration norvégienne.
  • Réflexion approfondie à l'OMI sur la réalité du « safe return to port ».
  • Revoir les caractéristiques des ancres, car il est prouvé qu'elles n'ont pas servi à grand-chose.
  • Réfléchir à l'éternel problème de l'évacuation d'un navire et notamment par très mauvais temps.
  • Pour les compagnies, par le directeur général lui-même, donner des instructions précises aux capitaines sur les décisions à prendre en cas de très mauvais temps.
  • Revoir toutes les dérogations accordées à ces navires : plateforme hélicoptère et capacités des embarcations par exemple.

En conclusion

Le rapport complet sur cet incident se fait attendre. Est-ce l'échec du « Safe return to port », et que va-t-on recommander de plus cette fois-ci ?
  • La probable défaillance du sous-traitant est inquiétante surtout compte tenu de sa réputation, une des meilleures agences de ship management sur le marché. La réaction classique pourrait être qu'on ne peut plus faire confiance à personne aujourd'hui. Donc en première urgence, armateurs ! reprenez directement la maintenance ou alors contrôlez mieux vos sous-traitants, vos auditeurs internes sont là pour cela.
  • Entreprendre en 2019 une croisière sur un navire de prestige avec plus de mille personnes à bord en plein hiver nordique avec moins de 40% d'huile dans les carters des groupes électrogènes principaux et avec un équipage technique breveté STCW, est inacceptable :
    • Formation inadéquate peut-être des officiers mécaniciens, alors que tous les centres de formation aujourd'hui sont sur la liste blanche OMI.
    • STCW 2010 lui-même périmé ? Centre de formation factice ? Crewing-agent et équipage à coût réduit ou erreur de programmation de l'ordinateur de répartition des charges entre les groupes électrogènes principaux.
Tandis qu'on tente de nous faire croire que le navire autonome lui, sera beaucoup plus sûr car il n'aura pas ce boulet qu'est le facteur humain, dans cet avenir ultra-connecté, il n'est pas sûr que la recherche systématique du coût le plus réduit n'apporte pas de tels « near-miss » sur les navires autonomes (MASS) qui alors risqueraient de se transformer en catastrophes tout court.

Enfin, pour terminer, la demande actuelle des armateurs (ICS) à l'OMI est de revoir la convention et le contenu du code STCW de 2010 pour l'adapter aux besoins de 2020. Même si le code STCW et les cours-types sont toujours le minimum, s'en contenter serait pratiquement suicidaire avec la rapidité des changements actuels dans la propulsion ou la conduite.

Etude revue en février 2020
Cdt Bertrand APPERRY
Expert maritime AFEXMAR/IIMS spécialisé ISM/ISPS
bertrand.apperry@orange.fr
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