Retour au menu
Retour au menu
Perte de l'«El Faro»



       Le cargo porte-conteneurs El Faro était un navire pavillon US, 31 515 gt, 241 m de long, construit en 1975, navire à vapeur, vitesse 20 nds, naviguant sous le régime Jones Act, armateur Sea Star Line, exploitant TOTE Services, en route de Jacksonville (Floride) à San Juan (Porto Rico) (ligne régulière) avec un chargement de véhicules et conteneurs, il a fait naufrage le 1er octobre 2015, vers 07h15 (Heure Est USA) à environ 36 milles de Acklins and Crooked Islands. Aucun rescapé, 28 hommes d'équipage Américains et 5 ouvriers Polonais. Naufrage d'un navire US le plus important depuis 30 ans, ayant suscité des réactions dans la population (il y a eu un appel à la charité publique), ainsi qu'une intervention du Président.

       Le 30 septembre, la tempête Joaquin a été déclarée «hurricane» puis rapidement «major hurricane» (vents supérieurs à 110 nds). Dans l'après-midi du 30 septembre, le navire s'est écarté de la route prévue, mais piégé par la ligne d'iles Bahamas –Crooked Islands, il se trouvait à 21h00 à 200 milles du cyclone, faisant route à une vitesse d'environ 20 nds. Ayant beaucoup ralenti, il était à environ 50 milles le 1er octobre à 02h00. Mais la trajectoire du cyclone ayant brusquement changé à son plus fort, il s'est trouvé au mauvais endroit à tel point que des dépêches de presse ont parlé de « collision course ».

       Le capitaine, à 07h00, a pris contact avec la compagnie (DPA), pour signaler « a marine emergency », il a indiqué « a hull breach, a scuttle down open, water in hold n°3, lost main propulsion » et une gîte d'env. 15°. Puis, sans autre contact, les USCG ont reçu les alertes électroniques de détresse, SSAS (Ship's security alert system), l'alerte Inmarsat-C, puis le signal de l'EPIRB (Emergency position indicating radio beacon), ce dernier à 07h17. Le naufrage apparaît comme très rapide, il se trouvait alors à env. 20 milles du centre du cyclone.

       Il y a eu après coup, c'est facile bien entendu, des interventions « d'experts » expliquant qu'ils auraient fait mieux en indiquant en particulier, que le même navire sur le même trafic, avait, le 25 août, pris une route passant au Sud des Bahamas à l'approche de la tempête Erika, ou bien qu'il aurait pu passer dans le « hole in the wall » au Nord des Bahamas. Mais le changement de trajectoire de l'ouragan Joaquin n'était pas vraiment prévisible.

       Les recherches d'éventuels rescapés ont cessé le 8 octobre. Il a été retrouvé un cadavre en combinaison de survie, une embarcation de sauvetage endommagée et deux radeaux eux aussi endommagés, puis le 5 novembre, des débris et une tache d'huile".

       Le 6 octobre, l'US Navy, a reçu mission de localiser l'épave (que l'on pensait à près de 4 000 m de fond), de la « documenter » et de récupérer le VDR, sous l'autorité du NTSB (National transport safety board) en collaboration avec les USCG, la compagnie de navigation et l'ABS. Une visite et des interrogatoires détaillés ont eu lieu sur le sister ship El Yunque (qui est passé en vue de l'El Faro dans la nuit du 30 au 1er), pour, entre autre, reconnaître l'emplacement du VDR. Le 26 octobre, après l'échec d'une première recherche de l'épave, il a été utilisé un appareil plus sophistiqué (Orion side-scan sonar system) qui a permis de détecter, le 31, l'image d'un navire de 241 m, reposant droit, en un seul morceau, à environ 4 600 m de fond. A suivre, l'envoi d'un engin télécommandé sur l'épave a confirmé par les premières vidéos que l'épave est bien celle de l'El Faro. Mais, le 3 novembre, on a annoncé que la passerelle avait disparu (avec le VDR), les recherches ont été reprises avec le side-scan sonar et un ROV (remote operated vehicle) « Curve 21 » lui-même équipé d'un mini-ROV (vu la valeur du matériel, et du temps nécessaire pour la descente et remontée, les recherches sont interrompues dès qu'il fait mauvais). Le 12 novembre, la passerelle a été localisée.

       Le NTSB, après un premier communiqué purement chronologique, a fourni d'autres renseignements. Le navire avait passé tous les contrôles de classe (le dernier en juin pour la machine), les exercices étaient conformes à la règle, dernier chargement sans observation particulière (à l'exception d'un saisissage supplémentaire partiel). Le 11 septembre, une chaudière avait été arrêtée pendant une traversée pour inspection, puis remise en route. Les deux chaudières devaient être révisées en novembre (cale sèche prévue). Le navire devait être remplacé par l'Isla Bella (navire équipé LNG), et être mis en ligne entre l'État de Washington et l'Alaska, changement entrainant des travaux effectués en cours de traversées (présence des ouvriers Polonais).

       Ce naufrage a relancé la controverse sur le Jones Act. Les partisans de l'abrogation ont publié dans The National Review et sur plusieurs sites, des articles « particulièrement critiques » indiquant que cette loi empêchait l'utilisation de navires étrangers plus récents, et a ainsi rendu la flotte US la plus âgée de tous les pays développés. Les constructeurs ont argumenté: « U.S. leads the world in shipbuilding advancements, compared to the common designed and not highly specialized vessels built abroad ». Mais la controverse a continué, les uns indiquant que les chantiers US ont des contrats avec l'armée et n'ont pas beaucoup de temps pour construire des navires privés. Sans compter qu'ils sont « outrageously expensive », obligeant les armateurs à faire des travaux pour continuer à utiliser des navires obsolètes par rapport à ce qui est disponible ailleurs. Les autres estimant ces remarques insupportables, leurs arguments étant qu'il n'y a pas de preuves pouvant lier l'âge du navire et son naufrage, que les livraisons 2015 seront de 8 navires, chiffre le plus élevé depuis 20 ans. IHS Maritime indique que, pour les navires similaires à l'El Faro, la moyenne d'âge des navires US est de 21 ans, et de 9 ans dans le monde, mais qu'il n'y a pas vraiment de différence sur l'ensemble de la flotte. Cependant, une opinion répandue est que la flotte US de cabotage devrait être renouvelée rapidement.

       Plusieurs actions en justice ont été initiées par des cabinets d'avocats au nom de familles de disparus contre TOTE Services, TOTE Maritime Puerto Rico et le capitaine M. Davidson. Plaintes indiquant la perte de propulsion inexpliquée, que le navire était âgé, en état assez moyen, avec un historique de voies d'eau et de défauts électriques, des travaux continus à la machine (précisés comme n'affectant pas la propulsion)…. Le 31 octobre, TOTE Services a déposé une demande devant une cour fédérale pour exonération ou limitation de responsabilité dans le naufrage du navire « parfaitement apte pour la mer et correctement conduit », naufrage dans lequel ils n'avaient pas de responsabilité. Demandant l'arrêt des poursuites légales contre eux, une limitation des indemnités à 15 millions USD, ainsi qu'une date butoir pour les dépôts de plainte des familles (invoquant une loi de 1851). Le 4 novembre, une cour fédérale a fixé cette date au 21 décembre. Toutes choses contestées par les cabinets d'avocats.

       En attendant d'éventuels résultats supplémentaires de l'enquête en cours, la demande de récupération du VDR (compte tenu des moyens engagés) va, sans doute, relancer la controverse sur l'installation de cet équipement. Doit-il être fixe ou bien flottant avec une balise, libérable automatiquement en cas de naufrage ? Sans doute, également, des réflexions supplémentaires sur les moyens de sauvetage, ou sur le Jones Act.

Cdt Ph. SUSSAC
16 novembre 2015
Retour au menu
Retour au menu