Bernard Giland, ancien pilote de Dunkerque et ancien instructeur à Port Revel, avec sa profonde expérience de la manoeuvre des navires, nous apporte une analyse remarquable de l'accident du Costa Concordia. Il faut toutefois remarquer que la mise en service d'un propulseur d'étrave sur le seul groupe de secours, au démarrage difficile de surcroît, semble peu probable, en raison de la puissance électrique demandée. |
Tous ceux qui sont passés par Port Revel reconnaîtront sur cette image l’excellent exercice de skidding réalisé avec le tanker «Brittany» sur ballast. Le but de l’exercice est de bien contrôler la trajectoire pour se retrouver bien à droite et au bon cap dans le chenal suivant. Un premier passage entre les bouées pour s’insérer dans le «deepwater channel» et un deuxième passage plus stressant entre le chenal et la berge à 10 nœuds. Qui aurait réussi l’exercice à 16 nœuds ? Probablement personne !
En clin d’œil au dramatique accident du Costa Concordia, Arthur De Graauw, directeur du Centre de Port Revel, a rebaptisé la berge «Isola del Giglio». Si le Cdt Schettino était passé parPort Revel, aurait-il pris le risque insensé de venir tourner aussi près de la côte avec une telle incidence et une telle vitesse? Probablement non. Aurait-il eu les bons réflexes dans la phase ultime avant de toucher les rochers ? Oui assurément ! Evidemment, on n’enseigne pas cette technique à Port Revel pour venir flirter avec les dangers. |
Au cours d’un passage précédent, la route d’approche du Concordia était beaucoup plus proche du cap de sortie, peu de barre suffisait pour venir au cap de «tourisme» parallèle à la côte, le personnel de quart a pu aisément apprécier la dérive et contrôler la trajectoire.
Extraits du rapport préliminaire de l’«Italian maritime investigative body on marine accidents» :
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Erreur sur le relèvement de la pointe, 239° au lieu de 249°, comme on peut le voir sur le plan ci-dessous. Le navire est venu à droite sans attendre d'être au way-point, surtout à cette vitesse, mais cette erreur sur le relèvement «programmé» de la pointe de Torricella pourrait bien être à l'origine du drame. |
A 9h37 pm, le navire se trouve à 1,2 mille nautique de la pointe de Torricella (point au début de la trace en pointillé sur le croquis), vitesse 15,4 kn et commence à tourner pour venir au 334° comme prévu.
A 9h44 pm il se trouve cap sur l'îlot Le Scola au 323° et une distance de 0,3 mille nautique. Que s'est-il passé pendant ces 7 minutes ? Cherchait-on à venir à droite doucement jusqu'à voir la pointe de Torricella au radar au 239° comme prévu ? Le Cdt Schettino a-t-il pris les commandes (je prends !) trop tardivement ? Peut-être même plus tard que ce qui figure dans le rapport (9h10 pm), trop tard pour apprécier toute la situation. Mais quelqu'un l'a-t-il appréciée ? on peut se le demander.
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Entre 9h37 pm et 9h44 pm, le navire a évolué lentement sur la droite de 40° et parcouru 1,5 nm en venant petit à petit travers au vent. Sept longues minutes pour venir d'une quarantaine de degrés seulement... Qui s'est soucié pendant ce long laps de temps de prendre un relèvement radar de la pointe de Scola ou un relèvement visuel des feux du port de Giglio ? Qui aujourd'hui sort sur l'aileron pour prendre un relèvement ? Sans doute personne, si quelqu'un l'avait fait, il aurait probablement vu le relèvement rester le même, voire augmenter au lieu de diminuer. Et dans ce cas, on serait venu plus vite à droite pour ne pas se retrouver dans la fâcheuse position de la figure, mais cap au Nord au moins. |
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Entre 9h44 pm et la collision à 9h45 pm sur l'enregistrement ci-contre, le navire est encore à 15 kn. Le Cdt a perçu le danger et fait mettre la barre toute à droite. Le skidding (transfert latéral + dérapage de l'arrière) et le vent (15 à 20 nœuds) poussaient vers les rochers. A partir de la position ci-dessus, la suite était comme programmée. L'avant est passé, mais le navire a touché la roche à l'arrière bâbord. |
09.44 pm
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Entre 20° de barre et barre toute, le gain en giration est faible alors que la réduction de vitesse est beaucoup plus significative comme le montrent la photo et le graphe ci-dessus (document Port Revel). |
Barre toute à droite le skidding est beaucoup plus important : La force appliquée sur le gouvernail étant proportionnelle au carré de la vitesse, le transfert latéral du navire est lui-même proportionnel au carré de la vitesse, 15 kn pour le Concordia. A ce déplacement latéral vient s'en ajouter un autre : le navire ralentit brutalement, travers au vent d'ENE qui souffle à 17 nœuds, le vecteur vitesse fond s'incline davantage vers la côte. |
Sur le croquis ci-contre, la barre a été mise toute à contre et le navire vient de se stabiliser en cap, les forces 1,2 et 3 font un système équilibré. Si maintenant on met la barre à zéro, les forces 1 et 2 vont continuer à faire tourner le navire (mémoire de giration), mais surtout le déplacement latéral en bloc n'a pas été annulé, on ne restera pas sur la route espérée (en pointillé): d'où la nécessité de venir davantage à droite en cap d'au moins 10 à 20°. Dans cette deuxième hypothèse le Concordia serait probablement passé sans toucher. |
Après l'impact :
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En surface il a fait une sorte de lacet, d'abord grosse embardée à gauche (barre toute à gauche + effet de coussin à l'arrière + impact), ensuite avec barre toute à droite juste après l'impact pour corriger l'embardée à gauche. La vitesse décroit de façon spectaculaire.
Le tracking ci-contre (issu du rapport) montre assez bien la route suivie entre ces 2 positions à vitesse moyenne de 3,3 kn. A 10h12 pm il me semble peu vraisemblable de se trouver à cet endroit en ayant passé le lit du vent ENE. sans l'aide d'un propulseur latéral, comme beaucoup l'ont suggéré, dont John Konrad (voir gcaptain.com). |
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L'embardée à gauche étant enrayée, le navire vient encore un peu à droite grâce à un très faible restant de gouverne (il doit rester à peine 3 à 4 nœuds de vitesse propre) et grâce à l'auloffée. A ce stade le cap est au mieux au N - NNE et il y a moins de 2 longueurs à courir avant d'être complètement stoppé. |
Le navire tel un voilier a fait du «près», sa vitesse continue de diminuer, il y a moins d'une longueur à courir avant d'être complètement stoppé. |
En approchant le lit du vent, il reste une très faible vitesse fond vers le nord. La vitesse surface est très faible, moins d'un nœud, le gouvernail est totalement inefficace | En supposant que le navire ait atteint cette position, il faut voir que la résistance de carène est devenue très faible, alors que dans le même temps le centre de voilure s'est déplacé vers l'avant : le moment total fait plutôt abattre le navire, comme on le voit sur ce navire amarré qui reçoit le vent sur l'épaule avant tribord. |
Le Concordia dérive SSW et s'échoue à 22h58 soit environ 45mn après avoir passé le lit du vent et en ayant parcouru 1' vent de travers en suivant une route fond SSW. Je ne me souviens pas avoir vu un navire sans vitesse franchir tout seul le lit du vent. |
Au moment de son échouement final à 22h58 pm la gîte est de 15°. A 0h34 am le navire couché sur son côté tribord présente 70° de gîte. La photo ci-contre montre deux personnes piégées. Seul un alpiniste pourrait se déplacer dans de telles conditions.
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Note* : en similitude, la vitesse est proportionnelle à l'inverse de la racine de l'échelle. A Port Revel tout est au 1/25ème: un navire de 300 mètres réels qui avancerait à 10 nœuds en mer, est modélisé fidèlement par une maquette de 12 mètres qui avancera sur le lac à 2 nœuds seulement. Un vent de 10 nœuds sur le lac équivaut à un vent de 50 nœuds en mer. Le temps du lac est aussi racine de l'échelle : la manœuvre d'entrée et mise à quai d'un pétrolier qui prendrait 1h ne durera que 12 minutes sur le lac....une journée de 6h de «training» en vaut 30 ! Les ordres du pilote à l'homme de barre et au capitaine du remorqueur sont les mêmes qu'en réalité, sauf qu'ils se succèdent 5 fois plus vite : on n'a guère le temps de réfléchir ou d'hésiter et l'entrainement à la manœuvre en est d'autant plus instructif ... et intensif. |